« Gling gling gling » à l’annonce du chiffre 69, des bruits de grelots résonnent au centre socioculturel de Mundolsheim, au nord de Strasbourg. Une coutume du Loto Bingo qui vient briser un silence studieux.
Ce samedi 3 septembre, près de 350 personnes sont concentrées à déposer des jetons sur les numéros tirés au sort de leurs cartons colorés. Pas question de louper l’un des 27 lots que l’association Klampechlape (ce qui n’est pas loin de signifier « le clan des pantouflards » en alsacien) fait gagner ce soir.
5 000 à 6 000 euros de marchandises trônent sur scène : une machine à laver, un vélo, un salon de jardin, une tireuse à bière, une trottinette, un ordinateur portable, une tablette, un drone, un four à tarte flambée, une télévision, un robot mixeur, des enceintes bluetooth, une machine à café etc. Des lots achetés pour la majorité en promotion par Claude Fessler, président de l’association. Les deux Loto Bingo annuels de l’association lui demandent une vigilance tout au long de l’année :
« Notre association vit notamment grâce aux Loto Bingo. Les joueurs sont fidèles mais exigeants. Il faut limiter les coûts pour rentrer dans ses frais et espérer récolter un petit peu d’argent au profit de l’association. »
Le Loto Bingo pas que pour les vieux
Laurent plonge sa main dans un imposant sachet de 2 kilogrammes de bonbons colorés posé sur la table. Salwael et ses amis se sont mis à leur aise, ils ont ramené une thermos de thé et une de café pour maintenir leur attention éveillée et des douceurs à grignoter. Ici, chacun peut amener nourriture et boisson, ce qui n’a pas empêché Salwael de craquer pour une part de tarte maison vendue à la buvette.
Depuis qu’elle a découvert le Loto Bingo, Salwael joue tous les deux mois environ. Elle s’est équipée d’une spatule aimantée pour attraper facilement les jetons, de ses propres cartons avec ses numéros fétiches : le 1 et le 90, et de ses jetons qu’elle range soigneusement dans une jolie trousse à fleurs :
« La première fois que j’ai entendu parler du Loto Bingo, je pensais que c’était pour les personnes âgées. Mais finalement, c’est assez jeune, familial, et convivial. J’aime l’adrénaline que l’on ressent quand de beaux lots sont en jeu. C’est sûr que je ne me déplace pas pour un panier garni. »
Le budget d’une soirée Loto Bingo
Pour la soirée, le budget de Salwael oscille entre 20 et 30€ : faire valider un carton coûte 4€. Ici, il faut en acquérir au moins quatre pour pouvoir entrer. Puis, il y a les à côtés, au fur et à mesure de la soirée le prix du carton baisse jusqu’à 1€, alors que le gros lot tiré au sort en dernier est toujours en jeu.
En fin de soirée, les pâtisseries sont bradées. Dans la salle, il n’y a pas de climatisation, entre deux thés, une bonne gorgée d’eau tout juste sortie du frigo est la bienvenue. Salwael a prévu ces petites dépenses supplémentaires qui peuvent être encore plus importantes lorsqu’un Loto Kardel est organisé.
Le Kardel, c’est un carton pour un tirage unique vendu le plus souvent autour de 5€. Il sert à gagner un lot exceptionnel, généralement le plus gros lot de la soirée. Il n’est pas obligatoire mais en moyenne deux tiers des joueurs l’achètent. Une pratique qui déplaît à Julien Munch, jeune membre de l’association et joueur depuis 5 ans :
« Je ne vais pas aux Lotos qui organisent un Loto Kardel. Il faut penser au porte-monnaie des gens, et donner à tout le monde la chance de gagner un voyage avec sa mise de départ. »
Personne ne gagne à tous les coups
Près de 30 bénévoles sont aux petits soins des joueurs. Le silence règne, trois pauses sont prévues pour discuter, se dégourdir les jambes et s’aérer. Pendant le jeu, les grands bavards se font rapidement rappeler à l’ordre, seuls les chuchotements sont tolérés. Chacun espère pouvoir crier Bingo avant son voisin, puis, un grand « Bi ! » rompt le silence. Fausse alerte. Un souffle sourd parcourt la salle avant de laisser à nouveau place à une tension muette.
