Commençons par évoquer ton parcours. Comment en es-tu venue au journalisme sportif ?
Je voulais faire du journalisme depuis toute petite. J’ai toujours aimé écrire et j’ai gardé ce projet en tête tout au long de ma scolarité. Par ailleurs, je suis issue d’une famille de sportifs et dès l’âge de 6 ans j’ai pratiqué le foot. Donc journaliste et pourquoi pas journaliste sportif, mais sans être une obsession par rapport au sport. Une fois à l’école de journalisme, je me suis rendue compte que j’étais une des rares filles à m’y connaître en sport et c’est ainsi que je commence par un stage à l’Équipe TV.
Nous sommes alors en 2001…
Le stage à l’Équipe TV se passe très bien ; je me souviens notamment de belles discussions avec Didier Roustan, fan de Cantona tout comme moi ! Ensuite, j’enchaîne avec un autre stage, à la rédaction de France Bleu à Paris, et là le rédacteur en chef de l’époque – Alain Ménargues – me dit : « Lucile, j’ai beaucoup aimé ton passage chez nous, si jamais j’entends quelque chose pour la suite je te fais signe ». Peu après, il m’appelle et m’apprend qu’un poste de pigiste permanent se libère à France Bleu Creuse, à Guéret. Ils recherchaient alors quelqu’un de polyvalent, qui sache faire sport et info générale. Du coup, je me rends là-bas et j’en viens à commenter des matches de Promotion de Ligue ! Finalement, au bout d’un an, je suis intégrée en CDD.
Après 4 ans de CDD à Radio France à travers l’hexagone, de 2002 à 2006, tu débarques à Strasbourg. Pourquoi l’Alsace justement ?
Au bout d’un moment, comme tous les CDD, j’ai passé un entretien au niveau national pour être embauchée de manière définitive et j’ai été prise. Et c’est là qu’on me dit : « Tu vas à Strasbourg pour t’occuper de sport ! » Bon, comme peu de femmes sont orientées sport, c’était un peu de la discrimination positive de la part de Radio France. Je ne m’attendais vraiment pas à un poste à temps plein comme journalisme sportif. Voilà comment je suis arrivée.
Vraiment le hasard en fait…
Totalement !
« Pour certains, une femme n’a rien à faire derrière un micro »
France Bleu Alsace te confie alors la mission de commenter le Racing en direct. Comment vis-tu tes débuts à l’antenne ?
Au début, très mal. Il fallait que je gère plein d’informations d’un coup. Et puis je prenais le relais d’un des meilleurs commentateurs du réseau : Mathieu Dubrulle. Par ailleurs, j’entendais certaines réflexions machistes d’auditeurs : « Mais qu’est-ce qu’elle fait là ? Qu’elle retourne à sa cuisine ! ». Mais ça m’a aidé à me battre, à prouver que j’en étais capable. Il a fallu s’accrocher. Finalement, au bout de 6 mois, le malaise s’estompe. Après, une minorité estimera toujours qu’une femme n’a rien à faire à commenter du foot.
Pourtant, le foot est une vraie passion pour toi. Un sport que tu as d’ailleurs pas mal pratiqué…
J’ai commencé à Cambes-en-Plaine, à côté de Caen. Mon père avait été muté en Normandie et j’ai démarré comme ça, en débutantes. On était quatre filles dans l’équipe. J’ai fait toutes mes classes à Cambes-en-Plaine, puis je suis revenue en région parisienne où j’ai évolué dans plusieurs clubs. J’ai aussi joué au tennis, pratiqué le ski…
Étant originaire de la région parisienne, quel est ton club de cœur à l’origine ?
Le Red Star forcément, ma famille étant originaire du 93, même si je suis née dans le Val-d’Oise, à Villiers-le Bel. Mon cousin d’ailleurs a joué au Red Star. Et puis il y a aussi le PSG des années 90, avec du Valdo ou du Raï sur la pelouse. À l’époque, tu voyais souvent de très beaux matches au Parc. Le PSG avait une équipe fabuleuse. Quelle ferveur au stade ! J’étais habituée de la tribune Auteuil. Malheureusement, cette belle ambiance a été cassée plus tard, en 2010, par le plan Leproux. Certes, il existait des problèmes de violence qu’il fallait bien sûr régler, mais de là à réprimer autant le supportérisme… Je trouve ça aberrant.
