Les mariées étaient en blanc. Leurs familles, amis, et collègues se sont réunis dans le jardin d’un restaurant à Innenheim pour célébrer leur union. Des musiciens et la chorale de la paroisse d’Eckbolsheim animaient ce bel après-midi du mois de juin 2015. Le pasteur Philippe François a conduit cette cérémonie religieuse en plein air :
« J’ai fait exactement ce que je fais d’habitude pour d’autres mariages, en dehors de la bénédiction nuptiale à l’église. Il y a eu échange d’engagements, j’ai béni l’assemblée, il y a eu une prédication, mais je n’ai pas eu besoin d’une liturgie spécifique. C’était un mariage. Point. »
Une cérémonie religieuse importante pour le couple de mariées :
« C’était un moment très vivant, le mariage à la mairie ne permet pas de partager la même chose qu’une cérémonie religieuse. »
« Un accomplissement devant Dieu »
Caroline Keck et sa femme se sont rencontrées en 2009. Rapidement, elles ont le projet de fonder une famille et décident d’aller à Bruxelles pour bénéficier d’une procréation médicalement assistée (PMA). Cet acte médical est restreint, en France, aux couples hétérosexuels. Caroline a déjà deux grands enfants d’un précédent mariage hétérosexuel et approche de la quarantaine. C’est sa femme, plus jeune, qui portera les enfants. Yaël a aujourd’hui 5 ans et Simon, 3 ans.
Jusqu’en 2015, Caroline n’a pas de lien de parenté officiel avec eux. Les deux femmes décident alors de se marier civilement et de prendre un avocat pour lancer la procédure d’adoption. Aujourd’hui les enfants ont bien deux mamans. Caroline, également pasteure de l’Église luthérienne d’Alsace, accorde énormément d’importance au fait d’être mariée devant Dieu :
« C’est un accomplissement devant Dieu qui est pour moi plus important que le mariage à la mairie. C’est la reconnaissance que Dieu souhaite le bonheur pour notre famille et notre couple. C’est aussi une façon de déclarer publiquement son amour envers sa partenaire, d’officialiser un projet de vie, et bien sûr, cela facilite la vie de famille sur le plan juridique. »
Toutes deux croyantes, c’est tout naturellement qu’elles sollicitent le pasteur Philippe François pour célébrer religieusement leur union :
« J’ai dit oui. Le couple a un vrai projet de vie, fondé et stable. Alors que parfois nous célébrons des cultes pour des couples hétérosexuels dont nous nous doutons fortement que leur union ne va pas durer… »
Pas de bénédiction nuptiale possible
Le mariage ressemblait en tous points à un culte pour un couple hétérosexuel hormis qu’il n’y a pas eu de bénédiction nuptiale, c’est à dire une bénédiction formelle des épouses. Il n’a également pas pu avoir lieu dans les murs de l’église. Caroline Keck se plie à la discipline de son Église :
« Que mon Église refuse le droit à mon couple de nous accorder sa bénédiction, intérieurement, je le ressens comme une frustration car je suis croyante. Beaucoup de couples en bénéficient, alors que pour certains, il ne s’agit que d’un folklore. C’est souvent pour plaire à la famille, à une grand-mère, ou pour pouvoir porter une robe blanche. Ce n’est pas forcément lié à un engagement ecclésial. Dans le fond, le refus d’accorder une bénédiction nuptiale fait souffrir des couples, du fait de leur homosexualité, alors que par ailleurs ils peuvent être très engagés au sein de l’Église. »
Les Églises protestantes d’Alsace-Lorraine indécises
Le 29 juin 2014, l’UEPAL décide de surseoir à sa décision concernant la bénédiction des couples de même sexe. En attendant, l’ancien texte s’applique en Alsace-Lorraine : la bénédiction n’est pas permise.
Le 20 juin 2015, l’EPUdF (Église Protestante Unie de France) vote à 95% pour la possibilité de bénir les mariages homosexuels. L’UEPAL est réputée plus conservatrice que les autres Églises protestantes de France. Il n’est pas certain qu’elle ait la même audace quand elle rendra sa décision dans les prochaines années.
