Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Les Cowboys et les indiens, au cinéma et plus que jamais d’actualité

Utiliser une communauté pour en raconter une autre, tel est le projet de Les Cowboys, magnifique premier film de Thomas Bidegain. Chaque époque sa chasse aux sorcières -ou aux indiens-, la figure de l’ennemi est variable, mais le combat du « cow-boy » qui s’y confronte reste identique. L’islam dans ses manifestations fanatiques marque le début de notre siècle avec fracas. La troisième guerre mondiale est-elle déjà déclenchée ? Tout dépend de notre réaction, de notre capacité à supporter la surprise et à saisir la portée des événements.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Les Cowboys et les indiens, au cinéma et plus que jamais d’actualité

Jouer aux cowboys chaque weekend, pour un jour tenter de la devenir
Jouer les cowboys chaque weekend, pour tenter de le devenir un jour (Photo Antoine Doyen)

BlogDans Les CowBoys, film de Thomas Bidegain, Kelly, 16 ans, a subitement disparu. Pour Alain, son père, elle s’est faite kidnapper par l’ennemi, en l’occurrence son amoureux Ahmed. Mais il doit progressivement se rendre à l’évidence de ce qu’il refuse d’admettre : sa fille chérie s’est certainement enfuie de ce milieu où l’on se déguise en cow-boy tous les dimanches, pour vivre d’autres aventures plus exotiques et plus intenses. Il semble qu’elle ait choisi de se convertir à l’Islam et de porter un voile.

Un monde en mutations

Ce récit tragique d’un père qui veut récupérer sa fille à tout prix se trame sur fond de l’attaque du World Trade Center en septembre 2001. Cet attentat à la portée internationale est alors le paroxysme de l’horreur et de l’effondrement. Mais ce scénario simple et original, décrit aussi de façon récurrente l’état de choc qui persiste face à l’incompréhension totale que nous avons devant tous ces événements qui excèdent nos prévisions sur la réalité.

Un père déterminé à ne subir le nouvel ordre qui s'impose dans le monde
Un père déterminé à ne pas subir le nouvel ordre que lui impose à sa fille, ni encore moins à supporter celui qui cherche à dominer le monde (Photo Pathé Distribution)

 

L’hébétement et la surprise devant lesquels sont les parents face à l’évolution de leurs adolescents est un classique du genre, et il est parfois spectaculaire. Il est celui de la mère de cette jeune bourgeoise qui se prostitue alors qu’elle est encore mineure dans Jeune et Jolie de Ozon ; il est aussi celui du père d’Anne Franck qui découvre le célèbre journal de sa fille déportée, après la guerre.

C’est à partir de cet écart, de cette béance ressentie très singulièrement par un père qui perd pied, que Thomas Bidegain illustre l’incompréhension, le sentiment de peur et d’étrangeté qui règne à l’aube du XXIe siècle. Il nous met face à un monde qui explose de toutes parts, et qui connait de profondes mutations, les unes plus impensables que les autres.

Une famille « texane » en plein cœur du milieu de la France

Le célèbre scénariste des films De Rouille et d’os, Un prophète ou encore de Dheepan auréolé à Cannes, reprend l’univers des fêtes Country qui existent telles quelles dans la vallée du Rhône comme cadre réel et symbolique de son intrigue. Il montre comment la famille et tous les proches d’Ahmed sont tout désignés pour figurer les indiens. En effet,  ils appartiennent à cette communauté qui croit à des valeurs archaïques, mais qui est surtout celle qui refuse de se plier à la supériorité de l’occident en général, et de l’Amérique (où sont apparus les premiers cow-boys) en particulier.

La Bande-Annonce

Les personnages du milieu très spécifique que Thomas Bidegain rapproche de son objectif ne sont pas des agriculteurs, mais des gens de classe moyenne qui vivent dans une zone enclavée par les montagnes. Ils évoluent dans un décor très faussement Far West, mais surtout relativement isolés du reste de la France et donc du monde.

Chez Alain et Nicole, les enfants s’appellent Kelly et « le Kid ». Tout est dit. Chaque week-end ils enfilent des chapeaux à larges bords et dansent sur des pas folkloriques originaux, chaussés de leurs santiags. Lorsque Kelly disparait de cet univers en carton-pâte, inventé de toutes pièces, c’est le monde entier qui s’écroule autour d’Alain.

Fuir un monde où tout le monde se déguise en héros, pour embrasser un idéal exotique et radicalement dépaysant
Fuir un monde où tout le monde se déguise en héros, pour embrasser un idéal radicalement dépaysant (Photo Pathé Distribution)

Dans ce scénario que l’on espère réaliste, Thomas Bidegain suggère que deux générations seront nécessaires pour retrouver l’équilibre de ce qui a été bouleversé par la chute des Twins. Il faudra traverser du temps, revenir sur le passé et imaginer des nouvelles perspectives pour trouver sur la carte du quotidien cette indication si précieuse pourtant devenue floue: « vous êtes ici ».