« Je suis devenue fervente supportrice »
Revenons en Alsace. Après plus de 10 ans passés à suivre le Racing, as-tu le sentiment aujourd’hui d’en être devenue supportrice ?
Forcément. Lorsque l’on commente du direct sur une antenne régionale de France Bleu, on est amené à s’emballer pour le club local. Au total, j’ai dû couvrir 400 matches du Racing de 2006 à 2016. Dans ces conditions, on en devient supportrice fervente.
Carrément fervente ?
Oui. Je suivrai le Racing jusqu’à la fin de ma vie. Après, je ne suis pas dupe des choses qui peuvent mal se passer. Quand l’équipe déjoue, je le dis. Je n’ai pas d’œillères au point d’affirmer que tout est rose au Racing.
En 10 ans, quels sont les joueurs qui t’ont le plus marqué ?
Un garçon comme Stéphane Cassard m’a beaucoup touché. Au terme du match de Montpellier en 2009, quand il sort en larmes, il émeut absolument tout le monde. Son attitude était tellement sincère, il défendait à fond les couleurs du Racing : un véritable exemple. Cette année-là, le Racing rate la montée en Ligue 1 à la dernière journée, c’était terriblement cruel. Sinon, un mec comme Guillaume Lacour prenait bien ses responsabilités : il faisait le boulot. Après, il y a eu des joueurs fantasques comme Wason Renteria, passé au club entre 2007 et 2008, mais qui n’est pas resté longtemps.
À cette époque, le club est dirigé par Philippe Ginestet, accusé par beaucoup d’avoir été le fossoyeur du Racing…
On peut effectivement se demander si Ginestet et ses acolytes n’ont pas précipité la chute du club. Qui a revendu le RCS à l’obscur Roman Loban fin 2009 ? A-t-on jamais su un jour qui est ce Roman Loban ? A-t-on eu des infos sur le montant de la transaction ? J’aurais bien aimé avoir des éléments sur tout cela. D’abord, il y a eu Loban, puis Alain Fontenla et Jafar Hilali. Bref, on n’y comprenait plus rien. Au final, le principal fait d’armes de Ginestet est d’avoir cédé le club à Roman Loban…
Au niveau des entraîneurs qui se sont succédés au Racing depuis 10 ans, qui peut-on ressortir du lot ?
Mention spéciale à Laurent Fournier, tout simplement parce qu’il a coaché la pire année du Racing, en 2010-11, avec Jafar Hilali à sa tête. Je me souviens d’un match à Amiens, où c’était Fournier qui avait payé l’hôtel des joueurs parce que le club n’avait pas réglé les chambres ! Malgré tout, l’équipe tourne bien cette saison-là, mais finit par échouer au pied du podium de National avec un nombre incalculable de points au compteur. Clairement, Fournier aurait mérité une meilleure réussite.
« En Alsace, personne ne veut investir au Racing »
Historiquement, au-delà de ses succès épars, le Racing n’a jamais figuré durablement parmi les meilleurs clubs français. Comment l’expliques-tu ?
Il y a peut-être eu trop de changements au niveau de la présidence ou de l’actionnariat. Sinon, l’Alsace est une des régions les plus riches de France, mais y a-t-il seulement un gros actionnaire qui s’intéresse au Racing ? Ginestet a été obligé de vendre à Loban ?! Le club n’intéressait personne d’autre ? Parfois, je me demande bien pourquoi personne ne veut investir. Peut-être parce que l’Alsace est une région identitaire et que cela fait peur à certaines personnes. Après, il y a plusieurs facteurs à considérer…
Actuellement, le club est dirigé par Marc Keller. Que penses-tu des propos de Gilbert Gress qui, dans une interview récente à l’Equipe, mettait en doute son honnêteté ?
