Début janvier, Punch Metals International (PMI) a acquis l’usine de General Motors à Strasbourg, après de longs mois de suspense et au grand soulagement des quelque 1 000 ouvriers employés sur le site. PMI n’est pas un inconnu sur la scène internationale. C’est en 2005, lors de la prise en main de l’entreprise Inalfa par le groupe belge Punch – fondé en 1982 – que Punch Metals voit le jour. Basée à Hamont-Achel (Belgique), l’entreprise est spécialisée dans les découpes au laser, la presse hydraulique ou encore le rivetage et soudage de pièces de métal ou de composants électroniques. Elle emploie à ce jour un peu plus de 400 personnes, déclare un chiffre d’affaire pour 2011 de 72 millions d’euros, et est dirigée par l’industriel belge Guido Dumarey. En 2010, PMI avait déjà tenté de racheter le site de General Motors à Strasbourg, mais la tentative a finalement avortée après la reprise en main du site par sa maison mère, General Motors Company.
C’est donc en 2012 que le groupe revient à la charge, et cette fois avec de solides arguments : PMI promet d’investir 150 millions d’euros à Strasbourg, garantit la sauvegarde de l’emploi (et ce malgré un chômage partiel de 28 jours qui a débuté en janvier) et, surtout, promet un accord avec le groupe allemand ZF pour la construction de boîtes 8 vitesses. En effet, ce fournisseur de BMW ou d’Audi se serait engagé à en acheter au moins 590 000 exemplaires de 2014 à 2017, date de la fin du premier plan directeur. En outre, jusqu’en 2014, Generals Motors Company continuerait à confier à l’usine de Strasbourg la production de 200 000 boîtes de vitesse par an.
Un « Bernard Tapie belge » à Strasbourg ?
Des chiffres qui rassurent Jean-Marc Ruhland, le secrétaire CDFT du comité d’entreprise :
« Punch Metals, ce n’est pas la panacée au niveau social, mais au niveau du travail, ça devrait le faire. Le contrat avec ZF est pour l’instant le seul projet qu’a Punch pour General Motors, mais les dirigeants ont promis de nous chercher d’autres clients. Pour l’instant, avec ce qu’on nous propose, l’emploi sera maintenu. Donc s’ils arrivent à nous trouver quelque chose d’autre, cela permettrait de réduire le chômage partiel et de créer des emplois. Après on sort quand même du numéro 1 mondial… Et Guido Dumarey, qui dirige PMI, est un personnage un peu sulfureux. Il achète les entreprises, les revend… Il a déjà eu des déboires avec des syndicalistes. C’est pour ça que je l’appelle le « Bernard Tapie belge ».
Un « Bernard Tapie belge » déjà connu en France. Début 2012, PMI s’installe pour la première fois en France en rachetant son concurrent Juy SA ainsi que la friche industrielle Case-Poclain, à Crépy-en-Valois (Oise, Picardie) puis en reprenant en juillet l’entreprise Still de Montataire, située dans le même département. A l’époque, Jean-Pierre Bosino, maire de Montataire, salue l’excellente nouvelle :
« Ça a été un grand soulagement. S’il n’y avait pas eu de repreneur, le site aurait été abandonné. Ce qui aurait signifié l’apparition d’une friche industrielle en plein milieu de la ville. Et en terme d’emploi – notre ville compte 25% de chômeurs – c’était essentiel ».
Mais fin août, un incendie se déclare dans les locaux de Juy SA, à Crépy-en-Valois. Le site est alors fermé et les salariés de Crépy sont déplacés vers Montataire. La direction annonce un retour à Crépy dans 3 ans, le temps de reconstruire une entreprise. Sauf qu’en novembre, il n’y a toujours aucune activité à l’usine de Montataire… A la fédération de l’Oise du Parti Communiste, le militant Claude Courtin commence doucement à s’interroger :
« On savait que le bâtiment de l’usine de Crépy n’était pas aux normes, même avant que PMI ne l’achète. Mais Guido Dumarey était-il en courant ? Si non, c’est de la naïveté. Si oui, alors pourquoi alors a-t-il acheté une usine potentiellement dangereuse ? On est très méfiants. Ils ont quand même lancé un ultimatum de 15 jours après ça pour que les salariés, devant travailler dans les locaux de Juy SA, se décident s’ils voulaient aller travailler à Montataire [distant de 40 km de Crépy-en-Valois, ndlr] ou pas ! Et on nous a promis des navettes pour faire la liaison entre les deux villes, mais personne n’est sûr pour combien de temps elles fonctionneront… »
Les usines reprises dans l’Oise en grandes difficultés
La situation commence à se tendre d’autant que les clients promis par Punch Metals tardent à signer leurs commandes et que des mesures de chômage partiels sont imposées dans les usines de Crépy et Montataire. La semaine dernière, les quelque 180 salariés de Juy SA et de Still ont appris que leurs entreprises allaient sûrement être liquidées, ils ont organisé des journées de mobilisation pour alerter les pouvoirs publics sur leur situation devenue à nouveau, subitement, critiques.
