« Bonnet, doudoune ou peignoir en cellule ». Accompagné d’une photo, Yohan (le prénom a été modifié) affiche les couches de vêtements qu’il doit mettre dans sa cellule de la maison d’arrêt de Strasbourg, à l’Elsau, pour ne pas avoir froid, fin novembre.
Depuis mi-novembre 2023, les deux systèmes de chaleur de l’établissement pénitentiaire peinent à fonctionner correctement et à assurer les 19 degrés normalement maintenus en cellule. Certaines sont traversées par des tuyaux qui font office de chauffage, reliés au réseau de chaleur, d’autres sont chauffées grâce à de l’air pulsé. Dans la semaine du 27 novembre, plusieurs cellules n’étaient plus alimentées en chauffage, selon nos informations. Et ce, malgré des températures extérieures inférieures à cinq degrés.
10 degrés dans les salles de classe
Les salles de classe ont affiché une température de 10 degrés les jours les plus froids mais les enseignants ont continué à donner cours.
« Nous avons une panne qui est en train d’être réglée », assure un assistant de prévention à la maison d’arrêt. Selon lui, le recours à des chauffages d’appoint électriques pendant les périodes les plus froides a permis de maintenir des températures ambiantes normales. Il confirme que l’administration a dû choisir entre chauffer correctement l’établissement et assurer deux heures d’eau chaude quotidiennes, pour les douches collectives. « C’était soit l’eau, soit le chauffage, mais ce sera bientôt réglé », assure-t-il.
« Quand l’eau des douches collective est chaude, c’est la course », illustre un intervenant social à la maison d’arrêt. Un prisonnier témoigne que lorsque l’eau chaude est présente, elle est parfois bouillante, rendant les douches très compliquées.
« Nous avons eu beaucoup de problèmes à la suite les uns des autres », concède-t-on à la communication de la direction inter-régionale des services pénitentiaires du Grand Est. Le 6 décembre au soir, une panne a touché le réseau électrique de l’Elsau et impacté le réseau de chaleur. Dès le 7 décembre au matin, la situation était revenue à la normale selon cette même personne, tant au niveau du chauffage que de l’eau. « Nous effectuons des relevés de température quotidiens et ils sont normaux », affirme-t-elle, précisant que diverses interventions ont dû être menées sur le système de chauffage de la maison d’arrêt.
Selon plusieurs sources concordantes, la panne de chauffage serait liée à un mauvais entretien du système et à des réparations temporaires chaque hiver, à la place de travaux plus conséquents. L’installation nécessite de renouveler certaines pièces tous les deux ou cinq ans, ce qui n’aurait jamais été fait. Certaines réparations partielles imposeraient en outre trop de pression sur d’autres parties du système, plus anciennes. La maintenance du chauffage aurait été lancée mi-novembre, imposant une restriction sur son efficacité étant donné les travaux.
Chauffage d’appoint, gants et gilets de rigueur
Dans certaines cellules, des chauffages d’appoint ou convecteurs électriques ont été utilisés en renfort et l’étaient encore la semaine du 4 décembre. « On est obligé d’apporter des gilets et des bonnets lors des parloirs, car les détenus se plaignent d’avoir froid », témoigne un visiteur dont un proche est incarcéré à la maison d’arrêt. « Les personnes qui se plaignent le plus du froid sont celles dont les cellules sont à l’extrémité des couloirs, où les murs sont en contact direct avec l’extérieur », confirme une source interne.
Interrogé, un ancien détenu n’est pas surpris par ces problèmes de chauffage à la maison d’arrêt de Strasbourg, qui existaient déjà lorsqu’il était incarcéré. Il se souvient avoir produit des requêtes écrites à l’administration sur ce sujet :
« Si vous avez de la chance, on vous donne une couverture pas trop vieille et ça suffit lorsqu’il fait froid. Si vous avez les vieilles couvertures vertes, vous devez vous emmitoufler pour ne pas souffrir de la température. Les fumeurs renoncent même à ouvrir la fenêtre pour conserver le chaud, malgré l’odeur. »
Lors de ses discussions avec les détenus, un intervenant social observe une certaine lassitude : « Beaucoup me disent que chaque hiver, c’est la même chose ». En 2018, un détenu avait déjà contacté la presse pour dénoncer l’arrêt momentané du chauffage dans sa cellule.
De son côté, la direction inter-régionale des services pénitentiaires du Grand Est assure que « la situation est suivie de près » et que des protocoles d’urgence sont mis en place lorsque la température baisse, comme au soir du mercredi 6 décembre, après une panne électrique dans le quartier de l’Elsau.
Des problèmes avec l’eau chaude depuis 2009
En 2017, le rapport du contrôleur général des lieux de privation de libertés (CGLPL) estimait, après sa troisième visite, que des travaux étaient nécessaires « concernant notamment le circuit de chauffage et de distribution d’eau chaude sanitaire ». Il observait déjà que des douches dans le bloc de détention restaient froides et que la capacité de production d’eau chaude était calibrée pour 450 détenus – en novembre 2022, elle en accueillait 641. En 2009, un autre rapport du CGLPL pointait également le manque d’eau chaude dans les lavabos. Depuis, en 2018 et 2019, le système d’eau chaude a été remplacé dans les bâtiments A et B – les travaux ont coûté 86 000 euros.
La maison d’arrêt de l’Elsau, mise en service en 1988, a vocation à accueillir les détenus provisoires (ceux qui attendent d’être jugés) ou condamnés à deux ans de privation de liberté maximum. Le renouvellement permanent de détenus et de personnels rend invisibles les requêtes concernant le chauffage, selon un intervenant social :
« Vu que ce sont souvent de nouvelles personnes, contrairement à un centre de détention où les détenus restent plusieurs années, c’est comme si le problème était sans cesse nouveau. Comme si ce n’était pas la peine de le régler, vu qu’en terme de vécu, c’est temporaire. »
Contactée, la direction de la maison d’arrêt de l’Elsau « ne souhaite pas communiquer sur ce sujet ».
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