Les premiers manifestants arrivent vers 13h place de l’Étoile ce samedi 19 février. Ils répondent à un « appel international » contre le passe vaccinal, les restrictions de liberté et plus généralement, les politiques du gouvernement. D’autres rassemblements avaient lieu en France, y compris à Mulhouse et Colmar.
Sous le soleil, entre 800 et un millier de personnes se rassemblent dans la capitale alsacienne. Des participants au « convoi de la liberté », une manifestation, en voiture, de blocage des routes, témoignent au micro. Ils viennent de Belgique, du Luxembourg, de Normandie, du Var et d’Alsace évidemment. Beaucoup portent un gilet jaune.
Après les Gilets jaunes et les violences policières, « on ne leur fera plus jamais confiance »
Ingrid, 66 ans, vient de Boulay en Moselle. L’ancienne femme de ménage a commencé à manifester sur les ronds points en novembre 2018. « J’ai une retraite de 755 euros. Avec la hausse du prix du chauffage, je dois me restreindre à ne manger qu’une seule fois par jour », dit-elle. Ingrid s’étonne de ne pas voir plus de monde dans la mobilisation. « Tout le monde devrait se serrer les coudes en ce moment, et arrêter de trouver des excuses pour ne pas venir », s’énerve la retraitée.
Comme beaucoup de personnes interrogées, elle est là en défiance du gouvernement, « qui taxe toujours les pauvres, jamais les riches, et attente aux libertés avec des mesures sanitaires disproportionnées ». Et donc le « convoi de la liberté » représente de l’espoir pour Ingrid : « Enfin, il y a autre chose que de la résignation. Je suis là parce que je n’en peux plus, et qu’au moins, là, je milite pour un monde meilleur. »
À quelques mètres d’elle, Ahmed, Cécile, Samantha et Louise (prénoms modifiés), de Montbéliard, insistent aussi sur les difficultés financières, qui sont leur « premier motif de mobilisation » et de défiance contre la politique du président de la République, Emmanuel Macron. Ahmed expose :
« Les mesures sanitaires abusives sont une chose parmi d’autres. De toute façon, on ne fera plus jamais confiance à Macron et aux politiciens comme lui. On n’a pas oublié les violences policières, les yeux crevés et les matraquages des Gilets jaunes. »
« Je ne veux pas vivre dans cette société, tout est absurde »
Le cortège tarde à prendre la route en direction des institutions européennes. « On attend un grand groupe de personnes venues de Bordeaux », glisse une femme. Stéphanie et Éric, un couple colmarien, étaient à Paris et à Bruxelles ces derniers jours avec le convoi.
Eux s’engagent pour la première fois dans un mouvement de contestation, parce qu’ils estiment que « le gouvernement manipule le peuple ». « D’abord les masques ne servaient à rien. Ensuite, il fallait en mettre même dehors en se promenant seul. Et puis, pourquoi on n’a jamais parlé des alternatives au vaccin comme les traitements ? » interroge Éric, qui travaille dans la communication (un premier traitement anti-viral, le Paxlovid, a été autorisé en France en janvier 2022, NDLR).
Après un silence de quelques secondes, il ajoute :
« Souvent, je vois des gens se promener seul dans la nature en gardant le masque. Je ne veux pas vivre dans cette société là. Tout semble absurde, et quand on le remet en cause, on est des complotistes. Tout ça me fait vraiment peur. »
Éric et Stéphanie souhaitent ouvrir un lieu de vie alternatif
Stéphanie était psychologue pour une structure de la protection de l’enfance. Personnel médical non vaccinée, elle est suspendue depuis le 15 septembre 2021. « Je ne regrette absolument pas, même si la plupart de mes collègues ne me parlent plus », déclare-t-elle.
Leur nouveau projet : établir « un lieu de vie et de soin alternatif », près de Colmar, avec des amis anti-passe. « On utilisera des huiles essentielles, des sirops naturels et des plantes », indique Stéphanie.
Les deux ont pris part à la délégation reçue par des eurodéputés à Strasbourg le 14 février. « Nous leur avons demandé une enquête indépendante sur les politiques du gouvernement français depuis le début de la crise sanitaire », relate Éric. Avec ses camarades, il souhaite savoir si « des intérêts financiers ont influencé les mesures contre la pandémie ». « On sait bien que les labos ont fait plein d’argent grâce aux vaccins », abonde-t-il.
