Il est d’usage de dire que les personnalités politiques alsaciennes ne sont guère influentes à Paris. Un seul ministre lors des deux derniers quinquennats, (Philippe Richert, chargé des collectivités territoriales, poste plutôt secondaire), la position des élus alsaciens de la majorité pour l’Alsace-Lorraine non-entendue lors du redécoupage des régions en 2014, une seule députée européenne alsacienne, un impact sur les lois souvent cantonné à celles sur le droit local…
Même Armand Jung (PS), pourtant député depuis 1997, n’a pas pas brillé par sa présence dans l’hémicycle et ses propositions de lois une fois la gauche revenue au pouvoir en 2012, bien avant ses problèmes de santé.
Mais pour l’une des dernières lois du quinquennat de François Hollande, le député de la deuxième circonscription du Bas-Rhin (Strasbourg sud – Illkirch) Philippe Bies (PS) a été nommé co-rapporteur d’une partie du texte de la loi Égalité et citoyenneté. Pas rapporteur général (Razzi Hammadi), mais d’un des trois volets, celui sur le logement social. Un domaine que Philippe Bies connait bien, puisqu’il préside les bailleurs sociaux Habitation moderne et CUS Habitat.
Philippe Bies explique comment il a obtenu cette responsabilité :
« C’est une loi qui concerne trois ministères (la Ville la Jeunesse et les Sports ; le Logement et l’Égalité réelle) de manière assez égale. Quand c’est comme ça, on crée une commission spéciale, comme pour la loi Macron. La partie logement relève des affaires économiques dont je suis membre. Nous sommes trois ou quatre députés plus spécialisés sur ces questions et deux avaient déjà été rapporteurs. »
Vidéo – Les enjeux du texte selon Philippe Bies
Le député strasbourgeois précise le rôle d’un rapporteur :
« Mon travail est de mener des auditions des différents acteurs du milieu : l’association des maires de France, France urbaine, l’union sociale de l’Habitat, la fondation Abbé Pierre, les représentants des locataires, le droit au logement, puis de faire le lien avec le ministère et apporter des modifications et amendements. Mon but est que le texte soit applicable rapidement et concrètement. Beaucoup de loi traînent car elles nécessitent des décrets d’application longs à rédiger. »
Ça, c’est pour la partie technique, la suite se sont des questions de fond.
Valoriser l’engagement citoyen
Née après les attentats de Paris en janvier 2015, cette loi vise à atténuer les fractures de la sociétés françaises par plusieurs petites mesures, notamment en valorisant l’engagement. « Il y un pacte de sécurité, mais il doit inclure un volet citoyenneté » a résumé le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports Patrick Kanner lors d’un passage à Strasbourg.
Les mesures ont été présentées en conseil des ministres : constituer une réserve citoyenne (bénévoles prêts à aider en cas de catastrophe naturelle), un congé d’engagement associatifs (6 jours à diviser en demi-journée), une généralisation du service civique, notamment chez les sapeurs pompiers et d’autres structures publiques, échanger un cours à l’université (les fameux crédits ECTS) contre des heures d’engagement associatif, ouvrir davantage les concours de la fonction publique aux salariés du privé, poser une caméra-piéton sur les policiers ou encore punir plus sévèrement les actes de racisme « notamment sur les réseaux sociaux » toujours selon le ministre.
Vu comme ça, la loi risque d’être critiquée pour son côté « fourre-tout » sans pour autant que de grandes mesures fortes se dégagent. La partie dont Philippe Bies est en charge, sur les logements sociaux, risque de mener aux débats politiques les plus intenses à l’Assemblée nationale. Comme aux conseils municipaux ou de l’Eurométropole de Strasbourg, ces thèmes mènent souvent à de nombreuses passes d’armes entre gauche et droite. Philippe Bies se prépare déjà aux critiques « des députés-maires qui ne sont pas toujours vertueux en la matière chez eux. »
Moins de barres HLM et une répartition plus équilibrée de la population
Le propos du Premier ministre Manuel Valls sur des situations « d’apartheid » en France avaient suscité la polémique. Sans adhérer au choix des mots, Philippe Bies partage les constats :
« L’objectif est qu’il y ait moins de ségrégation sociale et trouver l’équilibre entre mixité et droit au logement. On a travaillé sur le stock avec la rénovation urbaine, puis la gouvernance en transférant aux agglomérations la politique d’offre et de peuplement avec la loi ALUR et maintenant on travaille sur les flux pour faire un rééquilibrage des populations. »
Principal article de la loi, que les bailleurs sociaux attribuent aux ménages les plus modestes un quart de leurs logements, en dehors des quartiers défavorisés, ce qu’on appelle les « quartiers prioritaires de la ville » (QPV). Une mesure qui aura un « effet immédiat » selon le député strasbourgeois. Autrement dit, moins de cités et barres HLM où toutes les difficultés sont concentrées. C’est justement une politique appliquée à l’Eurométropole, ce qui ne devrait donc pas créer de bouleversements localement. Pour cela, les bailleurs sociaux, pourront baisser leurs prix dans certains secteurs (les loyers sont réglementés), quitte à en réévaluer d’autres.
