Au coin d’une boulangerie de la chaîne Brioche Dorée, une enceinte grésille en direction de la rue des Grandes-Arcades. Malgré le soleil éclatant d’un 21 juillet en fin d’après-midi, les discours opposés au pass sanitaire se succèdent. Ils étaient près de 200 personnes il y a une heure, mais le cortège s’est déjà dispersé après une première manifestation partie de la place de la République. Il est 17h30 lorsqu’une soignante au masque bleu et t-shirt rose prend le micro :
« Notre président adore l’innovation. Et là, il vient d’inventer un nouveau motif de licenciement du personnel soignant (détails à lire sur le site Capital.fr, ndlr). J’ai le droit de m’opposer à ça, tout comme j’ai le droit de choisir si je me fais vacciner. On veut nous réduire à des anti-vaccins ou des antisémites. C’est insupportable ! »
Une mobilisation inattendue
L’annonce par le président de la République de l’entrée en vigueur progressive du pass sanitaire dès le 21 juillet a déjà suscité plusieurs manifestations dans toute la France. Le dernier rassemblement strasbourgeois est ainsi parvenu à rassembler près de 3 000 personnes samedi 17 juillet. La diversité, l’intensité et la période de la mobilisation a surpris jusqu’aux renseignements intérieurs, dont un rapport récent alerte sur une potentielle radicalisation du mouvement.
Une Peugeot 3008 banalisée se fraye un chemin sur la place Kléber et passe juste derrière Toma Gcric. Gilet jaune sur gilet rouge CGT, sur chemise violette à rayures, l’informaticien anime le débat. Pour ce délégué syndical, l’échange et la discussion forment la première raison d’être de ce rassemblement. Le salarié du Crédit Mutuel craint par exemple pour la liberté de se rassembler, « notamment lorsqu’il faudra manifester contre la réforme des retraites. L’obligation de se vacciner ou de faire un test pour prendre le train pour monter à Paris, ça risque de réduire l’ampleur des prochaines mobilisations », avertit le modérateur du coin de la place Kléber en débat.
« Libertés individuelles » et « droit de choisir »
Ici, personne ne porte le masque. Les prises de paroles s’enchaînent. L’un lit un poème sur la démocratie, l’autre tente de glisser son opinion politique autour de l’élection présidentielle à venir. Il est vite réprimandé : « On n’est pas ici pour parler politique. Cela nous divise, ce n’est pas ce que nous voulons », lance un homme en chemise à carreaux.
Non loin, Huseyin Sincer, 37 ans, informaticien et Gilet jaune donne un argument récurrent parmi les manifestants : « le droit de choisir » contre « la restriction des libertés individuelles ». À ses côtés, Jean-Jacques Pion, 82 ans, se décrit comme le « doyen des Gilets jaunes de Strasbourg » : « Mon sentiment est que nous vivons un coup d’état sanitaire. Mais j’ai de l’espoir car nous assistons à un réveil social, lancé par le mouvement des Gilets jaunes. »
La peur de perdre son travail
18h. C’est l’heure du second rassemblement organisé, cette fois, sous la statue du général Kléber. La foule entonne le traditionnel « On est là, on est là, même si Macron ne veut pas… » puis Hervé Gourvitch prend la parole. Tendu, il explique que la Préfecture a interdit la seconde manifestation. Il enjoint les manifestants à ne provoquer aucun débordement, avant de dénoncer des entraves à la liberté de manifester depuis plusieurs mois.
Jismy a 27 ans. Au micro, l’ancien professeur de philosophie contractuel s’inquiète de l’impact du pass sanitaire sur l’emploi des non-vaccinés : « Depuis une semaine, de plus en plus de gens autour de moi ont peur de perdre leur travail. Mais ils vont nous faire passer pour des imbéciles qui n’avons que ça à faire de manifester. »
Pour Anita, l’inquiétude est encore plus grande. L’infirmière libérale craint de ne plus pouvoir exercer son métier à partir de septembre. Tout en niant être anti-vaccin (« je suis déjà vaccinée contre l’hépathite, le tétanos etc. »), elle refuse le vaccin contre le covid. Sur son dos, un résumé de son propos, assimilant notamment les vaccins Astrazeneca et Jansen à des OGM. « Je n’ai jamais été au chômage, rappelle-t-elle, je pars au travail à 5h et je rentre parfois à 21h. On veut me priver de mon métier, alors qu’il n’y a pas assez de soignant. »
Une troisième manifestation samedi
L’argumentaire est similaire chez Carmen. La retraitée de 67 ans n’est pas anti-vaccin, « mais je suis anti-injection expérimentale. On ne connaît pas les effets secondaires à long terme et on nous oblige à nous vacciner (sur cette question voir l’article du journal Le Temps, ndlr) ».
À l’ombre, assis sous la statue du général Kléber, quelques manifestants plus nerveux s’impatientent : « C’est pas comme ça qu’on va faire la révolution », souffle l’un d’eux. Les interventions s’essoufflent, alors la modératrice propose de partir en manifestation. Elle soumet la décision au vote à bras levé. Sans parvenir à distinguer si une majorité est pour, un cortège s’élance spontanément dans la rue des Grandes-Arcades, direction le pont Corbeau, en clamant « Liberté ! Liberté ! Liberté ! ». Au micro, la militante des Gilets jaunes Strasbourg République a juste le temps de rappeler la manifestation prévue samedi 24 juillet à 13 heures.
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