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Liquidation de Caddie : « Nous les salariés, on a tout accepté et on a tout perdu »

Le tribunal de Saverne a acté la fin de l’entreprise alsacienne Caddie ce mardi 16 juillet. Les deux propositions de reprise exposées au juge n’ont pas abouti, laissant aux employés un gout amer d’impuissance.

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Liquidation de Caddie : « Nous les salariés, on a tout accepté et on a tout perdu »
Des salariés de Caddie se sont rendus devant le tribunal judiciaire de Saverne ce 16 juillet.

« On aura fait tout ce qu’on a pu, si on en est là c’est à cause de la direction, pas des salariés. » L’émotion est vive pour Géraldine, 53 ans. Entrée chez Caddie il y a « une trentaine d’années », elle a évolué dans l’entreprise jusqu’à un poste administratif où elle se charge des relations avec les clients.

Elle est devant le tribunal de Saverne, mardi 16 juillet 2024. La chambre commerciale a décidé de n’accepter aucune des offres de reprise qui lui ont été présentées. D’un côté l’ancien propriétaire, Stéphane Dedieu, proposait de garder 42 des 110 salariés. De l’autre, le groupe Cochez, actuel propriétaire, voulait en garder 15. Mais le juge a tranché : Caddie cessera complètement son activité.

Fondée en 1928, le fabricant de chariots Caddie, situé à Dettwiller, a subi quatre procédures de redressement judiciaire depuis 2012. L’entreprise a été placée en liquidation judiciaire avec poursuite d’activité le 27 juin 2024. Et ce 16 juillet, le tribunal de Saverne a décidé de la fin de cette poursuite d’activité, sans reprise, malgré tous les efforts des salariés.

En 2019, ils étaient passés à presque 39 heures hebdomadaires au lieu de 35, sans augmentation de salaire. La même année, l’entreprise avait diminué ses effectifs de 384 à 130 employés. En 2022, c’est le groupe Cochez, basé dans le Nord, qui est devenu actionnaire majoritaire, et qui proposait donc de se séparer de presque 90% des salariés désormais.

« Au moins on est fixés »

Mohamed, 51 ans, est opérateur régulateur depuis 20 ans chez Caddie. « C’est donc la quatrième fois que j’ai peur pour mon emploi, au moins cette fois on est fixés », soupire-t-il, assis au soleil devant le tribunal :

« Les offres de reprise n’étaient pas bonnes dans tous les cas, soit on virait 60 personnes, soit une centaine, soit on nous virait tous. Ce n’est pas comme si c’était facile de trouver du travail passé la cinquantaine. »

Venant de Strasbourg tous les jours pour travailler, l’opérateur régulateur semblait las même avant l’annonce de la décision judiciaire. « À chaque fois que l’entreprise s’est retrouvée devant le tribunal, nous on était là. Nous sommes restés, fidèles aux postes », souligne-t-il.

À ses côtés, Hafid, 57 ans, également opérateur régulateur depuis 30 ans chez Caddie, explique qu’il sentait bien « le couteau sous la gorge » des salariés depuis les années 2010 :

« Je n’avais plus d’espoir de toute façon. Le groupe Cochez nous a repris en 2022 puis il a découvert qu’il n’y avait pas d’argent à se faire dans les chariots. Au fur et à mesure, on a vu les primes disparaître, celle pour les vacances, pour la présence, puis le 13ème mois… »

Cette suppression des primes, Hafid et Mohamed la mettent en parallèle avec la fin des navettes organisées par l’entreprise depuis Drusenheim, Strasbourg et Haguenau. Conduites par les employés, elles permettaient de mutualiser les trajets aux frais de l’employeur. « Depuis fin janvier, aller travailler ça me coûte 200 euros d’essence par mois, tout ça pour être payé 1 300 euros par mois », souligne Hafid. Selon les deux employés, ils avaient droit à 18 euros mensuels pour leurs déplacements.