Dans un premier temps, Claude Fessler reste discret sur les sommes qui circulent. Sa première crainte est d’attirer les voleurs. Il a confiance en son équipe de bénévoles, et le plan Vigipirate qui impose la fouille à l’entrée limite les risques de braquages, mais il est conscient que de manipuler tant de liquidités est un risque. Lorsque la salle est comble, une soirée comme celle-ci peut rapporter 3 000 à 4 000€ de bénéfices. Ce soir, Jérôme Muckensturm, en charge des inscriptions, espère juste atteindre l’équilibre :
« En général nous sommes complets. Je refuse même une centaine de personnes. Aujourd’hui, avec la rentrée, le beau temps tardif et les gens qui préfèrent organiser un barbecue, nous avons 330 personnes au lieu de 430. Vu que les dépenses sont fixes, cela peut être catastrophique. Ce soir, le Loto de Reichstett a été annulé par manque de monde. »
Un cadre juridique
Le Loto Bingo est une activité réglementée. En principe, tombolas et loteries sont interdites en France. Seules les loteries associatives ayant pour but de financer des activités culturelles, sportives ou des actes de bienfaisance peuvent être organisées trois fois par an maximum. Le prix des mises est plafonné à 20€.
Avec ce Loto, l’association espère pouvoir financer l’achat d’une vieille ferme à Aspach pour la transformer en relais pour les randonneurs. Les quinze membres de Klampechlape sont des anciens membres des Amis de la nature qui ont décidé de monter leur propre projet. Ils ont signé un compromis de vente à 33 000€ et comptent sur le Loto Bingo pour rembourser le crédit.
La stratégie du hasard
Mireille Delatte, une grande habituée du loto Bingo a déjà gagné quatre télévisions. Avec son mari, ils ont décidé de revendre la dernière, ça commençait à faire beaucoup à la maison. Aujourd’hui, la chance n’est pas de son côté, elle repartira bredouille.
« Vous avez vu, il ne m’en manquait qu’un ! Et bien sûr, c’est le 13. »
Les numéros et le hasard laissent place à quelques superstitions. Les uns aiment choisir leurs cartons en fonction de leurs numéros fétiches, d’autres choisissent leur emplacement dans la salle, en bout de table ou devant la scène. Personne ne semble jamais gagner à la table située devant le bar. Des détails non négligeables pour les habitués.
Les non initiés, eux, se laissent surprendre par les nombreux codes du Loto Bingo. Il n’y a pas que le chiffre érotique qui fait réagir. On se laisse par exemple surprendre par un « Coin Coin » si le chiffre 80 est tiré au sort ou un « Pastis ! » pour le 51, bien entendu. Les chiffres des départements ont aussi leur petit succès, surtout pour les expatriés qui montrent ainsi leur appartenance à une région plus ou moins lointaine, comme la « Lorraine » qui résonne à l’appel du 57.
« Bingo ! Bingo ! »
Double Bingo. Une clameur se lève. C’est une égalité. Le vainqueur est tiré au sort puis on reprend. Aucune protestation, c’est le destin qui choisit. Yannick, un des bénévoles qui tient le bar, souligne le fairplay des joueurs :
« Notre public est formidable. Personne ne hausse le ton. Il n’y pas de bagarres. Pas mal de personnes ramènent leurs assiettes et verres au bar. Ils consomment assez peu d’alcool car beaucoup repartent en voiture, du coup, il n’y pas de poivrots en fin de soirée. Quand la soirée est finie, les gens s’en vont rapidement. C’est très agréable à gérer. »
Une organisation bien huilée
À minuit et demi, c’est l’heure de vérité. L’heure de connaître la série de numéros qui vont permettre de gagner le gros lot, un bon pour un voyage de 700 euros. « Bingo ! » crie Jérôme, la trentaine. Les yeux de sa femme, Émilie, pétillent déjà à l’idée de leur prochain voyage :
« On joue tout le temps au Loto Bingo. On a déjà gagné un voyage en Italie et une croisière sur le Rhin. Il faut qu’on y réfléchisse mais on ira probablement en Grèce cette fois-ci. »
Le gros lot gagné, la soirée se termine. Tout le monde se lève, les gagnants vont récupérer leurs lots. En quelques minutes la salle est vide. Les lots les plus lourds et les plus encombrants, salon de jardin ou machine à laver disparaissent en quelques minutes, emportés par un essaim de déménageurs terriblement efficaces.
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