Pour l’édition 2014 de Roland-Garros, en plus du routard Paul-Henri Mathieu (90ème mondial) – à son 12ème tournoi – deux jeunes Alsaciens, Albano Olivetti (161ème) et Pierre-Hugues Herbert (130ème) ont été invités à participer pour la première fois aux qualifications d’un tournoi du Grand Chelem, via une wild-card. Pour eux, c’est une chance de briller bien sûr, mais aussi de garnir leur compte en banque, car se lancer dans une carrière de joueur de tennis professionnel coûte cher, très cher. Alors loin des projecteurs et du Champagne de Roland-Garros, chacun sa technique pour survivre.
L’invitation de Pierre-Hugues Herbert (TC Strasbourg) à Roland-Garros lui aura permis d’empocher 28 250€ de gains : 24 000€ en ayant perdu face à Jon Isner (tête de série n°10, 11ème mondial) au premier tour, auxquels il faut ajouter 8 500€ à partager avec son camarade Albano Olivetti lors de leur défaite au premier tour en double (4250€ chacun). Des sommes importantes, sans doute parmi les plus importantes jamais gagnées par le joueur strasbourgeois, auxquelles il faut retrancher environ 30 %, en raison des taxes perçues à la source.
Se donner les moyens, c’est avoir les moyens.
La spécificité de Pierre-Hugues Herbert est d’être particulièrement bien encadré, notamment par son père, Jean-Roch Herbert, rémunéré au SMIC par une association qui finance l’ensemble du projet de son fils depuis 2004. En 2013, les frais de compétitions de Pierre-Hugues Herbert se sont élevés à 63 723€. Selon des chiffres de L’Équipe, Pierre-Hugues Herbert avait amassé en gains de tournois seulement 44 499€ à la mi-septembre, en 2013. Les budgets sont difficiles à équilibrer et Jean-Roch Herbert écorne l’image du tennisman millionnaire :
« C’est clair, il y a un grand fossé entre les professionnalismes de différents sports, que ce soit le foot ou le basket dans certains pays, où il y a pas mal de places pour les joueurs, payés très chers. Le tennis est loin d’être le sport le mieux payé même si on n’est pas dans la situation de l’escrime ou de la nage en eau vive. »
Quand on le questionne sur les chances qu’a un joueur de réussir sur le circuit, même très bon, sans argent, Jean-Roch Herbert n’élude pas :
« Ils sont tous très bons les joueurs que je vois, en Alsace, sur le circuit, je ne vois que des talents, mais après, la chose dont je suis le plus fier car j’y suis pour beaucoup, c’est d’avoir su donner les moyens – avec les aides de la fédé, de la ligue d’Alsace – à aider financièrement Pierre-Hugues. Si vous n’avez pas les moyens financiers vous ne pouvez pas voyager, vous pouvez ne pas louer les services des personnes compétentes. »
Ces « talents » qui n’ont pas pu concrétiser leur rêve, justement, on peut en citer un. Davy Sum (Ill Tennis Club) – qui a d’ailleurs fait un petit bout de route avec Pierre-Hubert Herbert – a tenté l’aventure ATP à son retour des États-Unis où il a passé un Bachelor en business et marketing. Là-bas, il « louait » ses services pour les couleurs de son université. Il a raccroché sa raquette à 24 ans, en avril, l’espoir d’une carrière professionnelle évaporée en deux années et demie à peine sur le circuit ATP. Sa courte carrière s’est achevée à cause d’une hernie inguinale, un coup trop dur pour espérer remonter la pente à laquelle s’ajoute une série de défaites durant l’été 2013. Son meilleur classement aura été 583ème mondial en mai 2013.
Bien entendu, si les contre-performances et les blessures ont joué un rôle dans sa décision, son retrait du circuit international est aussi dû à la question du financement. Progresser signifie se donner le temps de réussir. Et le temps, c’est de l’argent. Et on commence à en perdre beaucoup trop quand on ne gagne plus.
« On ne fait que perdre de l’argent »
Si presque tout est inclus pour les meilleurs, les galériens du tennis mondial payent tout ou presque : équipement, entraîneur, kinésithérapeute, cordeur, hôtels, billets de train ou d’avions, trajets en voiture, nourriture. Davy Sum explique les sommes dérisoires qu’il a gagnées en tournoi :
« Pour se qualifier dans le tableau final d’un tournoi Futures (les moins prestigieux, ndlr), il faut généralement gagner trois matchs et c’est seulement à partir de là qu’on est payés. Si on gagne le premier tour d’un tournoi Futures d’une dotation de 10 000$, on prend un point ATP et on gagne 80$ ou 100$. Si on perd tout de suite au premier match c’est plutôt 60$. Le gagnant prend quant à lui quelque chose comme 800$. Après, si on joue dans un autre pays que celui où on est né, on prend des taxes. Si la dotation est de 80$, en fait on repart avec 65$ ».