« Il n’y aura pas de repreneur »

Père de famille, il fait déjà des missions de nettoyage dans d’autres entreprises pour subvenir aux besoins de ses enfants. « En résumé, je travaille plus et je gagne moins à cause de la suppression des primes, le tout avec le coût de la vie qui augmente », poursuit-il. À 57 ans, il ne sait pas comment se reconvertir, ni dans quel domaine. « Après 30 ans, qu’est-ce que je peux faire d’autre ? Je sais être devant ma machine, je ne sais même pas quels sont mes choix », soupire-t-il : « Je suis dégoûté, d’habitude je parle fort, là je n’ai plus de voix. »

« Et qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Si on pensait que nos voix pouvaient changer quelque chose, on parlerait, on se battrait, mais il n’y a plus d’espoir », tranche Mohamed : « Nous les salariés, on a tout accepté, et pourtant on a tout perdu. »

Vers 11h30, l’avocat du Comité social et économique, Pierre Dulmet, annonce que c’est la fin :

« On a un délibéré cet après-midi, et il n’y aura pas de repreneur. On se dirige vers une liquidation, le procureur n’a pas accepté l’offre de monsieur Cochez. Il n’a pas eu le droit de la présenter. Et monsieur Dedieu n’avait pas levé ses conditions suspensives donc son avocat est venu pour dire qu’il ne présenterait pas sa proposition. Le tribunal n’a pas de proposition de reprise à étudier pour vous. Ce qui fait que cet après-midi, il formalisera la cessation totale d’activité de Caddie. »

Pierre Dulmet, avocat du CSE de Caddie.

Avec émotion, l’avocat a tenu à souligner « l’exemplarité des salariés » :

« Quatre redressements judiciaires, c’était un de trop. Le tribunal a dit stop, il y a trop de dettes, pas de projet industriel suffisant et ils arrêtent la casse, voilà. »

Parmi la cinquantaine de salariés présents, les réactions se font pudiques. « On s’y attendait, même si on est déçus », souffle une retraitée. « C’est pas possible », répète un autre employé avant de partir, téléphone à l’oreille.

Concentrée sur son cellulaire, Géraldine se demande comment elle va annoncer la fin de Caddie à ses clients. « S’ils m’y autorisent, j’aimerais bien me charger des derniers échanges », souffle-t-elle. Dans son carnet de commande, elle ne constatait pas le désintérêt des clients et estime que la fin de Caddie montre surtout l’absence de volonté de la direction de s’en sortir. « Des solutions il y en avait, il fallait faire le choix de poursuivre l’activité », estime Géraldine qui dit avoir joué au loto pendant dix ans pour espérer pouvoir investir dans l’entreprise.

« Ils ne peuvent pas nous reprocher de ne pas avoir fait notre travail »

« Tombée dans la marmite Caddie » dans la vingtaine, Géraldine regrette déjà sa « communauté de travailleurs », et la « cohésion » des salariés grâce à qui l’entreprise survivait, lorsqu’ils étaient encore quelques centaines. « On bossait tous ensemble, en 2022 on avait parlé de reprendre l’entreprise nous mêmes, mais nous n’étions pas prêts », souligne-t-elle, souriant à un ancien collègue retraité, venu en soutien devant le tribunal. Même si Caddie n’est pas toute sa vie, Géraldine est triste : « J’ai mal au cœur, je suis fatiguée. » La suite ? « On verra ce qu’ils nous proposent, ce à quoi on aura droit. »

« Au moins on aura moins de pression », tente Sylvain Longchamp, délégué syndical CFDT. « Ils ne peuvent pas nous reprocher de ne pas avoir fait notre travail », estime-t-il, déplorant la fermeture, une fois encore, d’une entreprise française.

Tous les salariés seront donc licenciés pour raison économique. Les actifs de l’entreprise seront vendus au plus offrant, de la marque aux machines, et en l’absence de plan de sauvegarde de l’emploi, les salariés auront droit aux minimum légaux prévus. « Pour quelqu’un qui a 30 ans d’ancienneté, c’est 9 mois de salaire, donc un peu plus de 20 000 euros », calcule Pierre Dulmet : « Ils n’auront aucune aide à la formation outre celles que tout demandeur d’emploi peut avoir, aucune aide à la création d’entreprise, et aucune indemnité supplémentaire de rupture. »


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