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Au Maillon, La Veronal invite à passer de l’autre côté du tableau avec Siena

Fin mars, Marcos Morau et sa Compagnie La Veronal présenteront Siena, au Maillon. Ballet contemporain créé en 2013, le jeune chorégraphe avait reçu la même année le prix du meilleur chorégraphe espagnol. Bien qu’il présente aujourd’hui ses créations sur la scène internationale, il n’est pas encore très connu en France et jouera bientôt pour la première fois à Strasbourg. L’occasion de dire quelques mots sur son travail captivant.

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Au Maillon, La Veronal invite à passer de l’autre côté du tableau avec Siena

Dans la salle d’un musée, une femme observe la Vénus d’Urbino, nu féminin réalisé par Titien en 1538. C’est par cette image que s’amorce la dernière création de Marcos Morau et de la compagnie La Veronal, Siena. Ce ballet nous entraine dans une réflexion sur le corps et sa perception : représenté, imaginé, sublimé, fantasmé, dansé… Une plongée dans un faisceau de références allant de la Renaissance – où l’homme découvre la conscience de soi – au XXIe siècle.

Fasciné par la géographie, Marcos Morau travaille depuis quelques années avec sa compagnie sur un Décalogue géographique où chaque territoire se lie à la danse par des images, pourtant il ne s’agit pas d’une description de ces lieux. Là où Moscow, une de ses précédentes créations, était centrée sur l’idée de peur, Siena l’est sur celle du corps. Dans cette création, il ancre son propos à Sienne en Toscane, dans l’un des foyers de la Renaissance. Pour lui, qui a d’abord étudié les Beaux-Arts, c’est l’occasion de mener un voyage à travers l’histoire de l’art, allant de la peinture au cinéma en passant par la musique.

Ce voyage commence dans un musée, espace clos où le temps se suspend et, bien entendu, lieu de conservation des œuvres. L’aspect idéal de la Vénus d’Urbino surplombe la scène, ses dimensions ont été agrandies, lui conférant une autorité supplémentaire. Elle est ici pour être contemplée mais regarde elle aussi le spectateur. La pensée humaniste du XVIe siècle avait placé l’homme au centre du monde, ici il est question du besoin narcissique de se regarder. Il interroge tous les arts visuels, y compris scéniques, et en premier lieu la danse.

Il est question du besoin de se regarder

Dès l’ouverture, une spectatrice observe le portrait d’une femme nue qui regarde le public, elle-même étant sous le regard d’un gardien de musée. La quasi solitude de la spectatrice est brisée par l’arrivée d’une série de danseurs en tenue d’escrime, peut-être là encore une façon de réfléchir sur le corps, celui des athlètes. Sous ce costume, les danseurs s’animent et leur enveloppe charnelle semble parfois s’altérer (voir le teaser), dans un style de danse propre à la compagnie baptisé le « Kova ».

Pour Marcos Morau cette scènel permet « de créer une logique interne de mouvement » :

« Le coude et le poignet sont en relation pour le danseur, par exemple, tout en composant une impression de mouvement illogique à celui qui regarde. J’aime ça. On continue à développer ce type de gestuelle. »

Cette esthétique mélange les styles classique, néoclassique et contemporain. La gestuelle géométrique, précise et dynamique, se compose de mouvements saccadés, d’entremêlements, de déviations. Elle est marquée par la redondance et la surabondance de signes qui créé une grammaire labyrinthique. Les danseurs exécutent des figures fantasmagoriques qui prennent parfois la forme de trompe-l’œil, d’autres de corps hybrides pour un rendu scénique d’une admirable étrangeté.

La compagnie La Veronal a créé son propre langage chorégraphique, le « Kova » (Photo: Jesùs Robisco)

Siena expose le corps et ses représentations dans des lieux hors du temps, mis en valeur par une scénographie très pure, voire aseptisée : un musée, une salle d’attente, une chambre funéraire… Ce sont également des endroits où l’homme et ses attitudes sont scrutées et où coexistent passé et présent, corps morts et corps vivants.

Ses représentations ont traversé des siècles à travers l’art. Intactes, elles sont gardées dans des espaces fermés. Les arts vivants ne peuvent être conservés de la même manière, les danseurs évoquent pourtant la peinture ou la sculpture dans une série de tableaux fascinants tant la gestuelle travaillée par la compagnie est complexe, précise et esthétique.

Une série de labyrinthes

Ces tableaux étranges fonctionnent comme des trames cinématographiques, ils forment une série d’imbrications qui s’entremêlent et visent à toucher la perception du spectateur au delà du stade conscient. Tandis que la bande sonore mêle des voix-off rappelant celles d’un jeu vidéo d’horreur, musiques de thriller, chants populaires italiens et airs d’opéra, la pièce est truffée de références plastiques, cinématographiques, littéraires… Du Titien à Pier Paolo Pasolini en passant par le poète italien Cesare Pavese, Marcos Morau ouvre un univers riche et dense, à tel point que le spectateur peut s’y perdre, peut-être pour son plus grand plaisir.

Un cadavre est transporté sur une civière, le spectateur est invité à quitter le musée pour rejoindre une chambre funéraire (Photo: Jesùs Robisco)

« Did that really happen? »

La densité de cette création, son étrangeté et les nombreuses imbrications lui confèrent une dimension onirique qui n’est pas sans rappeler le cinéma de David Lynch. Dans cet univers inquiétant, les fantômes hantent les vivants, qu’ils soient sur toile ou sur civière, et songes et souvenirs passés envahissent le présent. Une voix se demande « Were you really there? Did that really happen? » Interrogeant ce qui a lieu sur scène, ce qui est réel ou ne l’est pas. À travers le corps et sa finitude, Marcos Mauro traite de nos angoisses, d’où l’atmosphère anxiogène de Siena.

Les références artistiques sont multiples, de même les disciplines scéniques sont diverses. Dans cette compagnie pluridisciplinaire, les possibilités de la scène coexistent sous différentes modalités dans le but de traduire la réflexion par des codes de représentation et d’action. La Veronal collabore par ailleurs avec une autre compagnie, également programmée au Maillon cette saison, il s’agit d’El Conde del Torrefiel puisque Pablo Gisbert a co-écrit le texte et la dramaturgie.

Le style de la Compagnie La Veronal se démarque tant par sa gestuelle chorégraphique, son esthétique, ses références et la densité de son langage qu’on ne peut que vous conseiller de s’aventurer dans le labyrinthe de Siena !


#Danse

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