Il est environ 15h45. 400 gilets jaunes battent le pavé boulevard Poincaré à Strasbourg en ce samedi 7 décembre. Tout à coup, des cris d’alerte se font entendre : « Ils embarquent Marlène ! » Une figure des Gilets jaunes du QG de Brumath vient d’être arrêtée pour outrage. Elle est emmenée en garde à vue. Au moment de l’interpellation, un homme tente de s’interposer. Il prend un coup de matraque sur le front et saigne abondamment avant de se faire bander le visage par des street medics. Plusieurs témoins de la scène racontent :
« Elle était en train de filmer, elle n’a rien fait ! Ils lui ont sauté dessus d’un coup parce qu’elle était un peu esseulée en fin de cortège… Elle a plus de soixante ans, elle pourrait être leur mère ! »
Marie, Gilet jaune « depuis le début », ne cache pas sa colère :
« Par rapport à beaucoup d’autres mouvements militants, on subit une répression incroyable. Moi, quand je vois ça, je me rends compte à quel point notre gouvernement nous méprise. Ça ne me donne plus envie de suivre bien sagement le tracé d’une manif’ syndicale et de rentrer à la maison ensuite. On ne veut plus se laisser faire. »
Des membres de syndicats présents
Ce jour-là, des militants de la CGT, de la CNT, de Solidaires, de FO et d’autres syndicats sont présents dans la manifestation. Brigitte est impliquée au sein du groupe « Gilets jaunes Strasbourg République ». Elle est syndiquée à l’union locale de la CGT de Molsheim, Obernai et Schirmeck. Pour elle, les Gilets jaunes et le militantisme syndical peuvent être complémentaires :
« À la CGT comme dans d’autres organisations syndicales, il y a des militants de terrain qui se battent vraiment pour les autres. Sur les lieux de travail, il faut s’organiser pour créer un rapport de force, ça peut être très efficace. »
« Grève générale, mort au capital », « Anticapitalistes », « Révolution »… Depuis le début de la manifestation, partie à 14h de la place de l’Étoile et menée par les Gilets jaunes, les slogans s’attaquent « au système. » À côté de la banderole de tête, Alain s’exclame :
« Depuis un an, on entend beaucoup plus de messages politiques qui critiquent l’ordre établi dans les manifestations. Au début, c’était plutôt les Gilets jaunes, mais maintenant on voit beaucoup de personnes issues de syndicats qui suivent. C’était flagrant le 5 décembre lors de la mobilisation contre les retraites. »
Puis le cortège fait un tour non prévu autour de la place de la République. « Il faut bien embêter un peu les flics », explique Mathieu :
« On s’est rendu compte qu’il y avait un problème avec le militantisme syndical traditionnel. C’est trop mou. Combien de fois on a marché sans que ça ne serve à rien ? Et puis on ne veut pas juste se battre contre des réformes nous, mais contre tout un système. »
Un discours plus radical chez les syndicats ?
Brigitte de la CGT explique que le discours change aussi au sein des syndicats ces derniers temps :
« On parle de faire tomber le système et de se réapproprier les moyens de production. On se rend bien compte qu’il faut se réinventer. »
Les Gilets jaunes ont la particularité d’être nés spontanément, en dehors des entreprises et sans coordination au départ. « Structurellement, ce mouvement vient de la base. » explique Marie. Pour Paulo, également Gilet jaune, « c’est ce qui fait sa force » :
« Les organisations syndicales sont souvent très hiérarchiques. Pour créer un mouvement qui porte vraiment les revendications des travailleurs, celui-ci doit s’organiser avec eux. Cela peut aussi se faire au travail, mais il faudrait imaginer de nouveaux procédés, avec des comités de mobilisation autonomes par exemple. »
Sur ce modèle, un comité de mobilisation de cheminots sans affiliation syndicale s’est formé récemment à la gare de Strasbourg. Jules milite pour ce type d’organisation avec le syndicat de la CNT :
« La limite des Gilets jaunes, c’est justement de ne pas être organisés sur les lieux de travail. Le syndicalisme révolutionnaire, dans une logique de réappropriation des moyens de production, peut-être un très bon outil de lutte. Et il peut ouvrir la porte à des modes d’action très efficaces comme la grève illimitée. Les syndicats majoritaires appellent plutôt à des grèves perlées, c’est trop timide pour fonctionner. »
Manif sauvage jusqu’à l’hôtel de police
La manifestation arrive à son terme vers 16h15 à la gare. La quasi-totalité des manifestants décident de repartir en direction de l’hôtel de police « pour soutenir Marlène (en garde à vue, ndlr). » Ceux-ci forment plusieurs chaînes en se tenant les coudes. Des larmes apparaissent sur plusieurs visages. « Les Gilets jaunes, c’est un peu une famille aussi. En tout cas, un engagement très sincère, qui fait ressentir des émotions puissantes », explique une dame en pleurs.
« Police partout, justice nulle part ! » chantent les manifestants en arrivant route de l’hôpital. Un cordon de CRS bloque la route. Certaines personnes expliquent aux forces de l’ordre qu’ils souhaitent « soutenir leur amie en allant devant l’hôtel de police », mais l’accès leur est refusé. Un policier explique que Marlène devrait rester au moins 24h en garde à vue. Les manifestants décident de se disperser vers 18h30.
En partant, des Gilets jaunes et des syndiqués à la CGT discutent ensemble. Ils évoquent la nécessité de continuer à se mobiliser « la semaine et le week-end. » Certains s’accordent à dire que pour toucher le plus de monde possible, « les lieux de travail sont stratégiques. La réforme des retraites peut être une bonne occasion pour ça. »
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