D’un côté la destruction et la mort, de l’autre la vie

Alain fonce droit devant, de toutes ses forces, de façon brutale et entière. Il est prêt à tout, et même à tout perdre pour ne pas s’avouer dans l’échec et dans l’absence de toute maîtrise de ce qui se trame depuis bien longtemps à son insu.

Incarné par un François Damiens exceptionnel et subitement très viril en cow-boy, le Grand-Chef de la petite tribu subitement explosée, garde quand même une sensibilité qui le rend très attachant. Malgré toute la violence de cette figure profondément narcissique, quelque chose de fragile et d’émouvant se dégage de cette « crise ». Mais Alain paiera très cher de n’avoir jamais voulu s’avouer soumis à autre chose qu’à son désir, et de n’avoir pas su envisager de capituler.

Une mère aimante qui prend le parti de faire confiance à la vie et à sa fille
Une mère aimante qui prend le parti de faire confiance à la vie et à sa fille (Photo Pathé Distribution)

Quant à Nicole, la mère, elle accepte d’emblée la disparition de Kelly comme un départ. Plutôt que de se morfondre, elle choisit de lui faire confiance. Elle est incapable d’interrompre la spirale dans laquelle Alain s’enferme, mais elle est du côté de la vie et retrouvera la protection et l’amour d’un autre homme. Plus tard, elle réalisera qu’elle s’est peut-être trompée en faisant un tel crédit de rationalité à sa fille, mais son erreur ne la dégrade pas à nos yeux, bien au contraire. Elle l’assume pleinement en recevant Shazhana la pakistanaise voilée dans sa maison, comme sa propre fille.

Dans la famille Western, qui est le véritable CowBoy ?

Le Kid qui commence par marcher sur les traces de son père, finit par poursuivre sa trajectoire sur un chemin qui lui est propre. Il se range à sa façon du côté de ceux qui sont prêts à perdre pour s’épargner du pire, en s’ouvrant à d’autres possibles que cette vie de provinciaux sclérosés. Il décide d’élargir son horizon afin d’apprivoiser l’altérité dominante, et retrouver une sérénité face à la brutalité des changements de l’ordre mondial.

Sur les traces d'un père dont la figure est narcissique, prendre le temps d'exister par soi-même
Sur les traces d’un père dont la figure est narcissique, prendre le temps d’exister par soi-même (Photo Pathé Distribution)

Si Alain, se prenait pour un cow-boy, le Kid lui, va le devenir. Turban sur la tête, chevauchant un destrier arabe, il parcourt courageusement des terres inconnues. Il brave sa peur et l’échec de son père, pour les dépasser. La grande histoire rencontre alors celle de chacun. Pour le Kid, l’image des Twin qui s’effondrent en direct à la télévision, sont un clin d’œil de sa sœur. L’action terroriste le renvoie à ce qui a attiré Kelly au loin, tout aussi absurde que cela lui paraisse.

Un film sur la vie et sur le monde

En définitive, Les Cowboys retrace une histoire qui se déroule sur 15 ans, avec des moments forts et des dialogues tout simples de la vie de tous les jours, qui nous mettent à une distance très réaliste des personnages. Ce récit tragique et haletant prend progressivement de l’ampleur pour devenir une grande odyssée qui s’étend dans l’espace, dans le temps.

Ce film raconte l’histoire de gens « normaux », projetés dans le fracas d’un monde qui les dépasse. Il décrit la naïveté et l’ignorance des ceux qui pensent qu’avec de la colère et de la détermination, ils viendront à bout d’un fléau parce qu’ils l’ont fustigé, condamné, stigmatisé.

Les véritables cowboys restent isolés dans leurs rêves et leurs objectifs, seuls face au monde
Les véritables cowboys restent isolés dans leurs rêves et leurs objectifs, irréductiblement seuls face au monde (Photo Antoine Doyen)

Beaucoup de choses sont dites sur le malaise, les angoisses et toutes les questions que l’avenir nous inspire. Mais les étapes qui nous mènent à la perspective d’une résolution se disent dans le cadre d’une narration très elliptique, toute en pudeur et en retenue.

Pour le duo Bidegain-Debré, être proche des gens c’est raconter leur monde, c’est donner du sens à leur l’histoire. Avec les transformations du Kid, ce récit tente de transformer une époque et ouvre un espace de possibles. Il nous invite à repenser la configuration géopolitique qui est devenue la nôtre à partir de problématiques qui, de personnelles deviennent collectives, voire universelles.

Les CowBoys, à voir à Strasbourg aux cinémas UGC Ciné-Cité et Star Saint-Exupéry.


#cinéma

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Partager
Plus d'options