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« C’était quelqu’un de très joyeux » : après s’être vu refuser l’asile, Makho est mort en Ukraine

En octobre 2022, Rue89 Strasbourg racontait le parcours de Malkhazi, qui se faisait appeler Makho. Ce Géorgien de 41 ans demandait l’asile après avoir combattu six ans en Ukraine. Après un refus de sa demande, le père de famille était retourné en avril sur le front. Il est décédé le 24 juin, à Bakhmut.

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Makho hommage

Difficile pour Juka de parler de son ami au passé, quelques jours après son décès. À une table de café du quartier gare, il cherche les mots pour décrire Makho. « On s’est connus en 2019 via un groupe de Géorgiens sur WhatsApp. On parlait souvent ensemble », retrace-t-il. « C’était quelqu’un de très joyeux, d’actif et qui cherchait toujours des solutions ».

Militaire de formation, Makho combattait aux côtés de l’armée ukrainienne depuis 2016. Animé par un sentiment « anti-russe », il laisse alors en Géorgie sa femme (décédée depuis) et ses quatre enfants, persuadé que s’engager en Ukraine protègera également son pays. En mai 2022, il est évacué vers Strasbourg (voir notre article). « Il a été exposé à des gaz toxiques sur une intervention et ne pouvait plus combattre, c’était difficile pour lui de respirer », soupire Juka. Un diagnostic confirmé par les urgences des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, que Rue89 Strasbourg a pu consulter en septembre 2022.

C’est là que les deux hommes se rencontrent, en vrai. Juka, 24 ans, titulaire d’une carte de séjour étranger malade, aide alors Makho à chercher le support médical dont il a besoin. Puis il l’oriente vers la Préfecture, où il dépose une demande d’asile.

Une demande d’asile refusée

Mais la demande ne se passe pas comme prévu. Après quelques semaines au camp de l’Étoile, Makho est logé dans une chambre de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), à la Robertsau. En septembre 2022, il part à Paris raconter son histoire à l’Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) et quelques mois plus tard, le refus tombe. « S’il avait pu rester en France et être protégé comme réfugié, il ne serait peut-être pas retourné en Ukraine », poursuit Juka.

Il demandait l’asile en France, parce qu’il est impossible selon lui de retourner auprès de ses enfants en Géorgie. « Si j’y vais, ils vont m’attraper car notre gouvernement est très proche de celui de Vladimir Poutine », expliquait-il à l’époque en montrant son portrait listé sur un site russophone. Impossible de savoir si ses craintes étaient fondées. Mais la force des récits qui lui parviennent d’anciens combattants rentrés en Géorgie, selon lui « emprisonnés » ou « disparus dès leur entrée sur le territoire », le persuade que rentrer « chez lui » n’est pas une option viable.

En France, Makho n’a pas le droit de travailler. Il passe ses journées à tourner en rond dans sa chambre, partagée avec un colocataire dont il ne connaît aucune des langues. « Des amis lui donnaient des cigarettes, de la nourriture aussi parfois, mais c’était difficile pour lui de ne rien pouvoir faire et de ne voir personne », poursuit Juka. « Pourtant, il disait toujours que la France l’avait sauvé et qu’il était très reconnaissant », tempère-t-il.

Des amis qui tentent de le retenir

Le 6 avril 2023, près de deux mois après avoir appris que la France ne lui octroyait pas le statut de réfugié, Makho est reparti en Ukraine. « Je vais prendre un bus jusqu’en Pologne puis chercher un moyen de retourner sur le front », confiait-il alors à Rue89 Strasbourg, tout en enchaînant les cigarettes. « C’est ma seule option ».

À l’époque, Juka tente de le dissuader :

« Je lui ai dit qu’il y avait une suite pour la procédure. Qu’il pouvait faire appel et être accompagné par un avocat. Son plan, c’était de pouvoir rester en France et d’être soigné, de faire venir ses enfants ici avec lui, car il ne les avait pas vus depuis 2016. On a beaucoup parlé avant qu’il ne parte. Il m’a dit qu’il n’avait rien ici. Je pense qu’il était plein d’orgueil, il pensait faire son devoir de patriote. »

Entre son retour en Ukraine et son décès, Makho envoie des vidéos du front et cherche auprès de ses interlocuteurs français de l’aide pour poursuivre sa demande d’asile. Il comprend alors qu’il lui reste encore une chance de pouvoir obtenir des papiers en faisant un recours à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Depuis l’Ukraine, il répond aux mails de son avocate et travailleur social dans un français approximatif.

