Monsieur le Président,
Par la présente, je veux vous donner des nouvelles de mes camarades grévistes de la faim. Lors de votre venue à Strasbourg, dimanche 4 novembre, vous avez dormi à quelques centaines de mètres d’eux, qui vous attendaient. Le niveau protocolaire de votre visite vous interdisant apparemment de les recevoir, vous avez envoyé une conseillère aux représentants du collectif qui les soutient ; elle n’a pas jugé utile de s’enquérir de leur état.
Pour avoir jeûné avec eux durant les quinze premiers jours de la grève, je peux vous dire que l’effort est rude, sur les plans tant physique que psychique. Ils entament leur quatrième semaine de jeûne et tous les médecins vous diront que désormais ils mettent gravement en péril leur santé, voire leur vie. Ils sont très affaiblis. L’une d’entre eux développe une toux inquiétante, les autres perdent leur voix, tous ont perdu entre huit et douze kilos.
Vous savez que leur protestation pacifique est dirigée contre le projet autoroutier de grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg. La mobilisation citoyenne contre ce projet est ancienne, parce que ce projet est absurde, tant il va à l’encontre de l’histoire et des principes mêmes de notre République.
« La seule vallée d’Europe encadrée par deux couloirs à camions »
Il est désormais acquis, même au sein de votre Gouvernement, que ce bout d’autoroute à péage de 24 km n’apporterait aucune amélioration à l’engorgement routier de l’agglomération strasbourgeoise, ni à la pollution atmosphérique qui la caractérise tristement. Il favoriserait le transit routier du nord au sud de l’Alsace, en doublant l’Autobahn A5 existant de l’autre côté du Rhin. Nous vivrions ainsi, entre Vosges et Forêt-Noire, dans la seule vallée en Europe qui compterait deux couloirs à camions ! Pire, le péage trop faible du GCO attirerait les camions qui voudraient éviter l’écotaxe LKW-Maüt allemande !
Au passage, outre plusieurs dizaines d’espèces naturelles protégées, ce GCO détruirait plus de 300 ha de terres d’un Kochersberg, dont tout indique qu’il devra retrouver sa vocation historique de grenier nourricier de Strasbourg et de l’Alsace.
Monsieur le Président, quel sens peut avoir un tel projet, alors que toute la communauté scientifique mondiale alerte sur l’urgence à traiter la pire crise que l’Humanité ait jamais eu à affronter, celle qui touche aux conditions mêmes de sa survie sur Terre ?
Au-delà de son sens, la façon dont ce projet est conduit laisse elle aussi pantois. Qui l’a initié ? L’État. Qui en a instruit les études et les procédures ? L’État. Qui a évalué ses impacts ? L’État. Qui a choisi le concessionnaire pour le réaliser ? L’État. Qui a défini avec ce concessionnaire les mesures compensatoires de ses impacts ? L’État. Qui a autorisé le début des travaux ? L’État. Qui a pris des arrêtés dérogatoires au droit commun pour faire entrer le projet dans les clous des décisions de justice qui lui étaient défavorables ? L’État. Qui contrôle l’effectivité des mesures compensatoires ? L’État…
« Le droit à l’environnement existe-t-il ? »
Dans son activité frénétique pour imposer ce projet, l’État n’a tenu aucun compte des résultats de toutes les consultations auxquelles la loi le soumettait, ni des deux avis négatifs du conseil national de protection de la nature, pourtant instance consultative de votre Gouvernement, ni des avis négatifs de l’Autorité environnementale, ni des avis négatifs des commissions d’enquête publique successives.
Le droit de l’environnement existe-t il encore dans notre pays, quand ceux qui ont en charge de l’appliquer en bafouent et les objectifs et l’esprit ? Que dire ainsi de la décision prise en référé “à titre exceptionnel” par le tribunal administratif de Strasbourg de ne pas suspendre les coupes d’arbres, malgré les “doutes sérieux” qu’il reconnaissait quant à la légalité des arrêtés attaqués ? Que dire de ces nouveaux jugements en référé, – procédure d’urgence, en principe -, reportés à plusieurs semaines, lorsque les arbres concernés auront bien été abattus ? Que dire de ces décisions de justice qui tomberont dans plusieurs mois, sans doute négatives, mais qui sont rendues caduques de fait, puisque les travaux auront été largement entamés ?
Monsieur le Président, les anomalies de ce dossier sont trop graves et nombreuses pour que vous puissiez continuer à les cautionner. Il y va de l’urgence écologique et climatique ; il y va de notre confiance dans le fonctionnement de nos institutions, dont vous êtes le garant.
Les grévistes de la faim de Strasbourg ne menacent personne. Ils n’envisagent pas de brûler des portiques autoroutiers, ni de déverser des tombereaux de fumier devant les préfectures, ni de bloquer les routes du pays. Leur action est non-violente et affirme, par leur jeûne auquel se sont solidarisés bon nombre de nos concitoyens, un principe de sobriété qui nous parait essentiel à la résolution des défis qui se dressent devant nous.
L’issue de leur action vous appartient, en pleine responsabilité.
Monsieur le Président, vous avez eu le courage exemplaire d’abandonner le projet d’aéroport à Notre-Dame des Landes. Nous vous encourageons à persévérer dans cette voie, en prononçant un moratoire sur le projet de GCO (il en est encore temps), afin de permettre sa remise à plat.
Nous n’oublions pas qu’en France, plusieurs dizaines de ces projets inutiles et écocides suscitent les mêmes interrogations et les mêmes oppositions que le projet de GCO. Votre Gouvernement s’honorerait devant l’histoire, s’il prenait la décision de tous les réexaminer à l’aune des enjeux exceptionnels et dramatiques de notre siècle.
Recevez, Monsieur le Président, mes salutations les plus respectueuses.
Marc Hoffsess
Gréviste de la faim anti-GCO et pro-climat
Chargement des commentaires…