Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Au Maillon, Carte Noire à l’afro-féminisme

Le théâtre du Maillon anime un nouveau temps fort, consacré cette fois-ci à l’afro-féminisme. À l’intersection des oppressions et des luttes, ce mouvement oppose une résistance farouche à la norme et à l’invisibilisation des femmes noires. Avec ce focus, le Maillon ouvre tout son espace pour l’expression d’une parole puissante, multiple et marginalisée dans une société encore réfractaire. Théâtre, danse, lecture et ateliers, c’est un bouillonnement artistique qui fait la part belle au décloisonnement des arts et des corps.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Au Maillon, Carte Noire à l’afro-féminisme

Pour son focus de décembre, le Maillon a choisi de programmer une grande variété de formes artistiques. La lecture organisée mercredi 10 décembre par exemple propose de découvrir des morceaux choisis de littérature afro-féministe. Des textes que ne croisent que rarement le grand public, et qui sont d’autant plus précieux par leur éclectisme. Dans les murs du théâtre, des spectacles inédits sont proposés.

Carte Noire nommée Désir, l’espace de la parole rare

L’idée de Carte Noire nommée Désir germe en 2017, alors que Rébecca Chaillon travaille au théâtre de La Loge, à Paris. La direction lui propose alors une « carte blanche », terme consacré pour désigner les invitations que les théâtres adressent aux artistes. Ils fournissent un lieu, un temps d’accueil, des moyens et n’ont aucun droit de regard sur le travail mené. Rébecca Chaillon répond qu’elle préfèrerait plutôt une « carte noire », à la fois jeu de mot et référence à la célèbre marque de café. Né comme une blague, le projet s’affirme peu à peu avec la volonté d’offrir un espace théâtral de libre expression à plusieurs femmes noires. Le café est un produit aisément associé à la notion de désir, mais aussi à la couleur de peau.

Le jeu de mot de la « carte noire » porte en lui tout un imaginaire qui a mûri pour aboutir à ce spectacle. Photo : Sophie Madigand

Sur le plateau, les huit performeuses sont poétesses, chanteuses lyriques, comédiennes, circassiennes. La pluridisciplinarité de l’ensemble reflète la diversité des profils. Ces femmes ont des vécus et des identités différentes. Pourtant, dans la discrimination, elles se sont retrouvées assignées à leur statut de femme noire. Le spectacle est politique, mais aussi esthétique. La parole des afro-descendantes trouve un espace de résonance rare et elles comptent en profiter.

Ouvert à partir de 16 ans, Carte Noire nommée Désir chamboule allègrement les habitudes de représentation, infusées dans l’inconscient collectif. À l’intersection des luttes anti-racistes et féministes, l’afro-féminisme croise les histoires et les clichés. La marge de liberté permise dans ce projet permet l’explosion d’une créativité inhabituelle. C’est une chance de découvrir des esthétiques, des approches et des vécus éloignés de toute norme dominante.

La danse comme réunion des vies

Le spectacle Mailles réunit autour de la musicienne et chorégraphe Dorothée Munyaneza six femmes noires d’horizons variés. Malgré la disparité des peuples et des origines, Dorothée Munyaneza a pu constater la force transcendante du féminisme, une résistance nécessaire face aux crimes commis contre les femmes. Avec ses camarades, l’artiste tisse un spectacle dont la force vient du rassemblement. Le corps en mouvement devient collectif, et chacune de ses individualités renforce la structure globale.

Les costumes de Stéphanie Coudert proposent différentes approches de la liberté des corps. Photo : Leslie Artamon

La musique, le chant et la parole s’entremêlent de la même façon. De la cacophonie des voix et des clochettes émerge une harmonie singulière et inattendue. C’est parce que chaque parole s’exprime dans l’écoute et la solidarité du groupe que le résultat dégage une telle force. Chacune des participantes témoigne de son parcours, de la violence de son histoire. Tous les récits convergent alors dans un moment poétique vibrant d’énergie.

Une clôture engageante, pour passer à l’action

La journée de samedi terminera ce temps fort par de nombreux événements, dont certains participatifs. C’est le cas de l’atelier en mixité choisie Performer l’intime proposé par Aurore Déon. La comédienne accompagnera le public dans un travail de cartographie de vie, une matérialisation des émotions et du vécu, à travers la performance et le travail du corps. Dans Déployer les imaginaires c’est un travail de l’esprit, puisqu’il s’agira de repenser la façon de raconter les histoires. Les enfants (entre 6 et 10 ans) pourront adopter des points de vue plus marginaux, moins évidents, et ainsi redécouvrir des histoires qui semblaient monolithiques.

La symbolique des liens tressés et de la force issue de l’union est très présente dans l’afro-féminisme. Photo : de Vincent Zobler

L’afro-féminisme engage autant les artistes et les militantes que les chercheuses. La table ronde, samedi 11 décembre le matin Questionner les récits manquants réunira ainsi la chorégraphe Dorothée Munyaneza, la metteuse en scène Rébecca Chaillon ainsi que la sociologue Nassira Hedjerassi. Cette discussion portera sur l’autonomisation, la prise d’initiative dans la construction des mémoires collectives et la restauration des récits manquants.

Dans la foulée, un brunch sera organisé par BIM ! le bistrot du Maillon. Le DJ set prévu pour la soirée de clôture a dû être reporté suite aux annonces gouvernementales du 6 décembre, mais il devrait être reprogrammé dès que la situation sanitaire le permettra.


#féminisme

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Partager
Plus d'options