Des abstentionnistes et des orientations politiques diverses
Derrière la banderole de tête, les manifestants s’élancent et invitent la foule à chanter : « On est là, même si Macron ne veut pas. » Le tracé déclaré passe rue de Lausanne. Une partie du cortège tente d’avancer rue de la Brigade d’Alsace Lorraine. Les militants sont bloqués par un cordon de gendarmes mobiles. Le dispositif des forces de l’ordre, constitué de dizaines de fourgons, est très visible. La manifestation repart sur le trajet établi.
Ahmed, Cécile et Samantha n’iront pas voter à l’élection présidentielle. Pour les autres, l’éventail des accointances politiques est large. Par exemple, Raymond hésite encore, mais donnera peut-être sa voie à Marine Le Pen « parce qu’on ne l’a jamais essayée ». Ingrid, la retraitée de Boulay, désignera Mélenchon, comme Cécile, venue de Lyon, qui passe à côté. Éric avait choisi Macron en 2017. Aujourd’hui, il est « très déçu ». Avec Stéphanie, ils voteront aussi peut-être Mélenchon, qu’ils estiment « assez engagé contre le passe sanitaire ».
Le mouvement anti-passe, l’occasion de retrouver une vie sociale pour certains
Une dizaine de fois dans l’après-midi, le cortège entonne : « Siamo Tutti Antifascisti », « Nous sommes tous antifascistes » en italien. Malgré ça, Ahmed reconnait : « Il y a des racistes, mais c’est loin d’être la majorité dans le mouvement. Les médias et le gouvernement grossissent ça pour nous pointer du doigt », analyse-t-il. Il ne croit plus du tout que les partis et les syndicats « peuvent changer quelque chose », et préfère se mobiliser dans ce mouvement populaire, « fait de pleins de gens différents, avec une organisation plus horizontale ».
Des manifestants usent de fumigènes et de pétards. « Collabos » lancent-ils aux policiers présents à tous les coins de rue. D’autres personnes, plus calmes, font du bruit avec des sifflets ou des tambours.
Pour Bernard, divorcé depuis quelques années, le mouvement anti passe est aussi l’occasion de retrouver une vie sociale. Il ne peut plus travailler comme il est soignant et non-vacciné. Alors il se balade en forêt presque tous les jours, puisque c’est la « dernière chose qu’il a le droit de faire ». L’homme de 58 ans n’est « compris par personne dans son entourage », certains de ses amis ont coupé les ponts :
« Heureusement, il y a les manifestations. L’ambiance est super dans le mouvement. J’ai eu de bonnes conversations, il y a un esprit d’ouverture. »
De leur côté, Stéphanie et Éric, de Colmar, regrettent que leurs familles soient fracturées « à cause du rejet du mouvement anti-passe ». Ils trouvent aussi refuge dans un groupe d’amis qui partagent leurs idées, rencontrés grâce à la mobilisation.
Des vidéastes amateurs en nombre
Bernard, Stéphanie, Éric, et bien d’autres, disent s’informer sur des « médias alternatifs » : Odyssee ou Reinfo Covid (qui diffusent régulièrement des inexactitudes et des fausses affirmations, notamment sur la pandémie, NDLR). « Je ne crois plus ce qu’on nous dit sur BFM », s’exclame René. Une dizaine de personnes filment la manifestation en direct sur Facebook. « Les médias mainstream ne sont jamais là pour documenter les violences policières, heureusement que vous êtes là », leur adresse une femme.
Vers 16h30, la foule arrive devant le Conseil de l’Europe et se disperse lentement. À 17h, « la manifestation n’est plus autorisée », annonce un policier dans un mégaphone. Cette dernière était effectivement déclarée de 13h à 17h. Les forces de l’ordre forment un cordon.
Une femme d’environ 60 ans blessée par une charge de la police
Alors que les derniers manifestants quittent les lieux, un policier désigne un homme pour le contrôler. Ce dernier recule immédiatement. Plusieurs agents le poursuivent. Des manifestants tentent de s’interposer. Les forces de l’ordre chargent, matraquent et font usage de gaz lacrymogène. Une dame âgée d’environ 60 ans reste à terre de longues minutes, et se plaint d’une forte douleur à la hanche . Elle témoigne avoir été matraquée au dos avant de chuter. Les street medics la sécurise et appellent une ambulance.
Interrogé sur place, un responsable policier refuse de communiquer sur les raisons de cette intervention. Il ne reste plus qu’une cinquantaine de personnes à 17h40, qui partent à nouveau vers le centre-ville en cortège sauvage. Avant de se disperser totalement place de la Bourse, ils crient un dernier slogan : « Macron nous fait la guerre, et sa police aussi, mais on reste déter’, pour bloquer le pays ! »
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