Cependant, le mariage de Caroline a créé un précédent, il est possible que son union fasse jurisprudence et que d’autres couples homosexuels suivent. Le choix du pasteur Philippe François pour la cérémonie, « sympathisant mais pas militant » sur la question de la bénédiction de couples de même sexe, est une invitation au débat au sein de l’UEPAL :
« Je n’ai pas fait cette cérémonie en cachette. Par la suite, j’ai eu un appel de ma hiérarchie et nous avons eu une discussion théologique où j’ai confirmé qu’il n’y avait pas eu bénédiction et que je m’étais conformé au texte “de bonne grâce”. »
Délicate intégration dans la communauté religieuse
Élue pasteure en tant que mère célibataire, le coming out de Caroline a créé des remous dans sa paroisse. Découvrir que le nouveau nom sur la sonnette du presbytère est celui d’une femme est difficile, voire brutal pour certains. Quelques paroissiens décident de partir. Caroline a dû rapidement réunir à nouveau un nombre suffisant de conseillers presbytéraux pour ne pas être désavouée. Heureusement, les préjugés sur son homosexualité se sont estompés rapidement :
« Je suis ravie de participer à la démystification de l’homosexualité par l’exemple. À travers notre expérience, les gens voient que notre situation n’est pas un problème, mais une situation de famille particulière, comme beaucoup d’autres aujourd’hui… Les mères célibataires ou les familles recomposées, par exemple. »
La violence de la Manif pour tous
Les mamans se rendent à la crèche, s’impliquent en tant que parents d’élèves. Leur vie de famille équilibrée rassure. La femme de Caroline est issue d’une grande famille catholique, dont une partie organisait les départs en bus pour rejoindre la Manif Pour Tous. Dans ces cortèges, les manifestants se présentaient comme de « bonnes familles » :
« J’ai beaucoup souffert des réactions au Mariage pour tous. C’était comme s’ils nous disaient que nous étions de mauvaises familles ! C’était violent. Pourtant, à ce que je sache, nous n’avons pas fait vaciller la société depuis 2013. Nous en faisons partie comme tout le monde, c’est tout. »
Trois couples musulmans gays mariés en France
Zafer (prénom modifié), 37 ans, fait partie d’une communauté de croyants inter religieuse basée à Strasbourg qui défend « l’inclusivité », c’est à dire l’accueil inconditionnel de toute personne par Dieu. Théologien militant de confession chiite, il coordonne les activités religieuses et accompagne les personnes sur le plan spirituel. À ce titre, il a célébré trois mariages musulmans gays :
« J’accompagne toutes les personnes qui ont un projet d’amour et cherchent à fonder une union spirituelle. Je célèbre aussi bien des mariages entre une musulmane et un non musulman, par exemple, que de couples LGBT. »
La seule demande formelle qu’il impose c’est que le mariage religieux fasse suite à un mariage civil afin de protéger juridiquement les deux membres du couple.
La demande d’une célébration d’un mariage musulman LGBT est très minoritaire. Elle fait suite à un cheminement complexe sur le plan intellectuel, sexuel et spirituel :
« S’accepter à la fois en tant que gay ou lesbienne et musulman demande des effort abyssaux. Je fais l’appel à un djihad radical pour demander à la majorité des Musulmans d’inclure les minorités et les identités marginales. »
Beit Haverim, groupe juif homosexuel
Dans la communauté juive, des rabbins libéraux ont pris position en faveur de la bénédiction des couples de même sexe. L’association Beit Haverim – la maison des ami-e-s, basée à Paris ne dispose pas d’antenne en Alsace. Elle recense, en France, au moins deux mariages entre deux femmes célébrés par des rabbins de synagogues libérales.
La célébration publique de ces mariages, modelés sur le rituel du mariage juif traditionnel, a eu lieu devant la communauté juive, la famille et les amis des mariées.
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