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Livrer tout et n’importe quoi ? À Strasbourg : service de livraison recherche modèle

Emma Livraison, un site internet permettant de tout se faire livrer (ou presque) en quarante minutes s’implante à Strasbourg. Appuyé sur les livreurs indépendants, ce modèle économique cherche encore sa rentabilité.

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Livrer tout et n’importe quoi ? À Strasbourg : service de livraison recherche modèle

Envie que des fleurs égayent votre intérieur mais vous avez la flemme d’aller les chercher ? Besoin d’une baguette mais il est 7 heures du matin et vous ne trouvez pas votre pantalon ? La société occidentale est sur la mauvaise pente mais heureusement, il y a Internet. À Strasbourg, le site nancéen Emma livraison propose depuis septembre d’apporter chez les gens non seulement des pizzas ou des plats préparés, mais tout ce dont ils pourraient avoir besoin, en 40 minutes.

Tout ? Bon, presque tout. Pas moyen de se faire livrer de la drogue par exemple. Une fois inscrit sur le site, il suffit de donner une description précise du produit, explique Mohammed Gherraf, fondateur de la société :

« Le client doit décrire le ou les produits qu’il souhaite le plus exactement et précisément possible en détaillant la marque, le modèle, la référence, la quantité, la catégorie, la couleur et le magasin où le produit doit être acheté et on lui livre ».

Le site permet également de passer des commandes groupées. Le Strasbourgeois fainéant pourra alors trouver devant sa porte un pack de lait, des frites, une bouteille de gin ou un bouquet de roses, tant qu’à faire. Guillaume Troesch, le responsable de la société à Strasbourg en donne une illustration :

« On pourra envoyer un coursier chercher sa commande à la pharmacie avec son ordonnance et sa carte Vitale pour donner son médicament. A Nancy [où le service est déjà effectif, ndlr], ça nous arrive de faire des courses le matin pour des commerçants. C’est arrivé qu’un patron de bar commande un plateau de fruits de mer à 22h. »

Besoin urgent d’un préservatif à 22h ?

Les commandes restent le plus souvent raisonnables, assurent les fondateurs du service, qui avouent quand même que certains clients en ont profité pour ne pas trop s’exposer lors d’achats nocturnes ou trop personnels :

« On a régulièrement des personnes qui ont besoin de préservatifs ou de lubrifiant. Parfois des personnes qui veulent se faire livrer de produits depuis des sex shops : des objets « féminins », du poppers… »

D’autres ont des envies plus étonnantes :

« Des personnes ont voulu se faire livrer des balles de ping-pong à 22h. »

L’entreprise se réserve la liberté de refuser une commande si elle est jugée impossible ou inacceptable.

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Parti de rien, le fondateur d’Emma Livraison a une formation de cuisinier (Photo Facebook / Emma livraison)

Un pari ambitieux

Jusqu’ici à Strasbourg, les services de livraison étaient tous spécialisés dans un type de produit : les repas, de l’alcool, des produits de labo, etc. Le fondateur d’Emma Livraison, Mohammed Gherraf, assure que son entreprise est la première du genre. En fait, des sites comme Toktoktok ou Clac des doigts proposent déjà des services similaires, mais le premier n’est pas disponible à Strasbourg et le second ne fonctionne que la nuit.

D’abord auto-entreprise démarrée sur le mode du hobby, Mohammed Gherraf a rapidement transformée Emma Livraison en société, avant de commencer à s’étendre dans plusieurs villes. Le fondateur a rencontré ses premiers actionnaires en les livrant, puis a été victime de son succès :

« Quand j’ai commencé c’était plutôt un passe-temps. Je travaillais surtout avec deux fleuristes dont un était connu et m’a servi de vitrine. L’idée de livrer tous ces produits n’était pas là à la base, elle m’est venue au fil du temps. Je me suis rendu compte bien après de l’originalité de l’idée, qui était venue toute seule ».

L’expérience semble avoir fonctionné à Nancy, première ville dans laquelle elle a démarré il y a un an et demi. Emma Livraison revendique trois salariés à plein temps en plus d’une personne en apprentissage, et du patron. Seul ce dernier ne peut pour l’instant se rémunérer « correctement » :

« On fait environ 400 000€ de chiffre d’affaires à Nancy. Et on espère faire la même chose à Strasbourg, voire plus si tout va bien. Il faut au moins deux villes pour que je puisse me payer un salaire correct ».

C’est Guillaume Troesch qui a pris contact avec Mohammed Gherraf en apprenant qu’il cherchait à s’étendre. Strasbourg sera donc le laboratoire à plus grande échelle d’un service de livraison omniproduits, la ville est trois fois plus grande que Nancy. Laboratoire car, des produits livrables ou non, l’originalité des commandes, le mode de paiement et surtout la rémunération des coursiers sont autant d’éléments qui restent à déterminer, dans un marché où tout reste à inventer.

