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Logements suroccupés : à Hautepierre, une famille de 7 personnes vit dans 76 m²

Dans les quartiers prioritaires du Grand-Est, 9,4% des logements sont dits « suroccupés », d’après une étude de l’INSEE publiée en 2020. À Strasbourg, les quartiers de Cronenbourg et Hautepierre sont particulièrement touchés. Reportage chez une famille de sept personnes, dans un appartement de trois pièces.

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Logements suroccupés : à Hautepierre, une famille de 7 personnes vit dans 76 m²

Lundi après-midi, un léger vent souffle sur les tours de la rue de la Marquise de Sévigné, à Hautepierre. Hanane vit au quatrième étage de l’une des HLM beiges et marrons du quartier. La mère de famille de 35 ans surveille du coin de l’œil ses deux petites filles de 4 et 5 ans qui jouent sur le tapis du salon. Entre la pause déjeuner des enfants et le retour de classe, l’appartement est plongé dans le calme. Dans la pièce : un canapé, une télévision et une commode. Rien ne dépasse, tout est rangé.

Pourtant ils sont sept, dont cinq enfants, à vivre dans ces 76 m2. Hanane ne compte plus les voisines, les cousines, les amies dans la même situation qu’elle. Selon l’INSEE, un logement est considéré comme suroccupé à partir du moment où il manque « au moins une pièce par rapport à la norme d’ »occupation normale » (il faut par exemple un salon pour la famille, une chambre par enfant qui a plus de 7 ans, etc.) Les quartiers prioritaires de Strasbourg sont beaucoup plus touchés par la suroccupation que le reste de la région Grand Est. En 2016, 16,3% des logements de Hautepierre étaient sous-dimensionnés par rapport au nombre d’occupants.

Du Maroc à Hautepierre

Jusqu’à ses 18 ans, Hanane vit au Maroc avec ses sœurs chez sa grand-mère. Ses parents ont déjà quitté le pays dans les années 1990 pour s’installer en France et y travailler. En 2004, 18 ans et un diplôme d’informatique en poche, elle quitte à son tour le Maroc, direction l’Italie, « car c’était plus facile pour le visa ». Un an plus tard, la jeune femme rejoint ses parents à Strasbourg, puis en 2010 elle rencontre son futur mari, Salim. Ils emménagent dans un studio, à Hautepierre, et à la naissance de leur première fille, déménagent dans l’immeuble d’en face. Le même trois-pièces où ils vivent encore aujourd’hui et où, cet après-midi là, les enfants gravitent autour d’Hanane, qui se tient droite dans sa longue robe beige et vert. La jeune femme noue ses cheveux bruns et enfile un masque assorti à sa robe.

À son arrivée en France, la mère de famille enchaîne les emplois : agent de tri à La Poste, femme de ménage dans des hôtels, à la plonge dans les cuisines du Parlement européen. Mais depuis 2014, Hanane ne travaille plus car elle doit s’occuper de son mari, en situation d’invalidité, qui suit un traitement lourd. Le loyer de 520 euros est en grande partie financé par les Aides personnalisées au logement (APL). Salim et Hanane ont déjà refusé un appartement plus grand, mais trop cher et compliqué d’accès pour le père de famille. « C’était au quatrième étage, dans un immeuble où l’ascenseur est souvent en panne », explique la jeune femme.

De son côté, la jeune femme a commencé à souffrir d’asthme lorsqu’elle a emménagé dans ce trois pièces. Le médecin lui a recommandé de désencombrer l’appartement, mais rien n’y fait. « Je viens de passer huit jours chez ma tante et je n’ai pas eu besoin de ma ventoline une seule fois. Quand je suis revenue, je n’ai pas dormi », raconte-t-elle avec lassitude. Au-dessus du masque, des cernes encombrent son visage.

Géométrie et gymnastique d’un logement suroccupé

Si la suroccupation du logement a des conséquences sur la santé de ses occupants, elle nécessite aussi une organisation rodée et pensée au quotidien. La famille se partage l’espace comme elle le peut : une chambre pour les parents, une autre pour les enfants et une pièce de vie pour tout le monde, avec un coin pour faire les devoirs. Tous les matins, la mère de famille se lève à 7h pour organiser le passage des cinq enfants aux toilettes et emmener les deux plus jeunes à l’école. Lorsqu’elle est seule, elle en profite pour se « reposer, faire les courses et le ménage ». Dans le couloir, des bacs de linge sale attendent de passer à la machine. Une par jour. Comme il n’y a pas de place pour un sèche-linge, un étendoir est installé dans un coin du salon. Les cycles de lavage, séchage et repassage s’enchaînent car « rien ne doit traîner ».

