« Avant je mangeais bio, puis un jour quand j’ai vu des échalotes qui venaient d’Amérique ça m’a fait réagir. Je me suis dit le petit sachet qui a parcouru des kilomètres pour venir à moi ce n’est pas normal. » Après cette découverte en 2018, Carine est devenue « locavore ». Être locavore, c’est consommer ce qui est produit à une faible distance de son domicile. Un mode de vie motivé par plusieurs raisons : réduire son impact écologique, soutenir l’économie locale et manger des produits réputés de bonne qualité.
Les adeptes de cette pratique existent aussi à Strasbourg. L’une d’elle est Carine, retraité de 68 ans qui se considère locavore « à 70% ». L’autre s’appelle Laura, elle a 22 ans et est locavore depuis 2019. Nous avons suivi ces deux femmes dans leur quotidien.
Les courses locavore, une histoire de budget
La vielle Twingo grise de Carine longe le parc de l’Orangerie lentement. Au bout de quelques minutes de trajet, les serres des « jardins de Marthe », à l’entrée de la Robertsau, apparaissent sur la gauche. Une minuscule boutique abrite les fruits et légumes que Carine vient acheter chaque semaine.
L’ancienne employé d’EDF aime cet endroit car « c’est pratique, c’est petit, à 5 minutes en voiture de chez moi et je n’ai pas de problème de stationnement. » Ici on trouve des fruits et légumes cultivés directement dans le quartier mais aussi ceux d’autres producteurs de la région. La plupart des produits sont bio, d’autres sont « moches ». Carine avoue qu’elle n’achète pas toujours que du local. Les oranges viennent d’Espagne mais « c’est pour la vitamine C. »
Épinards, carottes, salade, pommes et pommes de terre. Carine quitte l’échoppe au bout de dix minutes en ayant payé 15 euros pour ses courses de la semaine 100% local.
Carine ajoute qu’elle garde une voiture pour aller à sa maison de campagne dans les Vosges, vers la Petite Pierre. « Il y a un distributeur de produits locaux accessible 24h/24 avec des oeufs et des fruits et légumes. »
En Allemagne, des courses locales et pas chères
Laura n’a pas de voiture, elle l’a revendue en s’installant à Strasbourg il y a 3 ans. Dans le tram en direction de Kehl elle confie que « faire des courses locavore prend beaucoup de temps. » Sans compter le trajet, Laura passe en moyenne une heure en grande surface, pour trouver ce dont elle a besoin pour la semaine. Faire ses courses en Allemagne est devenu un rituel pour l’étudiante en master de l’enseignement qui a divisé par deux son budget d’alimentation. En France, pour deux personnes, elle dépensait 80 euros par semaine. En Allemagne, la facture passe à 40 euros.
Avec son meilleur ami Pierre et son chariot de courses rouge, Laura se rend d’abord au Lidl. Après avoir regardé les trois paquets de champignons bio du rayon fruits et légumes, Laura en prend un, hésite, fait une grimace et le repose. « Les champignons sont de Hollande alors je ne les prends pas. » Elle repart avec une boîte d’œufs et des radis produits en Allemagne.
Les deux amis prennent alors la direction d’Edeka où il est plus facile de trouver des fruits et légumes d’origine française ou allemande selon Laura. Impressionné par le flair de son amie, Pierre l’interroge : « Comment tu fais pour trouver des produits locaux ici ? Ça me dépasse, j’ai tellement de choses à apprendre de toi. » Pierre est vegan mais pas locavore.
Quand il décide d’acheter des tomates, Laura lui dit « les tomates d’Espagne tu évites. » Elle explique avoir gardé un mauvais souvenir des cultures de tomates lorsqu’elle était en vacances en Espagne. « Près de là où je résidais, il y avait des agriculteurs sans protections qui pulvérisaient des pesticides sur les champs de tomates. Depuis que j’ai vu ça, je n’achète plus de tomates d’Espagne. »
Un repas presque locavore
L’appartement de Carine est sombre, elle n’allume pas la lumière tant qu’il ne fait pas nuit. Arrivée dans la cuisine, elle allume « pour qu’on puisse voir ce qu’on cuisine même si c’est pas très écolo. » Réaliser un plat entièrement locavore n’est pas si simple, même si il s’agit d’une soupe. « Pour mon potage, j’utilise du poireau, des pommes de terres, des carottes et des échalotes d’Alsace. » Même si il n’est plus question d’acheter des échalotes qui viennent de loin, Carine peine à trouver une huile locale. « Je fais revenir les échalotes dans de l’huile d’olive qui n’est pas locale. C’est difficile d’être totalement locavore. »
Les restaurants, en retard sur le locavorisme
Les restaurants locavores à Strasbourg se comptent sur les doigts d’une main. Laura scrute en détail les ingrédients proposés à la carte :
« Avant j’allais au Troquet des Kneckes, ils faisaient un tiramisu au nut’alsace (pate à tartiné fabriqué par le chocolatier Jacques Boeckel) mais maintenant ils l’ont remplacé par du Nutella. Alors moi et mon copain, on a dit qu’on ne reviendrait plus. Ils l’ont pas pris au sérieux mais ça l’était. »
Malgré cette déception, elle conseille vivement les tartes flambées locavores de Mama Bubbele. « C’est vrai que ça coûte plus cher (à partir de 10€, ndlr) qu’une tarte flambée classique, mais j’y vais pas souvent, alors ça va. »
Carine non plus ne va pas au restaurant très souvent. Quand elle le fait, c’est souvent pour manger son repas préféré, la choucroute. En ce début d’année, une offre « un menu acheté, un menu offert » de la maison Kammerzell est justement l’occasion d’en manger sans se ruiner. Au restaurant, la clientèle est âgée, les tables sont bondées. Carine est venue avec son amie Sylviane, elle aussi locavore, pour manger une choucroute aux trois poissons, qui ne viennent pas tous d’Alsace. Sylviane explique qu’elle ne peut pas manger uniquement local, car elle adore le poisson.
Consommer local c’est bien mais pas suffisant
Le mode de vie de Carine et Laura va de pair avec d’autres efforts, comme les achats de vêtements ou la limitation des déchets. Laura possède un seau à compost que son copain va déposer au bac de quartier tous les samedis, pendant qu’elle a cours.
Les travaux des chercheurs américains Christopher Weber et Scott Matthews prouvent que manger uniquement local n’est pas la meilleure des solutions pour réduire son empreinte carbone. Ils affirment que, substituer un jour par semaine du poulet ou un aliment à base de plantes à la viande de bœuf, permet de réduire l’empreinte carbone d’une personne plus que le fait d’être totalement locavore. Carine et Laura l’ont bien compris c’est pourquoi l’une est « flexitarienne » (elle mange de la viande environ deux fois par semaine) et l’autre est végétarienne.
Consommer des produits de saison est une autre manière de réduire son empreinte carbone. La chercheuse Almudena Hospido prend l’exemple de la culture de tomates en Suède pour expliquer l’impact écologique de la production locale de produits qui ne sont pas de saison. Produire des tomates sous serre en Suède utilise 10 fois plus d’énergie que de les importer d’Europe du Sud, où ils poussent naturellement. De quoi conforter Carine quand elle déguste quelques oranges d’Espagne.
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