La date du mercredi 20 septembre marquera-t-elle un tournant majeur ou une simple péripétie dans le dossier du Grand Contournement ouest (GCO – voir tous nos articles) de Strasbourg ? La confrontation était annoncée et attendue, elle a bien eu lieu sur une petite route entre Kolbsheim et Ernolsheim-Bruche, au nord de Strasbourg.
La poursuite des sondages géotechniques et archéologiques était attendue, cette fois ci en forêt. Ces travaux préparatoires nécessitent des déboisements. Le concessionnaire Arcos (Vinci) avait reçu des autorisations en janvier. Les zones à sonder dans les champs ont été traitées durant l’hiver, en attendant cette deuxième phase.
Yoam, habitant de la « zone à défendre » (ZAD) avait des soupçons sur le début de ces travaux, « vu le nombre de drones qui ont survolé l’endroit » la veille. Il s’est retrouvé nez-à-nez avec les engins au petit matin :
« Nous faisons des tours de garde dans la forêt la nuit et quand j’ai pris ma relève à 6h, j’ai vu les engins arriver. Je suis retourné à la ZAD pour lancer l’alerte. »
Tours de garde et système d’alerte en chaîne
Les opposants ont un système d’alerte en chaîne, des messages SMS sont envoyés à de nombreux sympathisants et journalistes très rapidement. Dès 6h50, la pasteur du village a sonné les cloches « en chemise de nuit ». D’autres occupants sont allés toquer aux portes. Une cinquantaine de personnes a afflué sur la D93, légèrement en surplomb de la zone à défendre dite « du Moulin », pour se cantonner face aux engins.
Nathalie Reibel, habitante de Duttlenheim, était l’une des premières sur place et s’est attachée à une tractopelle, encore présente sur un camion. « Les gendarmes m’ont demandé de descendre, mais ils n’ont pas insisté. Ils ont été très corrects ». Cette dame a pris 15 jours de congés et vient tous les jours à 6h. Les gendarmes ont observé la scène mais ne sont pas intervenus. Ce sont Vinci, présents avec l’équipe dirigeante en grand nombre sur place, et ses sous-traitants qui ont décidé de stopper les moteurs pour ne mettre personne en danger.
Le gouvernement alerté par Martine Wonner et Dany Karcher
Une fois la situation apaisée, les gendarmes, le concessionnaire et ses sous-traitants, et les opposants se sont regardés dans le blanc des yeux pendant de longues heures. Les forces de l’ordre expliquaient attendre des consignes pour agir. Entre les parties sur place, les échanges ont été limités mais cordiaux, parfois même sympathiques.
Dans le même temps, la nouvelle députée de la circonscription, Martine Wonner (LREM), alertée par le maire de Kolbsheim Dany Karcher, appelle le ministère des Transports, sous tutelle de celui de la transition énergétique de Nicolas Hulot. Elle revient sur ce coup de fil pour Rue89 Strasbourg :
« On était tombés d’accord avec le ministère des transports le 6 septembre sur le fait qu’aucun travaux ne devait être effectué avant que le Conseil national de protection de la nature (CNPN) ne rende un second avis (le premier était négatif ndlr). Je leur ai donc demandé s’ils étaient au courant que Vinci avait repris les travaux. Dans la demi-heure qui a suivi, le cabinet de la ministre m’a confirmé que le préfet du Bas-Rhin avait été contacté pour que les travaux soient stoppés. »
Pendant sa campagne, Martine Wonner avait indiqué vouloir tenter une conciliation sur le GCO et proposer un moratoire sur ce projet d’autoroute. Vers 9h30 donc, Dany Karcher est prévenu que le cabinet de la ministre des transports a ordonné la fin des travaux. La nouvelle est immédiatement saluée par des cris de victoire des opposants mais, du côté de Vinci et des gendarmes, on attend les consignes officielles avant de se replier.
Round diplomatique à la préfecture
Entre chants et cent pas, la matinée se déroule et vers 11h30, le président et le directeur d’Alsace Nature sont reçus par le secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin, à Strasbourg. L’association environnementaliste est membre du collectif « GCO-Non Merci. » Dans la lutte contre la construction de l’autoroute, elle s’occupe plutôt des aspects légaux du dossier.
Sur place, quelques gouttes se pointent et les rangs se dégarnissent. On annonce une brigade de gendarmes mobiles à quelques centaines de mètres de là. On craint une évacuation, mais il n’en sera rien. Sur la route, on essaie d’un peu relancer l’assemblée avec quelques chansons composées contre le GCO.