Avec de telles sommes, le jeune joueur explique qu’il n’a fait « que perdre de l’argent ». Davy Sum prend le cas concret de la Turquie, un pays où il aimait jouer, parce qu’il proposait un circuit « all inclusive » pour participer à trois tournois, pour environ 1 000 euros les trois semaines, hors prix d’avion. Malgré ces prix attrayants, la sanction peut arriver vite :
Raquettes et roquettes
Quand on demande à Davy Sum s’il a vécu un moment où il s’est demandé ce qu’il faisait là, sur le circuit international, il rapporte cette anecdote en Israël : « c’était quand il y avait les bombardements à Gaza – on était à 10 minutes du mur défensif d’Ashkelon, on voyait les roquettes passer au dessus du terrain se faire intercepter par les missiles Israëliens et je n’avais qu’une hâte : rentrer chez moi. Je me disais : « qu’est-ce que je fais, je risque ma vie pour quoi là ? » Finalement j’ai décidé de rester et j’ai fait un deuxième tournoi à Tel-Aviv et je suis allé en demi-finale, j’ai pris 6 points, j’avais bien fait de rester, ça m’a permis de gagner beaucoup de places ». En règle générale, les tournois en Israël, sans taxes sur les gains perçus, sont courus des joueurs.
« Si on se fait sortir les trois premiers tours, on a déjà perdu 1 000, 1 200€. C’est là où c’est tendu parce que s’il n’y a pas de résultats, c’est dur de s’en sortir financièrement. »
Ainsi, les destinations sont choisies selon les possibilités financières du joueur. Parmi les mauvais plans, Hong-Kong :
« J’ai fait trois semaines là-bas, c’était 60€ par nuit, sans la nourriture, c’était hors de prix. Cela m’avait coûté 2 500€ au total et j’en ai gagné 1500. J’ai perdu 1000€ mais comme j’avais pris quelques points… Ça allait ».
Un point ATP a un prix sportif et financier. S’il existe des aides, de la ligue d’Alsace, de la fédération, il faut des bons résultats ou un parcours solide. Le vide se créé autour du joueur quand il commence à perdre. Les sponsors, eux, apparaissent aux alentours de la 200ème place mondiale. Sauf si un joueur parvient à créer un contact avec un chef d’entreprise, difficile de se faire financer quand on est 600ème.
Renflouer ses caisses avant de tout dépenser
Ce que font les joueurs, c’est un investissement digne d’une entreprise. Ils se constituent un capital sur deux mois, l’été, dans un circuit qui ne compte pas pour le classement ATP, entre tournois par équipe, interclubs, régionaux, sur les circuits nationaux des Grands Tournois qui comptent pour le classement français :
« On ne peut pas gagner sa vie comme ça mais on peut gagner beaucoup sur un seul match, des joueurs peuvent prendre 2 000€ pour jouer un dimanche, d’autres 1 000€, ça dépend des classements. Sur cinq matchs, on peut se faire 5 ou 6 000€. Pendant ces deux mois, je ne joue pas en Futures mais c’était nécessaire pour renflouer la cagnotte à dépenser tout au long de l’année. S’il y avait ces matchs tout au long de l’année je serais richissime mais ce n’est que deux mois par an, entre la France et l’Allemagne ».
Le paradoxe, c’est que l’été est la saison où il y a le plus de tournois ATP dans le monde. Pire, c’est là où le niveau est le plus faible. Et pour cause, les courts son désertés, chacun cherchant à gagner de l’argent dans son pays. C’est toute la cruauté du système : quand on peut gagner des points ATP facilement, il faut rentrer à la maison.
Qui plus est, la France, l’Espagne et l’Italie sont les tournois ATP les plus difficiles à jouer en raison du niveau des joueurs locaux. Pour ces joueurs, il faut quitter leur pays, investir de l’argent pour percer dans des tournois réputés moins bons, en Europe centrale, en Asie, en Afrique. Dans l’idéal, l’Amérique du Sud est la zone la moins difficile. Mais peu nombreux sont ceux à y aller en raison du coût du voyage.
« À moins 5 000€, j’arrête »
Chaque été, aides incluses, Davy Sum parvenait à se constituer un budget de 14 ou 15 000€. La limite des dépenses, c’était 20 000€ par an :
« Si en fin d’année je suis à moins 5 000€ par rapport à ce budget, je me disais que j’allais arrêter de jouer ».
Ce solde négatif est révélateur d’une certaine amertume :
« Quand on parle du foot on est jaloux. En France, en ligue 1, ils sont 500 joueurs. Cela veut dire qu’il y en a des milliers qui ont le même niveau dans le monde, qui gagnent 10 000€ par mois alors que nous, quand on est 500ème mondial, on s’en sort à la fin de l’année avec « moins quelque chose ». C’est là où il y a un souci je pense. Quand on est très fort, ça passe, mais ça filtre. Il faut que toute la famille tourne autour, avoir un effet de groupe autour du joueur. Dès qu’on perd, dès qu’on n’y arrive pas… »
Davy Sum laissera sa phrase en suspend. Aujourd’hui, il joue encore au tennis, participe à quelques tournois. Il confie regretter de ne pas avoir joué plus de tournois Challenger pour forcer sa courbe de progression, créer un coup d’éclat. Avec la pression évacuée, il avoue jouer l’un de ses meilleurs tennis. S’il a souhaité un temps transformer son bachelor en master avec une année d’études supplémentaire, deux propositions en CDI dans le marketing dans le monde du tennis lui ont été proposées pour le mois de septembre. Une occasion qu’il ne laissera pas passer.
Aller plus loin
Sur Le Figaro : Rencontre avec un smicard du tennis
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