C’est de la provocation à la Gress.
Keller est-il un bon président pour le Racing ?
Oui, je pense. Il a amené de la stabilité, qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas. Aujourd’hui, le Racing n’a pas de problème d’argent, comparé à pas mal de clubs de Ligue 1, Ligue 2 ou National. Pour cela, le supporter du Racing peut être rassuré. Mais est-ce que ça suffit à en faire un bon président… Je suis un peu mitigée en fait. Il est sans doute trop tôt pour en juger.
Dernièrement, le Racing ne s’est extrait du National qu’au terme de 3 saisons ennuyeuses…
Il y a eu six beaux mois avec Jacky Duguépéroux, à partir de janvier 2015 et l’arrivée de Jérémy Blayac. À ce moment-là, on ne s’ennuyait pas : il y avait du jeu et des buts. Là, le choix a été fait de partir avec un autre entraîneur – Thierry Laurey – qui a annoncé du spectacle, ce qu’on attend toujours pour l’instant. Sur les prochaines saisons, Marc Keller va jouer gros. Et si jamais on monte en Ligue 1, qu’est-ce qu’on fait ? Ne sera-t-il pas nécessaire d’ouvrir le capital ? Encore une fois, je ne suis pas sûre que le Racing intéresse beaucoup d’investisseurs.
Ce qui fait peur de l’extérieur, n’est-ce pas aussi le fait que le Racing fédère un entre-soi où ce sont toujours les mêmes personnes qui y gravitent ?
Difficile à dire. Si Keller doit ouvrir le capital, on verra bien s’il se tourne vers des gens de l’extérieur… Ou vers des amis d’Egon Gindorf, ex-président entre 2003 et 2005, un très proche de Keller. On n’a pas beaucoup parlé d’Egon, qui n’est pas alsacien, mais qui aime profondément le Racing. Son grand âge fait qu’il finira par passer la main, forcément.
Gindorf continue de donner beaucoup d’argent au Racing…
Et il continuera. Tant que Marc Keller sera là en tous cas.
« Thierry Laurey a l’air de savoir où il va »
Passons à la saison en cours. Comment juges-tu le début de saison du Racing ?
C’est déjà mieux que ce qu’on a vu la saison dernière, pour l’instant (N.B : l’entretien a eu lieu le 23 septembre) les résultats sont là, mais globalement… Je ne sais pas, tu en penses quoi toi ?
Pour le moment, je trouve que le classement est bien payé par rapport au niveau de jeu. Maintenant, ça marque plus de buts que l’an dernier, ce qui est un élément positif. A voir sur la durée, là aussi…
Après, il y a des joueurs qui ne sont pas dans leur état de forme, comme Vincent Gragnic. Mais pour l’instant je trouve que c’est décevant. Malgré cela, ils vont sans doute se maintenir assez facilement. Je ne sais pas quelle place a budgétisé le club, mais terminer 7ème ou 8ème serait déjà pas mal.
Quels sont les joueurs à suivre cette année ?
J’aime bien Vincent Nogueira ; il a un choix de carrière assez étonnant, qu’il assume parfaitement apparemment. Ernest Seka sera à suivre aussi, un vrai boss en défense ; à terme, il sera sans doute difficile de le garder. Puis le meilleur joueur des quelques derniers matches c’est quand même Dimitri Liénard, lui qui vit ses premières heures dans le professionnalisme. Beaucoup l’ont critiqué pour son choix de rester au club, mais rien que contre le Red Star il touche le poteau et a les meilleures occasions en première mi-temps.
Cet été, Thierry Laurey est arrivé sur le banc. Un bon choix selon toi ?
Sur son vécu, oui. Il a notamment une expérience de montée en Ligue 1 avec Ajaccio, avec peu de moyens, ce qui est forcément intéressant. Sinon, c’est quelqu’un qui a les idées arrêtées, sans bla bla inutile. A priori, j’ai plutôt confiance en lui, puis c’est quelqu’un qui est intéressant dans ses propos, qui a des choses à raconter et qui a l’air de savoir où il veut aller.
