Je m’étais promis de ne pas y aller, mais j’ai craqué ! Depuis que je suis prof (une dizaine d’années maintenant), j’ai une sainte horreur de tous ces films qui parlent des miracles qui s’accomplissent au sein de l’école ou des ravages que fait l’institution prestigieuse qui m’emploie. Ce n’est plus un scoop, j’ai une fâcheuse tendance à crisper dès que le cinéma se mêle de mon activité professionnelle pour disserter en images sur le rôle de ceux qui participent de la grande aventure de l’Education Nationale.
Le Prof, cette catégorie socio-professionnelle inclassable
Le Prof est grognon. Il est syndiqué, roule en 2 chevaux, il passe son temps à compter les jours qui le séparent des prochaines vacances. Le Prof est souvent infantile pour être resté trop longtemps à l’école, pour ne l’avoir presque jamais quittée depuis le temps où il était de l’autre coté du bureau. Mais son cœur d’enfant en fait un enthousiaste : il croit profondément en son métier, pardon en sa mission.
Il a besoin d’être reconnu comme celui qui sauve la nouvelle génération des affres d’une modernité sans issue où les enfants ne lisent plus, et ne baignent que dans la non-culture des mangas et dans l’univers du « prêt à consommer sur place et sans modération » du Snapchat. Le Prof est donc enjoué et aime qu’on apprécie l’effort qu’il déploie à cultiver, pardon à civiliser, les hordes d’enfants sauvages munis d’ iPhones et déboulant en Timberland, qui lui sont confiés.
Il y a bien sûr le prof qui prend son rôle avec un peu plus de sérieux que les autres, et qui vire à l’aigreur. Vous le repérerez très vite. Il combat courageusement la sournoiserie naturelle de l’élève n’hésite pas à rappeler qu’ils sont « tous les mêmes à se fiche de la gueule du monde ». Mais il est au-dessus de cet affront, et analyse les circonstances exténuantes en tout genre, que les élèves évoquent pour se débiner de la tyrannie quotidienne de l’école. Le Prof-Grincheux rappelle le nombre d’absences injustifiées dont l’élève s’est rendu coupable, il se sent fort d’ironiser sur la mauvaise foi de ceux qui enterrent 8 grands-mères chaque année, et qui participent 4 fois à la Journée d’Appel annuelle obligatoire à 18 ans…
La bande-Annonce
Le Prof sympa existe également
Y a-t-il un prof pour sauver la galère de l’Education Nationale ? Tel aurait pu être le titre de ce film qui rappelle que le Prof-Sympa existe également, qu’il aime ses « poussins » et qu’il déborde d’idées et de projets pour sa classe. Il est animé d’un véritable souci pour leur avenir. Il croit en l’humanité de l’élève qui a démissionné des conventions du savoir-vivre et de toutes les règles officielles de la langue française. Il est le fervent défenseur de ces âmes qui n’attendent que son secours pour vivre le miracle de l’éducation, et témoigner de la rédemption par le savoir.
Ce Prof-Dévoué est l’empêcheur de tourner en rond du système qui pose le verdict de l’échec sans autre pièce à conviction que la moyenne trimestrielle divisée par le nombre d’heures de colles reçues. Sa foi en l’élève en fait l’oxygène de ce vase clos où trainent encore des traces du Jurassique, fossilisées en condamnations à perpétuité inscrites en pied de bulletin.
Dans le miroir grossissant des Héritiers
Je redoutais ce film car je craignais d’être confrontée à tous ces clichés d’élèves-type et à toutes ces blagues déjà recensées en salle des profs. Mais j’appréhendais surtout de subir ma propre image de Prof-Croyante, 25 fois grossie à la loupe. Je crois en mon métier que je pratique le plus souvent dans la joie et la bonne humeur, et j’ai même une foi inconditionnelle dans le pouvoir salvateur de la matière que j’enseigne.
Je revendique l’idée que faire confiance aux élèves est le meilleur moyen de conjurer l’angoisse de l’enseignant qui se sent inutile et parfois handicapé par le système trop rigide dont il participe. J’espère surtout être un peu originale et réfractaire à ce qui ferait de moi la Prof-Rabougrie que je croise le lundi matin dans les couloirs avec la jupe qu’elle porte très régulièrement depuis 10 ans…
Nous sommes tous des Profs-Clichés
À mesure que la fameuse expérience de cette classe de Seconde avançait, je m’enfonçais dans mon fauteuil. Au lieu de me réjouir de la consécration d’une Prof- Hors-Norme, je me suis perçue, à travers ce film, moi la Prof-Houtspa, twitteuse et blogueuse de cinéma, telle une caricature de plus dans le panel pourtant déjà bien fourni de l’Education Nationale. J’ai eu le sentiment étrange de me transformer en banderole de la CFDT-Enseignants avec pour slogan « Libérez l’école et les élèves du joug du conformisme ».
Je l’avais pressenti. Alors que j’entendais Les Héritiers se chamailler, et que je notais la banalité des répliques toute faites de la Super-Prof qui leur a offert l’occasion de remporter ce concours national, je me suis progressivement sentie anéantie. Je réalisais que le Prof-Révolutionnaire, celui qui se prend pour un prophète, ou mieux encore l’antidote nécessaire aux rouages grippés du système, est en un certain sens encore plus barbant que le Prof -Usé, désabusé, cynique et/ou parano.
Le Prof-Miracle est un fantasme
Non seulement l’Anti-Prof est conforme dans sa façon de défier les préjugés, mais en plus il se prend pour Zorro ! Il nous bassine de sa conviction -au final très bien pensante- sur les ressources cachés du cancre, et de sa critique de la posture de courroie-de transmission-du-savoir que les enseignants empruntent trop naïvement. Il n’hésite pas à ressasser le projet d’une école plus ouverte où les élèves viendraient de leur plein gré, où les profs reconnaitraient que ce sont eux qui ont tout à apprendre de leurs élèves.
Bref, disons-le franchement : il milite ! Il sauve non pas la société en crise économique et identitaire ainsi que sa progéniture en perdition, mais l’institution éducative elle-même. Par son attitude pseudo-non-conforme, il dénonce une profession rongée par trop de principes ainsi que ses collègues gangrénés par les préjugés et la flémingite aiguë de fin de trimestre.
Le temps des aveux
Le film de Marie-Castille Mention-Schaar est certainement magnifique, constructif et plein d’espoir sur la vocation d’enseignant. Mais j’avoue que je n’ai pas tenu jusqu’au bout. Encore une gorgée de ces phrases clichées qui sauvent le monde et prônent la tolérance, et j’étouffais. Encore une série de la cacophonie que font les chaises au moment où tous les élèves sympathiques et débordants de vie prennent place, et j’attrapais un hoquet pour toutes les vacances de fin d’année.
Le Prof-Idéal est le summum du cliché qui nous hante tous depuis Le Cercle des Poètes Disparus. Il est en définitive un Méta-Prof, une caricature de lui-même en train de se s’arracher aux stigmates de ceux qui « sont en vacances toutes les 6 semaines », et qui ne travaillent « qu’à mi-temps ».
J’ai toujours eu du mal avec les réalisateurs qui baladent leur caméra dans les salles de classes, les cours de récré, et qui font retentir la sonnerie au moment fatidique de la prise des devoirs. Je sais maintenant pourquoi je redoute encore davantage ces histoires qui mettent en scène des Profs-Géniaux qui viennent au secours de l’image jaunie et racornie du Prof-Aigri.
Les Héritiers est programmé à Strasbourg aux cinémas Star Saint-Exupéry et à l’UGC Ciné Cité.
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