L’ancienne villa dite du Kaysersguet doit devenir le futur « lieu d’Europe » de Strasbourg. Du coup, une intense rénovation est en cours. Tout commence le vendredi 10 janvier 2014 par la réception d’un courriel de Marie-Laure Beaujean, habitante du quartier :
« Le permis de démolir de 3 annexes dont la grande serre du Kaysersguet a été signé le 19 décembre 2013 avec un avis favorable. Une association avait proposé de la déconstruire en semaine mais les conditions de la Ville et de l’association n’ont pu trouver un terrain d’entente. Je regrette que cette serre créée avant 1817 n’a pas été entretenue au fil du temps (…) et qu’il ne soit pas donné à une association la possibilité de préserver cet élément unique en son genre. »
Marie-Laure Beaujean est une passionnée d’histoire et de patrimoine de la Robertsau. Suite à son courriel, nous nous donnons rendez-vous sur le site Kaysersguet vous voir cette fameuse serre. Très honnêtement, je pensais voir une toute petite structure sans grand intérêt… Je me trompais lourdement.
Reportage vidéo
Une cathédrale de verre de plus de 200 ans
A quelques mètres du futur Lieu d’Europe, une grande serre envahie par les herbes folles et les ronces.
Le jardin du Kaysersguet, longtemps occupé, est demeuré inaccessible au public. Est-ce la raison de la sous-évaluation de son patrimoine ? La résidence a pourtant été construite à la même époque que le château du Pourtalès. Un permis de démolir accordé le 19 décembre est affiché le 6 janvier pour une exécution rapide. Cette serre est certes dans un mauvais état, mais c’est dû en grande partie au non-entretien par son propriétaire : la ville de Strasbourg.
D’autres éléments sont d’ailleurs concernés par la destruction dont cette petite cabane à colombages au fond du jardin, près de la rue des Fleurs. Pourtant, dans le permis de construire, il était bien demandé à la collectivité de protéger la serre.
Le chantier dégrade le patrimoine du Kaysersguet
Est-ce la précipitation qui guide ce chantier ? Car le lieu est très abîmé et de nombreux éléments ont été dégradés. Par exemple, un puits de 1729 qui a résisté à la Révolution française n’a finalement pas survécu aux travaux du Lieu d’Europe de 2013.
De nombreux autres éléments en grès ont également été abîmés par le chantier. Dès lors, la question devient légitime : y a-t-il précipitation ?
Pour Fréderic Thommen, directeur de la Construction et du patrimoine bâti à la Ville de Strasbourg, il ne faut pas chercher la petite bête :
« Nous avons constaté les dégradations, identifié les entreprises responsables qui se sont engagées à réparer à la fin des travaux. Pour le puits, c’est un raté de chantier, il y a certainement eu de la perte en ligne dans la transmission des consignes, mais nous veillerons à sa réhabilitation. Nous avons péché par manque de communication. La phase 1 des travaux prévoit la réhabilitation de la villa, la phase 2 l’aménagement du parc du Kaysersguet. Nous n’avons pas suffisamment dit notre intention de remettre en valeur les éléments du parc. »
Problème, seule la phase 1 est votée et budgétée ; la phase 2 est totalement hypothétique et pas un euro attribué à sa réalisation. Sur la serre, il se montre catégorique :
« Le vrai débat c’est réhabilitation ou construction. La réalisation était-elle possible ? Si le lieu est public, il faut s’adapter aux contraintes réglementaires. La seule solution aujourd’hui, c’est de la démolir, même l’architecte des bâtiments de France a donné son accord à une démolition. Mais notre projet est de la reconstruire avec des éléments anciens et des matériaux neufs. Les conditions proposées par l’association Art et Technique étaient trop floues et nous ne pouvions y répondre favorablement. »
L’affaire prend une tournure politique
Nawel Rafik-Elmrini, adjointe au maire de Strasbourg en charge des Relations internationales et européennes, prévoit une conférence de presse le 27 janvier prochain pour faire le point sur le dossier. Mais d’ores et déjà, elle se justifie :
« Je comprends l’émotion sur le patrimoine qui entoure le Lieu d’Europe. J’admets qu’il y a eu des dégradations mineures qui seront restaurées. Mais la concertation sur les travaux a bien été respectée. Le comité de pilotage se réunit régulièrement et veille au bon respect du projet. Certaines statues seront restaurées pendant la phase 1 à l’ouverture du lieu d’Europe prévu au mois de mai 2014. »
Relayée sur le Blog de la Robertsau, l’affaire provoque une vive émotion dans le quartier. Elle prend une tournure politique avec Robert Grossmann qui descend de son Aventin pour publier un communiqué de presse sur son blog. Taclant au passage ses « amis » qui ne se sont pas mobilisés pour la défense du patrimoine de la Robertsau :
« Je suis intervenu en conseil municipal à de très nombreuses reprises quitte à agacer Roland Ries et Nawel Rafik, adjointe en charge de ce projet. Aucune suite n’a été donnée à mes alertes. J’ai saisi l’architecte de bâtiments de France en décembre 2012 pour lui demander de préserver cette propriété exemplaire des « campagnes » de la fin du XVIIIe siècle à la Robertsau et d’en stopper la dénaturation. Je regrette que mon ami Yves Le Tallec ait approuvé les démarches de la municipalité au cours d’une tribune dans les DNA du 27/10/2010 (ni pour ni contre) ce qui fut un encouragement pour le maire à persévérer dans ses atteintes à cet élément de notre patrimoine. Aujourd’hui, campagne électorale oblige, voilà le groupe de madame Keller qui finit par s’émouvoir. Je tiens une fois de plus à dénoncer l’erreur du maire entraînant la destruction d’éléments importants de notre passé culturel. »
Le groupe de Fabienne Keller, Strasbourg au centre, a en effet publié un communiqué de presse le 14 janvier 2014 :
Les associations de quartier se réveillent également
Devant l’émoi, et malgré l’accord du conseil de quartier (qui avait voté pour la destruction de la serre), les associations de quartier se mobilisent et ont déposé aujourd’hui un recours contre la destruction de la serre :
« Les associations ADIQ, ADIR, AHQCJ, Amis du vieux Strasbourg, APMR vont saisir le Maire de la Ville de Strasbourg le lundi 20 janvier 2014 d’un recours gracieux concernant l’arrêté du 19 décembre 2013 portant permis de démolir des éléments du Kaysersguet (serre, appendais et dépendance) indique René Hampé, l’ancien président de l’ADIR. »
Aujourd’hui, on ne peut que constater que Marie-Laure Beaujean a réussi grâce à un petit courriel d’indignation à mobiliser beaucoup de monde autour du patrimoine du Kaysersguet. Et rien que pour cela, elle mérite un coup de chapeau !
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : La serre du Kaysersguet ne sera pas démolie, juste « démontée »Sur le Blog de la Robertsau : Lieu d’Europe : des travaux de bourrons au Kaysersguet et Lieu d’Europe : les Robertsauviens choqués !
Sur StrasTV : Robertsau, un patrimoine en péril ?
Sur Rue89 Strasbourg : Domaine du Kaysersguet, désossage avant Lieu d’Europe
Sur DNA.fr :Robertsau Kaysersguet : le recours gracieux de cinq associations demain La serre, tout un symbole
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