L’Union européenne est parfois jugée distante et ses effets peu concrets sur la vie des citoyens. Jeudi 12 octobre, une de ses décisions avait un impact très direct sur la vie de milliers de Strasbourgeois et environ 250, souvent à vélo, sont venus exprimer leur mécontentement.
Pour des raisons de sécurité, il est question de mettre des portails sur le quai du bassin de l’Ill, un magnifique site arboré où des centaines de personnes aiment se promener à pied ou l’utiliser pour leurs déplacements à vélo. Le site fait partie des itinéraires cyclables de Strasbourg, d’un circuit sportif et même… du club vosgien.
Le précédent de l’autre rive
Ce projet a été découvert par des riverains grâce à 3 feuilles A4 plastifiées que le Parlement était obligé d’afficher pour annoncer les travaux imminents. Depuis les premières interpellations sur ce sujet, un rétro-pédalage semble s’amorcer. Il est question de ne fermer les grilles uniquement « en cas d’alerte« .
Mais cela ne convainc guère les manifestants. Les organisateurs, comme Bernard Irrmann porte-parole du collectif de cyclistes Veläuch, ont en tête l’autre rive, fermée unilatéralement fin 2015 suite aux attentats de Paris avec un portail amovible, aujourd’hui constamment bloqué.
« J’ai déjà été privé de l’autre côté que j’empruntais et maintenant ici où je passe tous les jours pour travailler place Brandt ? Ce serait dommage », nous explique Dany, un manifestant. « S’il y a un responsable de la fermeture et l’ouverture, il fera au plus simple, c’est-à-dire de fermer tout le temps. Quand on est dans ces situations, on ne fait pas dans les nuances », embraye un autre riverain.
Revoir le début de la manifestation
Un débat plus large sur l’Europe et ses citoyens
D’ailleurs l’espace public va encore se restreindre du côté des grilles et sur le parvis du Parlement. L’enquête publique diligentée à l’été ne mentionnait pas l’ajout de portail place des Glycines. Juste un « déclassement du domaine public ».
Contrarié mais déterminé, Jacques Gratecos, président de l’Association de défense des intérêts de la Robertsau (Adir) veut aussi élargir le débat :
« À Strasbourg dès que le Parlement veut quoi que ce soit, on dit Amen. Mais cette fois, le sujet est plus large et la Ville a réagi par un courrier dans notre sens. C’est aussi une question plus générale sur l’Europe et son rapport aux citoyens. »
D’autres associations avaient appelé aux rassemblement comme celle de cyclistes, le CADR 67 ou Piétons 67. Pour son président Gilles Huguet, la décision revient à « enlever du charme à Strasbourg » sur un axe du quartier européen fréquenté par des travailleurs, des habitants et des touristes. La « bunkerisation » du Parlement et la « privatisation » des berges reviennent dans les slogans.
« Fake security »
Mais des Européens, il y en avait dans le cortège. Des employés du Conseil de l’Europe sont là, comme Patrick, de nationalité allemande :
« Je suis venu avec des collègues finnois, macédoniens, roumains, irlandais, britanniques… Nous on vient ici tous les jours, pas trois jours par mois (le rythme des sessions plénières du Parlement européen ndlr). Entre 20 et 30% du personnel prend le vélo, pas un taxi en sortant, et ici c’est le meilleur passage. En anglais, c’est ce qu’on appelle de la “fake security”. On croit régler le problème avec un portail, mais n’importe qui peut contourner avec un kayak. »
Lorsque la foule arrive à la passerelle Ducrot, le directeur de la communication du Conseil de l’Europe sort tout juste de son bureau croise les manifestants par hasard. Il trouve le projet de ses voisins du Parlement aberrant.
La Ville de Strasbourg veut agir
Comme Rue89 Strasbourg l’indiquait dès la semaine précédente, la Ville dit ne pas avoir été informée de ces manœuvres. Elle veut limiter la fermeture dans un courrier qu’elle a adressé à la presse et aux manifestants :
« Nous vous informons que la Ville est sensibilisée au projet de fermeture aux piétons et aux cyclistes des berges du bassin de l’Ill au niveau du Parlement européen, pour lequel l’État a formulé un certain nombre d’instructions. L’Etat, le Parlement et la collectivité doivent très rapidement rediscuter des modalités de cette fermeture, dont le dispositif, selon le Parlement, prévoie d’être à usage « ponctuel, flexible et réversible », et de n’être activé que lors d’événements d’ampleur, exceptionnels, et en fonction du risque estimé. Pour notre part, nous souhaitons que ces berges demeurent naturellement ouvertes et accessibles, et que d’éventuelles fermetures pour raisons de sécurité soient parfaitement exceptionnelles et motivées.«
Une réunion de déminage serait prévue le 20 octobre. Lors de l’inauguration du tram D vers Kehl en avril, la Ville a axé toute sa communication sur le fait qu’elle « construit des ponts et pas des murs », dans le but de secouer un idéal européen en sommeil. Si elle devait être impuissante sur ce dossier, voilà qui viendrait télescoper ce beau slogan.
Chargement des commentaires…