Une parenthèse quant à la pelouse de la Meinau. Selon toi, actuellement, c’est l’une des plus belles de France…
Oui, effectivement. T’as vu Nice ou Montpellier les pelouses, en comparaison ? À la Meinau, les arbitres et les équipes adverses hallucinent !
« Après 10 ans, la routine commençait à me peser »
Depuis la rentrée, tu ne commentes plus les matches du Racing. Etait-ce un choix d’arrêter ?
Oui. Cela faisait déjà plus d’an que j’y pensais. Dix ans, quand on suit un club, c’est extrêmement long, sachant que quand le match est fini le travail, lui, n’est pas terminé. Je couvrais les matches du Racing à domicile comme à l’extérieur, et donc je n’avais aucun week-end parce qu’en tant que journaliste sportif je suivais aussi les autres sports pour France Bleu Alsace. Aucun week-end, et donc peu de vie sociale et une vie sentimentale difficile aussi. La routine professionnelle commençait un peu à me peser. Et bien avant la fin de saison, j’ai eu une proposition pour devenir rédactrice en chef adjointe et je l’ai acceptée. C’est un challenge intéressant, je découvre une nouvelle facette de mon métier. Et comme je suis libre le week-end désormais, je vais pouvoir aller au concert de Ben Harper en octobre !
As-tu une péripétie à nous raconter, tirée de ces 10 ans à suivre le Racing ?
Une fois, à Niort, le directeur sportif local a voulu me casser la figure. J’avais besoin de traverser la coursive pour aller voir les joueurs de l’autre côté du stade et là le mec me prend par le col et me crie : « Si vous n’étiez pas une femme, je vous casserai la gueule ! ». Intervient mon collègue de la presse écrite, ça commence à s’enflammer et c’est Jean-Pierre Papin qui a dû séparer les deux !
Avec Hervé Bride (Europe 1), on évoquait sur ce même blog les buffets destinés aux journalistes. Tu confirmes que le pire c’est Metz ?
Ah les buffets de Ligue 1 ! Ca nous manque. À Bordeaux on mangeait très bien, tout comme à Lyon ou au Parc. Mention spéciale également pour la galette-saucisse à Rennes. Metz effectivement c’était très mauvais !
Et à Strasbourg, comment juges-tu l’accueil des journalistes ?
Jusque-là, c’était une catastrophe. L’année dernière, on était en Corse et le président du club en question nous propose un énorme buffet : de la bonne charcuterie, du fromage, etc. Marc Keller voit ça et demande l’air surpris : « C’est pour les journalistes ? ». En comparaison, à Strasbourg, il n’y avait même pas une bouteille d’eau. Du coup, les choses ont changé suite à ça.
Terminons sur Éric Cantona, un joueur dont tu es une grande fan. Comment est née cette passion « cantonesque » ?
Quand j’étais petite, dès que je pouvais, je regardais tous ses matches à la télé. On était au milieu des années 1980. J’ai commencé à bien l’aimer quand il jouait à Montpellier. Par la suite, j’ai acheté toutes ses biographies et vu, revu tous ses buts…
Le plus beau ?
Le plus marquant pour moi c’est celui en finale de FA Cup contre Liverpool, à Wembley, en 1996. Suite à un corner, à 20 mètres, la balle arrive sur lui, reprise de volée… Il marque le seul but du match et Manchester United gagne 1-0.
Et comment as-tu vécu ses déclarations juste avant le dernier Euro, accusant Didier Deschamps de racisme ?
J’ai trouvé ça déplacé, ça m’a déçu de lui. Qu’est-ce qu’il en savait des choix de Deschamps ? Ou alors si son opinion se basait sur un vécu de l’époque où il était joueur, il fallait qu’il aille plus loin, qu’il étaye son propos. Bref, c’était complètement con.
On en arrive au mot de la fin…
Allez Racing !
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