Une jeune héritière, Bathsheba Everdeene prend la résolution de diriger seule la ferme léguée par son oncle en Angleterre. Mais il n’est pas bon d’être femme belle et libre et de vouloir s’assumer seule et sans mari à l’époque victorienne.
Bathsheba qui semble être issue d’un portrait d’Edouard Burnes Jones, a fermement décidé qu’elle ne se marierait ni par besoin de protection, ni par nécessité de répondre d’un impératif social quel qu’il soit. Elle ne s’engagera qu’avec l’homme dont elle sera amoureuse, celui qui saura parler à son cœur tout en prenant en compte son besoin d’indépendance et de liberté.
Un classique indémodable
Au Royaume-Uni, Loin de la foule déchaînée de Thomas Hardy est un monument sacré, au même titre que Raisons et Sentiments ou Les Hauts de Hurlevent. Il a été élu par The Guardian «10e plus belle histoire d’amour de tous les temps». On ne s’attendait pas forcément à retrouver l’auteur de Festen de La Chasse aux commandes d’une grande fresque romantique, et pourtant !
Même si on le sent radicalement différent de tout ce qu’il a réalisé jusqu’à présent, Thomas Vinterberg nous apparait à tout moment comme très intimement lié à l’histoire de cette femme belle et rebelle, ainsi qu’à celle de son fermier courageux et dévoué. Il est d’ailleurs en adhésion totale avec tous ses personnages ; il parle de façon intime et singulière à travers chacun d’eux, et c’est ce qui fait essentiellement la force de ce très bel opus.
La réalisation à la fois classique et lumineuse, porte chacun des rôles à son sommet, et la tension ne tient pas dans le dénouement qui nous est révélé dès les premières images, mais dans le combat que chacun des protagonistes aura à vivre et à affronter.
Trois hommes pour Batsheba
Bathsheba se fera courtiser par trois hommes bien différents. Le récit s’ouvre directement sur le premier d’entre eux et nous présente Gabriel Oak, un berger travailleur qui possède son propre troupeau à Norcombe. Gabriel croise par hasard la belle Batsheba Everdene dont il tombe amoureux dès les premiers regards.
Très rapidement, il lui demande de l’épouser et elle refuse espérant un parti plus intéressant. Mais on sait déjà que son cœur a chaviré, et que c’est à l’aune de cette demande qu’elle jugera ses deux autres prétendants.
En fait, c’est depuis ce moment que Bathsheba et le fermier forment un couple. Ils ne vivent pas ensemble, mais sont inséparables dans leurs cœurs comme dans leurs esprits. Ils se suivent et se poursuivent sans jamais s’atteindre. C’est « ensemble » ou du moins de façon solidaire, qu’ils auront à affronter les difficultés du quotidien, les espoirs et les désillusions de la vie comme celles de l’amour.
La jeune femme sera confrontée au projet d’un mariage de sécurité et de raison, puis à l’extrême opposé, à l’embrasement d’une liaison passionnelle qui lui fera perdre toute raison. Au final, comme le disait Pascal, le cœur a ses raisons que la raison ignore ; c’est le courage et la grandeur d’âme du fermier aussi digne que dévoué qui opposeront le meilleur argument au fantasme d’une liberté à jamais indomptable.
La bande annonce
Un conte très actuel
Cette histoire centrée sur un personnage féminin en pleine élaboration d’un équilibre entre son rêve d’indépendance et son besoin de répondre de la singularité de sa sensibilité est bien plus qu’un récit de féminisme avant l’heure. Le millénaire a changé mais la volonté de ne pas succomber à l’objectivation d’un désir masculin n’a pas anéanti le désir qu’ont les femmes d’être amoureuses avant même d’être rassurées. Loin d’être obsolète, on redécouvre la force de cette priorité dans sa difficulté à être compatible avec la liberté.
L’idée d’insoumission fait son chemin et elle progresse avec les années, mais elle ne parvient pas à réduire la primauté des sentiments telle que l’avait décrite Thomas Hardy avec tant de justesse. En dépoussiérant cette romance éminemment victorienne par une adaptation très réaliste, Vinterberg lui insuffle une nouvelle vie en lui redonnant toute son actualité.
Loin de la foule déchaînée est à voir au cinéma à Strasbourg au Star Saint-Exupéry et à l’UGC Ciné-Cité.
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