Quel est l’intérêt ou la nécessité de traiter du genre aujourd’hui ?
« Les récentes polémiques autour de l’enseignement des questions de genre au lycée ont eu pour heureuse conséquence d’attirer l’attention sur les travaux des sociologues féministes. Mon livre propose un aperçu de la diversité et de la richesse de ces travaux. Ces analyses permettent de rompre avec les visions naturalistes qui justifient les différences, d’autant plus que celle-ci masquent les inégalités entre hommes et femmes. Cette sociologie critique a moins bénéficié des feux médiatiques en comparaison avec le différentialisme, ce courant essentialiste qui a été relayé et amplifié dans la presse magazine féminine à telle enseigne que pour certains le féminisme se réduisait à cette orientation. »
> Retour sur le débat, Ce soir où jamais, 7 septembre 2011.
Quel est l’apport de cette sociologie critique féministe ?
« Les travaux antérieurs privilégiaient des approches en termes de « condition féminine », expression renvoyant à un état prédéterminé, ou de « rôles de sexe », notamment en ce qui concerne les « rôles conjugaux ». La sociologie de la famille était fortement imprégnée de conceptions normatives : la famille nucléaire standard reposait sur la complémentarité d’un rôle instrumental dévolu à l’homme et d’un rôle expressif revenant à la femme. Le premier était censé assurer le lien avec la société globale et à pourvoir par son activité professionnelle à l’entretien des membres de la famille. La seconde était chargée d’assurer par son travail domestique le fonctionnement quotidien de la famille et la socialisation des enfants. De nombreux concepts ont été élaborés : par exemple ceux de patriarcat, de mode de production domestique, de division sexuelle du travail, sans compter ceux de sexe social ou sexage. Par la suite, les concepts de genre et de rapports sociaux de sexe marqueront le paysage. »
En quoi ces recherches sont-elle importantes pour les femmes d’aujourd’hui ?
« Ces connaissances permettent de rendre plus visibles des inégalités entre hommes et femmes dans tous les domaines. En effet, la marche vers l’égalité entre hommes et femmes a été très lente jusqu’au début des années 1970. Le droit de vote n’a été obtenu qu’en 1944, quelques décennies après les campagnes menées par les féministes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle alors qualifiées de « suffragettes ». Au cours des années 1970-1976 la seconde vague du mouvement des femmes a rendu possible des avancées quant au droit des femmes à disposer de leur propre corps : elle a notamment permis de rendre effectif le droit à la contraception voté en France en 1967 et d’arracher la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse votée une première fois en 1975, sous conditions et à titre provisoire pour cinq ans, définitivement fin 1979. Le mouvement des femmes a de même contribué à la modification des régimes matrimoniaux et parentaux. La scolarisation massive des filles, le développement de l’activité professionnelle des femmes et la maitrise de la fécondité ont participé structurellement à la transformation des rapports entre les femmes et les hommes au cours des dernières décennies.
Cependant, des inégalités persistent dans de très nombreux domaines, dans la sphère privée comme dans l’espace public ou l’activité professionnelle. Le taux d’activité des femmes est très variable selon les pays, les régions ou les catégories sociales, sans compter les freins, voire les vents contraires, qui ne manquent pas de se manifester. »
Que pensez-vous de l’affranchissement théorique du genre porté par le mouvement queer ?
« La théorie queer prend en compte les pratiques sociales quotidiennes, les représentations culturelles ainsi que la subjectivité. Ces pratiques sociales considérées comme bizarres, tordues, voire anormales contestent la dichotomie des sexes et des sexualités. Elles peuvent contribuer à faire advenir du neuf dans les rapports de genre selon les théoriciennes queer. Judith Butler par exemple propose de redéfinir la catégorie de genre en s’écartant des schémas binaires, hétéro-homo, et masculin-féminin. Elle défend l’idée d’une continuité des catégories de sexes et de sexualités en prenant en compte la diversité des pratiques sexuées et sexuelles. C’est dans ce sens qu’elle affirme que le genre brouille ou « trouble » les catégories binaires. Dans cette perspective, chaque individu a la possibilité de » jouer » un répertoire sexué et sexuel très large.
L’intérêt de l’approche proposée réside dans la possibilité de subvertir les identités assignées de genre. Une des limites de cette approche réside dans la tendance à traiter l’individu comme une « unité isolée». La théorie queer est peut-être davantage occupée par des questions de différence culturelle et par l’opposition binaire qui sous-tend l’hétérosexualité normative que par la question de l’oppression. En perdant de vue la structure sociale hiérarchique et les inégalités matérielles qui en découlent, elle risque de perdre de son tranchant critique. »
Roland Pfefferkorn, Genre et rapports sociaux de sexe, Lausanne, Editions Page 2, 140 pages, 9,50 €.
Pour aller plus loin
La semaine des visibilités
Aujourd’hui à 18h30 à la Librairie Kleber, le STS (Support transgenre Strasbourg) tiendra un débat «Genre, visibilité, droits – à quand l’égalité pour les trans’ ?». Une conférence proposée dans le cadre de la riche semaine des visibilités du collectif Festigay Strasbourg. Elle se terminera par la grande marche, plus connue sous le terme « gay pride » le 16 juin à 14h.
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