Autre volet de la loi, accroître la transparence et clarifier les critères d’attribution. Reste à voir jusque dans quelle mesure iront ces belles intentions. Enfin, l’État pourrait laisser « moins de marges de manœuvre pour ceux qui contournent les lois », poursuit Philippe Bies, dont l’objectif est d’atteindre 25% de logements sociaux par commune en 2025.
La Wantzenau, particulièrement concernée
Autour de Strasbourg, la commune de La Wantzenau, au nord est particulièrement concernée, elle qui est placée sur une liste de communes dites « récalcitrantes » avec un taux de 1,6% de logements à loyers modérés. Les autres communes en dessous des seuils sont Eckbolsheim, Reichstett et Vendenheim. Le maire Patrick Depyl (sans étiquette) se défend de ne pas faire d’effort, mais malgré cela explique que les objectifs sont inatteignables :
« Ce qui est gênant avec ce terme de commune « récalcitrante », qui d’ailleurs n’a pas de valeur juridique, c’est qu’on mélange des ceux qui font des efforts et les autres. J’ai rencontré les municipalités concernées lors du congrès des maires, et il y en a qui ne veulent tout simplement pas de logements sociaux. Je suis arrivé en 2014, depuis on est passé de 39 à 70 logements aidés. Le problème c’est qu’à la fois on est tenu par la loi, mais aussi par le Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) au niveau de l’Eurométropole qui prévoit 750 logements dont 300 aidés sur notre commune. Ça ne permettra pas d’être dans les objectifs, même pas à 20% (le seuil obligatoire avant la loi SRU de 2013). À cela, s’ajoute le plan de prévention des risques d’inondations (PPRI) qui prévoit qu’une partie de nos terrains soient inconstructibles. Ce que j’attends des améliorations au texte que peut apporter Philippe Bies, c’est que le taux de logements soit calculé au niveau des intercommunalités. Parce que les constructions sont décidées au niveau de l’agglomération, mais les amendes sont calculées par communes. Bien sûr, il faut que toutes les communes jouent le jeu pour que ça fonctionne, mais par exemple nous disposons d’une station d’épuration qui bénéficie à toute l’agglomération, nous avons aussi une zone Sévéso (à risques technologiques). Il faut voir les agglomérations comme comme un tout. »
La commune paie une amende de 133 000 euros par an, qui est globalement déduite des aides qu’elle apporte à de nouveaux programmes immobiliers. Lors d’une entrevue, le préfet de Bas-Rhin a assuré au maire que s’il avait certes une attention particulière sur sa commune, il ne comptait pas la priver de son droit de préemption, ni de délivrer des permis de construire.
Bon pour la réélection ?
Avec des mesures qui devraient être bien perçues par les électeurs de gauche et quelques propositions issues des réseaux associatifs, cette loi intervient à point nommée pour la majorité, qui devrait être bien plus rassemblée que sur le texte la Loi Travail. Comme la loi numérique d’Axelle Lemaire, les internautes ont pu contribuer en ligne et une demi-journée sera organisée pour essayer de transformer les propositions en amendements. « C’est vers cela qu’il faut aller, il faut changer la manière de faire la loi », estime Philippe Bies.
Être associé à cette future loi peut être un atout lorsque Philippe Bies, qui briguera sa réélection en 2017, même si on est rarement réélu grâce à un bilan. L’ancien président lorrain Jean-Pierre Masseret (PS) qui en avait fait son principal argument de campagne lors des régionales dans le Grand Est en sait quelque chose.
Temps fort de son mandat, le député a pu organiser une réunion publique au Neuhof, au Manège Solignac, lieu remis en état récemment par la municipalité dans un quartier de sa circonscription qui vote peu. Une rencontre qui a réuni une soixantaine de personnes où les questions se sont concentrées sur les autres parties du texte. À la fin de la réunion, Philippe Bies a proposé de le contacter sur son site en précisant qu’un rapporteur peut soumettre les amendements en dernier.
Pour Philippe Bies, la gauche doit mieux mettre en avant ses travaux :
« Je ne fais pas ce travail pour le bilan, mais pour que ça soit utile. Mais il est vrai qu’en écoutant Patrick Kanner, je trouvais qu’il en faisait presque trop sur François Hollande, pourtant je suis hollandiste. En même temps, je me disais qu’on se retrouve en situation où on a presque honte de notre action, alors qu’on a fait des choses et qu’il faut les mettre en avant. »
L’examen des différents articles est prévu le 27 juin à l’Assemblée nationale, avant un vote solennel le mardi 5 juillet.
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