Ca s'occupe en musique face aux travaux bloqués du #GCO pic.twitter.com/HT4BFhtaGo
— Rue89 Strasbourg (@Rue89Strasbourg) September 20, 2017
Peu avant 13h, la faim se fait sentir et la pluie est plus insistante. Une tonnelle est amenée de la ZAD tandis que d’autres opposants rapportent quelques salades, de la charcuterie et même des merguez. Les gendarmes tiquent un peu, c’est une entrave à la circulation. Vers 13h15, un semi-remorque repart avec une pelleteuse à son bord. Applaudissement sur la route par la foule intragénérationnelle.
Quelques minutes plus tard, l’officialisation de l’arrêt des travaux vient du maire Dany Karcher, mégaphone en main. Il indique aux opposants présents qu’il n’y aura pas de travaux préparatoires tant que Vinci ne présentera pas un dossier unique sur les compensations environnementales et conforme à la loi sur l’eau. Après avoir remercié les gendarmes, il prononce la fin de l’occupation des lieux.
Dany Karcher annonce qu’il n’y aura pas de travaux
Reçu à la préfecture, Stéphane Giraud, directeur d’Alsace Nature, en ressort vigilant :
« Le préfet n’ordonne pas l’évacuation de la ZAD car il relève que tout s’est bien passé. Les travaux préparatoires en forêt exigent des coupes massives, elles sont en fait le premier effet irréversible du GCO. C’est la raison de notre opposition, surtout après l’avis défavorable du CNPN. On remarque aussi que dans les expressions, on parle de moins en moins d’un projet qui sert à désengorger Strasbourg, mais plus d’un maillon pour transformer l’A35 en boulevard. Les conditions pour un moratoire semblent réunies. »
Sur place, les opposants ont des doutes sur la légalité des travaux du jour. Le lierre autour des arbres devait être retiré deux mois avant pour protéger les chauve-souris, or, personne n’a vu d’agents effectuer ce travail, ni cet été ni les derniers jours alors qu’une vérification d’usage est prévue la veille ou l’avant-veille.
Les dirigeants alsaciens en colère
Cette non-intervention des forces de l’ordre a fortement déplu aux dirigeants alsaciens. Dans un courrier commun au premier ministre Édouard Philippe, le maire de Strasbourg Roland Ries (PS mais plus trop), les présidents de l’Eurométropole, Robert Herrmann (PS), du Grand Est, Philippe Richert (LR mais plus trop), du Bas-Rhin, Frédéric Bierry (LR), de la CCI Jean-Luc Heimburger et de la chambre des métiers Bernard Stalter (aussi élu à la Région Grand Est) se disent « particulièrement surpris, voire choqués, que les travaux aient été interrompus. » Ils souhaitent être rassurés et reçus pour évoquer leur reprise.
Derrière cet échange courroucé se dessine peut-être une autre perception du dossier entre l’auto-proclamé « nouveau monde » et des élus locaux aux nombreux mandats successifs. Le gouvernement ne s’est jamais prononcé sur ce projet, aux répercussions jusqu’ici locales. Pour les opposants, cette autoroute payante ne règle pas les problèmes d’accessibilité à Strasbourg aux heures de pointe. En toute fin de soirée, Alsace Nature produit un contre-communiqué où l’association dénonce un double-discours… et demande aussi à être reçue. Ambiance.
Réunion de crise et oppositions à venir
Une réunion de crise est prévue, a priori ce jeudi 21 septembre, entre des membres du ministère, de la préfecture du Bas-Rhin, des élus locaux et Vinci. Présents sur place, les dirigeants d’Arcos, la filiale de Vinci pour la construction du GCO et son exploitation, n’ont pas souhaité s’exprimer. Plusieurs responsables ont pris des photos de cet empêchement de travailler, qui pourrait alors éviter d’éventuelles pénalités de retard prévues dans le contrat.
Les opposants ont un autre motif d’espoir, la nomination de Stéphane Bern comme conseiller bénévole du président Macron pour la préservation du patrimoine. Un an plus tôt, il avait signé une tribune avec d’autres personnalités médiatiques dans laquelle il dénonçait « les dégâts irréversibles que générerait le GCO sur les jardins du château de Kolbsheim. » Le projet se ferait selon lui « au mépris d’un site culturel et patrimonial majeur. »
Avec Pierre France
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