Vendredi 8 février, l’usine Juy SA de Crépy a été déclarée en cessation de paiement. Oublié aussi le transfert d’une partie de l’activité vers Montataire. Et mercredi, Guido Dumarey a indiqué aux salariés qu’il avait un plan de redressement pour l’usine de Juy, mais qu’il était conditionné à l’acceptation par Caterpillar, principal client, d’une augmentation de… 60% de sa facture ! Pire, la poursuite de l’activité à Montataire est elle aussi conditionnée à ce plan de reprise. A nouveau, Guido Demarey promet un millions d’euros, dans un an.
Pour lutter contre le flou général autour des plans de PMI, des élus de gauche se sont mobilisés et ont alerté la Ville de Crépy-en-Valois, en provoquant des réunions et en envoyant une lettre ouverte au maire, par exemple. Claude Courtin, qui suit le dossier de près, continue à se poser des questions :
« Il faut se méfier, Punch Metals présente toujours les choses de manière optimiste, dans leur monde tout est un peu merveilleux. Mais mi-décembre, on n’avait toujours pas de nouvelles concernant la nature de la production de l’entreprise de Montataire, censée redémarrer en janvier. Et reste cette question : qui est vraiment Guido Dumarey ? Est-ce un industriel ou un financier ? »
Le spectre de la spéculation
Car les soupçons commencent à se développer autour du patron belge, certains le soupçonnant de vouloir récupérer les terrains achetés pour se lancer dans l’immobilier (surtout qu’aucune clause garantissant l’emploi n’aurait été signée). Une situation qui laisse circonspect le maire de Montataire, Jean-Pierre Bosino :
« Je suis assez partagé. J’ai le sentiment d’avoir affaire à de véritables industriels, qui savent de quoi ils parlent, qui ont des projets, qui gagnent de l’argent en produisant et non par les finances. Et je ne pense pas qu’ils sont juste venus pour le terrain. Mais de l’autre côté, je suis assez surpris par ce qui s’est passé à Crépy avec la fermeture de l’entreprise. J’avoue qu’on s’est posé beaucoup de questions concernant l’incendie. PMI nous a assuré qu’ils étaient pressés par les services de l’Etat pour fermer cette entreprise suite aux dégâts mais quand les syndicalistes les ont contactés, ces services ont démenti avoir exercé la moindre pression envers le groupe belge. Auraient-ils alors fait semblant de ne pas pouvoir rouvrir pour partir à Montataire ? J’ai un peu de mal à suivre ce qu’ils font vraiment. De plus, la production devait commencer en septembre ce qui n’a pas été le cas et ils devaient reprendre plus de salariés des anciennes entreprises, ce qui n’est toujours pas le cas non plus. Quand j’ai vu qu’ils rachetaient General Motors à Strasbourg, je me suis aussi interrogé : on est en pleine crise et Guido Dumarey rachète à tout va ! Maintenant j’attends que la production soit vraiment lancée à Montataire pour voir comment les choses se passent. Et s’il s’avère que Guido Dumarey est vraiment un margoulin, on ne se laissera pas faire ».
Une attitude que Jean-Marc Ruhland, le syndicaliste de General Motors Strasbourg, partage. Avec les responsables du site, il a tout fait pour border les termes du rachat par le groupe belge :
« A Strasbourg Guido Dumarey aura les mains liées : il ne pourra pas prendre de dividendes avant 2017 donc il ne pourra pas revendre le site d’ici là. C’est inscrit dans les clauses du contrat et cela sera étroitement surveillé. Et en plus, il a du sortir 10 millions de sa poche pour nous racheter ».
Alors, « Bernard Tapie belge » ou non ? Quand on lui pose la question, Guido Dumarey a une réponse toute trouvée, témoigne Jean-Pierre Bosino :
« Quand je l’ai rencontré à Still, je lui ai posé la question : « Mon inquiétude c’est que vous soyez un Bernard Tapie ». Il m’a souri et il m’a simplement répondu : « Je connais bien Bernard Tapie, j’ai travaillé avec lui ».
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