« Je veux vivre en France »

Le 16 juin, quelques jours avant son décès, le père de famille demande encore, via Messenger, comment savoir à quelle date il devra revenir pour être auditionné. « Je m’intéresse à tout ce qui concerne la cour », écrivait-il alors :

« Je veux vivre en France. S’il y a une chance qu’ils me donnent les documents, je reviendrai avec ma petite amie ukrainienne ».

Le 24 juin, près de Bakhmut, il est tué dans un bombardement. « Il était dans une cellule de reconnaissance et a été touché par une bombe, tirée d’un char », écrit Juka sur une application de traduction. Information qu’il obtient lors d’un appel vidéo avec un camarade du front de Makho, le 27 juin. Impossible de vérifier auprès des ambassades géorgiennes en Ukraine et en France, qui n’ont pas répondu à nos sollicitations. Le ministère des armées ukrainien n’a pas non plus répondu à notre demande d’information.

Photos à l’appui et malgré l’émotion qui le submerge, Juka prouve le décès de son ami. On peut voir sur certaines, une cérémonie se déroulant dans la cathédrale Saint-Volodomir de Kiev, le 28 juin, où le nom de Makho n’apparaît pas. Mais surtout, plusieurs photos d’une cérémonie en Géorgie, dans la ville de Koutaïssi le 2 juillet, montrent une femme identifiée par Juka comme étant la mère de Makho se recueillir sur un cercueil. Sur et devant celui-ci, des photos du père de famille.

« La guerre, c’était sa mission »

Si la France avait donné l’asile à Makho, serait-il toujours en vie ? Pour un autre de ses amis, l’ex-politicien géorgien d’opposition (Free Georgia) Gogi Tsulaia, ce n’est pas sûr :

« Makho était quelqu’un de très patriote, il aimait beaucoup son pays. En Ukraine il y a environ 3 000 Géorgiens qui combattent. Ses amis participent à cette guerre. En décembre, l’un d’eux – qui a aussi habité à Strasbourg – est retournée en Ukraine où il est décédé. Ça l’a beaucoup impacté, il avait l’impression de les abandonner. Son rêve était de vivre avec ses enfants, mais la guerre, c’était sa mission pour son pays. »

Lors de sa dernière soirée strasbourgeoise, Makho a organisé un petit repas avec ses amis d’ici. Avec émotion, Juka se souvient des quelques mots qui laissaient présager qu’ils ne se reverraient pas. « Il m’a dit que c’était la dernière fois, et je sais qu’il le pensait vraiment », explique-t-il. En fond sonore de la vidéo qui immortalise le moment, un tango du groupe Thorgva que Juka ne cesse d’écouter depuis.

Le 2 juillet, jour de son enterrement dans la ville de Koutaïssi, des amis de Makho se sont rassemblés place de l’Étoile pour lui rendre hommage. « C’est pour dire qu’on pense à lui ici aussi », souffle Juka.

Makho hommage
Le 2 juillet, les amis de Makho se sont rassemblés place de l’Étoile pour lui rendre hommage. À gauche, le politicien Gogi Tsulaia et en deuxième position en partant de la droite, Juka. Photo : document remis

Tout au long des échanges avec Juka et Gogi, la situation particulière de la Géorgie est revenue au centre des préoccupations. « En France, vous estimez que la Géorgie n’est pas un pays dangereux », explique Juka.

« Mais il y a vraiment beaucoup de Géorgiens qui fuient notre pays, qui viennent en France soit pour des raisons politiques, soit car ils sont malades et que là-bas, personne ne peut nous soigner. »

Selon Gogi Tsulaia, la proximité de la guerre et les ententes perçues entre les gouvernements russe et géorgien font peur à ses compatriotes. « C’est vraiment juste à côté de chez nous. Certains considèrent que la Géorgie est un territoire occupé par les Russes et qu’on a tout intérêt à ce que l’Ukraine gagne cette guerre », poursuit l’ancien politicien d’opposition, qui cherche lui aussi à obtenir le statut de réfugié en France. « Avec Makho », se souvient-il alors qu’il tente de refouler quelques larmes, « on parlait tout le temps politique ».

Les propos recueillis auprès de Juka et Gogi l’ont été grâce à une interprète que nous remercions ici pour son aide.


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