Jean a 48 ans, il est informaticien. Il vient me voir pour la première fois. Il arrive de la région parisienne pour un nouveau travail à Strasbourg. Il me demande de lui prescrire ses neuroleptiques et de lui recommander un psychiatre. Jean est schizophrène depuis de très longues années. Il est un peu anxieux vu les changements, mais va plutôt bien.
Mathilde a 30 ans, je la connais depuis son enfance. Il y a 10 ans, elle a fait un épisode délirant paranoïaque qui a duré plusieurs mois. Elle a pris un traitement pendant 2 ans, puis a décidé de l’arrêter en raison de ses effets secondaires : prise de 25 kg en 2 ans. Après l’avoir hospitalisée, je l’ai perdue de vue pendant ces deux ans là. Elle n’a plus jamais eu de symptômes. Elle a 2 enfants et travaille comme aide-soignante. Elle va bien.
Camille a 42 ans. Elle a une psychose et un handicap mental léger associé à des malformations osseuses sévères . Elle vit en foyer et travaille dans un ESAT (établissement et service d’aide par le travail). Elle se fatigue vite et a de plus en plus de mal à travailler. Son éducateur me l’amène pour faire un bilan. On s’oriente vers une admission en MAS (maison d’accueil spécialisée). Dans ce cas, elle ne travaillera plus et je me pose la question du bienfait de cette orientation. Elle est suivie par une psychiatre à laquelle j’adresse un courrier pour avoir son avis.
Francis a été passé aux neuroleptiques injectables
Francis est un nouveau patient de 50 ans, il est schizophrène et en très mauvais état général. Il s’est défenestré il y a quelques années et a beaucoup de mal à marcher en raison des séquelles de ses fractures des membres inférieurs et de la colonne vertébrale. Il est suivi en CMP de secteur (centre medico-psychologique) tous les mois. Il a une mauvaise santé somatique et ne consulte pourtant que peu à mon cabinet. Il ne fait pas les bilans prescrits et prend mal son traitement neuroleptique. Du coup, le psychiatre du secteur qui le soigne est passé aux neuroleptiques injectables. Je vais contacter l’équipe du centre pour que le bilan soit fait.
Amélie souffre de maladie bipolaire. Je l’ai hospitalisée pour la première fois à 14 ans alors qu’elle faisait une dépression sévère. Le diagnostic de bipolarité a été posé plusieurs années plus tard après un énième épisode dépressif. Sa scolarité a été chaotique, alors que c’est une jeune fille brillante. Dix ans plus tard, elle va toujours plus ou moins mal malgré un traitement très lourd. Amélie vit avec l’allocation d’adulte handicapé. Elle a essayé à plusieurs reprises de reprendre des études, mais elle fatigue trop vite pour continuer.
Anne a 38 ans et deux enfants, elle consulte alors que son deuxième enfant qui a deux mois pleure en permanence. Elle pleure aussi beaucoup et ne se sent pas être une bonne mère. Elle me raconte avoir fait une dépression après la naissance de son premier enfant il y a 5 ans. À l’époque elle a pris des anxiolytiques, mais n’a pas consulté de « psy » comme elle dit : « Je ne suis pas folle vous savez ». Elle est incapable de reprendre le travail. Elle a perdu 7 kg depuis la naissance et ne mange presque plus rien. La sage-femme, qui est passée plusieurs fois chez elle, lui a demandé de consulter. Je la convaincs de consulter un psychiatre et prolonge son congé de maternité avec un congé maladie. Le psychiatre appelé la verra très vite.
Quand les maladies mentales s’invitent dans l’actualité
Les dernières actualités concernant le pilote de la compagnie allemande qui a crashé volontairement son avion entraînant tout le monde dans la mort, alors qu’il avait une maladie mentale (psychose ? dépression ?) et le professeur de sport qui a emmené ses élèves au ski sur une piste interdite les entraînant dans une avalanche, après avoir été soigné pour dépression ont entraîné des commentaires affligeants de la part des journalistes ou des commentateurs de tout poil.
J’imagine l’impact que cela a pu avoir sur les patients qui se soignent et qui font tout pour vivre le mieux possible avec leur maladie. Il existe un traitement des médias totalement discriminatoire par rapport à la maladie mentale, avec des jugements à l’emporte-pièce, en ne connaissant encore rien du dossier médical des personnes incriminées. Pourtant la plupart des patients qui ont été malades un jour s’en sortent et vivent à nouveau le mieux possible, travaillent et élèvent leurs enfants.
Dès l’écart, c’est la sanction
À la moindre faute de leur part on leur ressortira la maladie mentale et le fait qu’il est irresponsable de les laisser travailler sans contrôle, voire travailler tout court ou élever leurs enfants. On entend régulièrement parler de leur potentielle dangerosité.
La dépression et la psychose (ou la schizophrénie qui est une forme de psychose) sont des maladies très différentes qui peuvent toutes être très graves, voire amener au suicide, mais beaucoup de patients se soignent et très rares sont ceux qui mettent en danger la vie d’autrui (ils mettent plutôt la leur en danger). Laisser planer ce doute en permanence pour tous les malades ou anciens malades est au moins maladroit voire carrément de l’ostracisme.
Et si on parlait enfin ouvertement au XXIe siècle de la maladie mentale sans y associer plus ou moins consciemment le terme de « fou dangereux » ?
Aller plus loin
Sur Psycom.org : des ressources sur la schizophrénie
Sur Troubles-bipolaires.com : la nature des troubles bipolaires
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