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Un Doliprane, du café et des clopes s’il vous plait. (capture d’écran du site Emma Livraison)

« Il faut que les clients découvrent par eux-mêmes »

À Nancy, évidemment, certains ont déjà essayé de se faire livrer de la drogue. Guillaume précise qu’il « faut que les clients découvrent par eux-mêmes » les limites du service. La société, elle, découvre les limites de la loi au fur et à mesure des produits demandés. Mohammed Gherraf explique :

« On a un juriste engagé à plein temps qui s’occupe de ces questions là. Quand j’ai un vrai doute, j’appelle les douanes. Ça m’arrive au moins une fois par mois, pour être certain que la livraison se fasse dans un cadre légal. »

Coursiers
Des livreurs ont pris l’habitude de se rassembler place Saint-Etienne (Photo TU / Rue89 Strasbourg / cc)

Place Saint-Étienne, les livreurs sont au courant de l’ouverture de cette plateforme à Strasbourg. Ils ont été contactés par l’entreprise qui cherche à recruter ses futurs « collaborateurs ».  Soixante candidatures ont été reçues. Une quinzaine ont été sélectionnées. Chez les coursiers, l’idée séduit mais certains restent circonspects quant au concept et à la taille de l’entreprise, comme Jordan, étudiant et coursier chez Deliveroo :

« Je suis largement satisfait avec Deliveroo. C’est une grosse multinationale qui a déjà fait ses preuves sur plusieurs mois. On n’a pas peur qu’elle fasse faillite et d’avoir des impayés. Mais même Take Eat Easy avait déjà galéré avec des levées de fonds, alors j’ai des doutes pour une entreprise seulement sur Nancy et Strasbourg. »

« Comment fera-t-on s’il y a de la queue ? »

Jordan anticipe également la difficulté de trouver le bon produit, au bon endroit, au bon moment :

« Comment on fait si on trouve pas la bonne marque au bon endroit ? Et comment on fait si la queue est longue pour acheter le produit ? Et ce sont les livreurs qui devront avancer l’argent ? »

Mohammed Gherraf a les réponses :

« Si le livreur n’arrive pas à trouver le bon produit, on recontacte le client directement. Mais notre métier, c’est de trouver le produit. Quant aux achats, les livreurs disposent d’une carte de crédit d’Emma Livraison avec laquelle ils règlent les commandes des clients. »

Pierre est également étudiant et coursier chez Deliveroo. Selon lui, plusieurs anciens coursiers de Take Eat Easy seront heureux de reprendre du service avec Emma livraison :

« Ils [Emma livraison] ont démarché ceux qui étaient chez Take Eat Easy. La plupart de leurs futurs coursiers travaillaient avec eux. Beaucoup ont l’habitude de travailler pour plusieurs livreurs. »

Les auto-entrepreneurs, clés du système

À quelques exceptions près, le modèle économique sur lequel repose ce type de livraison ne fonctionne qu’avec des coursiers auto-entrepreneurs. Ces derniers peuvent être payés sur facture, à l’heure ou à la course. Souvent, c’est une combinaison des deux. Chez Emma livraison, les coursiers recevront 5€ par heure, somme à laquelle s’ajouteront 2€ par arrêt, et 50 centimes supplémentaires en cas de pluie ou de neige.

Mohammed Gherraf assure qu’il ne peut pas embaucher ses coursiers à plein temps :

« Si j’utilise ce système de facturation, ce n’est pas pour me payer une piscine à débordement. Mon rêve, ce serait d’embaucher plein de monde. Mais on a estimé que si nos cyclistes devaient être salariés, chaque course coûterait 18 euros… »

À la recherche de partenariats plus justes

La concurrence est rude dans le domaine de la livraison à domicile. Elle pousse les sociétés de livraison à tirer les marges des restaurateurs ou fournisseurs vers le bas. Les services de livraison à domicile, lorsqu’elles prennent une taille critique, sont force de négociation tant avec les coursiers qu’avec les fournisseurs. Emma Livraison va essayer de jouer la carte de la proximité :

« On demande à nos fournisseurs partenaires une commission de 13%, là où nos concurrents exigent 30%… L’objectif est d’arriver à proposer au moins quarante commerçants à livrer sur la ville. On veut un service à l’image de Strasbourg, quelque chose qui représente l’activité commerciale de l’Eurométropole. »

Si l’expérience est concluante, Emma Livraison compte s’installer à Reims puis Montpellier. Pour l’instant, le service prospecte, « débroussaille tranquillement ». Les Strasbourgeois pourront juger du succès d’Emma Livraison au nombre de maillots roses croisés à vélo dans la ville.


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