« Nous avons commencé à nous dire qu’il fallait avoir une vision d’ensemble des violations du droit de la préfecture lors de la manifestation contre la loi sécurité globale du 5 décembre 2020 », relate Marion Maurer, vice-présidente de la section Strasbourg de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). Ce jour là, la police avait utilisé un drone pour filmer le cortège. « Il n’y avait aucune base légale pour faire ça, comme c’était justement la loi sécurité globale, pas encore votée à ce moment, qui devait autoriser la méthode », se souvient la juriste en droit public.
Ainsi, la LDH, composée notamment de professionnels de la justice, a recensé les infractions de la préfecture de décembre 2020 à janvier 2022. Dans un communiqué envoyé ce vendredi 11 février, elle explique :
« Leur nombre important, leur diversité et la gravité des violations nous alertent particulièrement et justifient une remise en cause des pratiques de la préfecture ainsi qu’une vigilance accrue des associations. L’état actuel des pratiques n’est pas compatible avec le respect des droits de l’Homme et de la démocratie. »
Selon Marion Maurer, depuis la nomination de Josiane Chevalier préfète du Bas-Rhin en janvier 2020, qui a remplacé Jean-Luc Marx, les agissements de la préfecture se sont durcis : « Avant, nous avions tout de même constaté des dérives dans le maintien de l’ordre lors de manifestations des gilets jaunes, ou des expulsions de personnes de leur logement pendant la trêve hivernale, mais c’était plus rare. Lors de l’année 2021, nous comptons des violations tous les mois, et la liste n’est pas exhaustive. »
« De nombreuses pratiques vis-à-vis des sans-abris sont problématiques »
Concrètement, la LDH dénonce notamment des difficultés à exercer la liberté de manifester :
« Les associations et les syndicats font régulièrement état de difficultés dans les relations avec la préfecture pour établir le trajet des manifestations et récupérer le récépissé qui atteste que la manifestation a bien été déclarée. Souvent, la préfecture fait en sorte que les trajets soient en périphérie du centre, alors que les organisateurs souhaitent être au centre-ville. »
L’organisation de défense des libertés publiques estime aussi que de nombreuses pratiques vis-à-vis des sans-abris sont problématiques. « Il y a eu plusieurs démantèlements de camps, dont celui de Montagne Verte mi-septembre, ou du gymnase Branly cet hiver, souvent avec l’appui de la police aux frontières », rappelle Marion Maurer. Selon elle, toutes les personnes n’ont pas eu de solution d’hébergement, alors que l’État est censé reloger tout le monde de manière inconditionnelle.
De son côté, la préfecture avait informé dans des communiqués qu’elle proposait des solutions « en lien avec les situations administratives des personnes ». Beaucoup d’étrangers déboutés du droit d’asile ont été emmenés par la police aux frontières à Bouxwiller dans un centre qui incite au retour dans le pays d’origine, même pour des personnes en appel.
Plus généralement, la LDH déplore que les dispositifs d’hébergement d’urgence soient saturés, et que de nombreux sans-abris, y compris des personnes vulnérables, sont sans solution à Strasbourg.
Expulsion de 4 afghans fin septembre, malgré une procédure en cours
Suite au démantèlement du camp de Montagne Verte, la Protection Civile, mandatée par la préfecture, avait emmené les tentes et certains effets personnels de sans-abris, sans que ceux-ci puissent les récupérer. La préfecture avait aussi fait enlever les tentes et affaires personnelles de deux sans-abris place de l’Étoile le 13 octobre. Floriane Varieras, adjointe à la maire de Strasbourg en charge des solidarités, indiquait alors que toutes les semaines, les services de l’État déposaient des affaires de sans-abris sur le parvis de l’hôtel de Ville, suite à des démantèlements de camps : « Nous devons réaliser un travail d’enquête pour retrouver les propriétaires mais souvent c’est impossible. »
L’association dénonce aussi l’expulsion, le 27 septembre, de quatre ressortissants afghans vers la Bulgarie alors qu’un juge avait ordonné leur remise en liberté la veille. La décision de justice avait mis en avant l’intégrité physique de ces personnes, s’appuyant sur le fait que la Bulgarie refuse systématiquement l’asile aux Afghans, les renvoyant à Kaboul même depuis la prise de contrôle du pays par les talibans.
Une audience le 22 février pour demander une voie d’accès physique pour les étrangers
Enfin, la LDH se mobilise contre la dématérialisation des demandes de titre de séjour. « C’est une fermeture invisible de l’accès au service public pour les étrangers, qui ne peuvent plus se présenter au guichet. Cela peut durer plusieurs mois avant qu’ils obtiennent le rendez-vous censé leur donner accès aux papiers auxquels ils ont droit. Ils restent alors sans-papiers en attendant », observe Marion Maurer. Elle ajoute :
« Nous nous allions au Syndicat des avocats de France (SAF) et à la Cimade dans un recours devant le Tribunal administratif pour contraindre la préfecture à mettre en place une voie d’accès physique pour les étrangers qui doivent demander un titre de séjour. »
L’audience aura lieu le 22 février. Les trois organisations appellent à un rassemblement à 9h, devant le tribunal administratif au 31 avenue de la Paix. « Nous allons en profiter pour sensibiliser le public sur les violations des droits et montrer par la même occasion comment on peut agir contre cela, par la voie juridique », dit Marion Maurer. Selon la LDH, la fermeture des guichets fabrique des « sans-papiers » : des milliers de personnes perdent le bénéfice d’un titre de séjour du seul fait de l’incapacité du service public à respecter ses obligations légales.
Contactée, la préfecture n’a pas répondu à nos questions concernant la démarche de la Ligue des droits de l’Homme.
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