Dans un appartement de Hautepierre, cinq enfants et deux adultes se partagent 76 m2. Photo : Illustration Ariane Pinel / cc

À l’heure des repas, la famille approche du canapé la table qui sert à faire les devoirs. Les enfants s’assoient sur la banquette bleu turquoise, d’autres sur des chaises. Dans la pièce où dorment les cinq filles de 4 à 12 ans, deux lits sont collés, et un matelas est plaqué contre le mur pour gagner un peu de place. Hanane mime le geste qu’elle fait chaque soir : faire tomber le couchage au sol et s’en écarter sans marcher dessus. Le sol est alors presque entièrement recouvert de lits. « Je ne peux pas faire plus », lâche celle qui a l’impression d’avoir atteint les limites de son logement.

Une demande de logement en attente depuis trois ans et demi

Ne garder que le nécessaire, redéfinir l’essentiel et se séparer des souvenirs est devenu un travail de tous les jours :

« Je fais tout le temps le tri. Il y a des vêtements que les filles portaient quand elles étaient petites que j’aimerais bien garder, mais je dois m’en séparer. C’est pareil pour les travaux qu’elles ramènent de l’école, on ne les garde pas plus d’un mois. Les filles n’ont pas beaucoup de jouets, trois poupées, deux jeux de société… On pourrait mettre des affaires dans la cave mais si je descends, je respire mal à cause de mon asthme. »

Cela fait trois ans et demi que la famille demande un plus grand logement à son bailleur social, Ophéa. Et depuis trois ans et demi, on lui répète qu’elle n’est pas prioritaire face à des demandes en souffrance de personnes non bénéficiaires d’un logement social. Hanane est passée par la mairie, qui a envoyé un courrier à Ophéa, sans changement. « Il faut connaître quelqu’un qui peut appuyer notre dossier ou passer par une association », s’agace-t-elle. La jeune femme est en colère, mais pas découragée. Elle a d’ailleurs sollicité l’aide de la Confédération nationale du logement (CNL) pour entamer des démarches.

Le papier peint qui se décolle, les taches qui ne s’effacent pas sur le linoléum et le coût des travaux : « C’est pour les enfants que je veux déménager », lâche Hanane avec conviction. Derrière elle, sa fille de 5 ans joue avec une bouteille de gel hydro-alcoolique.

Grandir, entre inconfort et manque d’intimité

En grandissant, l’absence d’intimité devient un problème supplémentaire. Parfois, sa fille aînée, Rania (le prénom a été changé), 12 ans, s’isole dans la chambre de ses parents pour travailler en silence. Mais la plupart du temps, elle fait ses devoirs dans le salon, sur la seule table de la maison, qui fait office de bureau. Dans la même pièce, ses petites sœurs regardent la télévision. « Ça me déconcentre », glisse-t-elle timidement.

Rania aimerait pouvoir inviter des amis chez elle, « mais la chambre est trop petite et quand on est dans le salon, mes sœurs nous suivent partout », explique-t-elle, en réajustant sa longue queue de cheval brune. La jeune fille finit par embrasser sa mère sur le haut de la joue, juste au-dessus du masque, avant de partir pour quelques jours chez sa tante.

Une fois la porte claquée, Hanane soupire : « Je sais qu’elle ne se sent pas bien ici, même si elle ne dit rien pour ne pas nous faire de peine ». Sa fille aînée passe de plus en plus de temps chez sa tante et sa grand-mère. Là-bas, elle a une chambre pour elle seule. Avec une pointe de culpabilité dans la voix, elle raconte que sa fille de quatre ans dessine parfois une maison avec un jardin.

Pourtant, il arrive que la famille se réconcilie avec l’inconfort. Quand l’une des filles fait ses devoirs dans le salon, les autres veulent apprendre la même chose. Quand l’une s’entraîne au calcul, c’est à celle qui répondra la plus vite. Quand une autre apprend un poème, elles le récitent toutes. Des enfants habitués à ce quotidien que leur mère rêve de changer. Avec peut être un espoir : Hanane a récemment obtenu un rendez-vous avec Ophéa, dans le courant du mois de mai.


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