« Sanctifié-e-s par erreur ?! Prêcher la Grâce aux égaré-e-s », c’est le nom de la conférence que Nadia Bolz-Weber, pasteure, est venue donner jeudi 8 septembre à la paroisse protestante Saint-Guillaume de Strasbourg. Une centaine de fidèles, dont une bonne partie de jeunes pasteurs et étudiants en théologie, sont venus voir et écouter la marraine de la nouvelle antenne des « croyants inclusifs d’Alsace. »
Nadia est la fondatrice d’une paroisse luthérienne pour les « paumé-e-s » à Denver aux États-Unis. Alcoolique et toxicomane abstinente, elle expose ses failles au risque de choquer ou de déplaire.
Une église tordue
C’est dans l’église la plus tordue de la ville – le clocher de Saint-Guillaume est asymétrique – que Nadia entame son prêche moderne et mordant. Elle parle de régime, de yoga, de Facebook, de hipsters, et de la mort aussi. Elle revient avec sincérité sur une enfance difficile, empoisonnée par une maladie auto-immune, et partage ses questionnements existentiels :
« Quand j’ai lancé mes premières études bibliques dans un bar, des blogueurs ont tout de suite parlé de moi parce que j’étais tatouée. Des personnes branchées venaient, mais jamais régulièrement. Les seuls fidèles, c’étaient quelques paumés. Ils étaient là chaque semaine et ils auraient été disponibles n’importe quel autre jour de la semaine. Je me disais : pourquoi je n’attire pas les gens “cool”, comme moi ? Jusqu’à ce que je réalise : quel genre de personne peut penser ce genre de conneries ? »
Le côté badass de Nadia, c’est un petit peu son programme de relations publiques. Derrière ses tatouages, sa carrure impressionnante et son langage rude, cette pasteure hors normes cache une femme sensible, attachée aux formes traditionnelles de la liturgie tout en étant une fervente militante LGBTQ (lesbien, gay, bisexuel, transgenre, queer) :
« Il est important de prendre conscience que les LGBTQ ont toujours fait partie de l’Église, et qu’ils ne sont pas un problème. Ce n’est pas eux qui ont besoin de nous, mais nous qui avons besoin d’eux. Dieu a pris le décision que tu sois ce que tu es, nous n’avons pas de décision à prendre à propos de leur identité sexuelle. »
« Jésus lui-même aurait pu être homosexuel »
Ce sont les propos homophobes en réaction au « Mariage pour tous » qui sont à l’origine de cette soirée. Ces propos, tenus par des gens qui se réclament du christianisme et relayés dans les médias, ont fait honte au pasteur de la paroisse Saint-Guillaume, Christophe Kocher. Depuis, il souhaite réaffirmer haut et fort l’accueil inconditionnel de l’autre, tel qu’il est. Un accueil dans les églises qui ne va pas toujours de soi :
« Jésus lui-même aurait pu être homosexuel, on s’en fout de son orientation sexuelle. Ça ne dérange que les bien-pensants qui condamnent l’homosexualité mais qui souvent oublient que les prêts à intérêts sont interdits dans la Bible. On peut toujours justifier ce qu’on veut. »
Selon lui, créer une simple association ne permet pas d’aller aussi loin que de créer une antenne inclusive. C’est à dire une entité pleinement intégrée à l’UEPAL (Union des Églises Protestantes d’Alsace et de Lorraine) qui permet de prendre position et de pouvoir signer des communiqués de presse officiels en tant que paroisse. Christophe Kocher veut aussi donner une nouvelle image de l’Église :
« L’Église ne doit plus être un endroit réservé aux vieux où les jeunes s’emmerdent. Quand je me présente en tant que pasteur, les gens imaginent que je vais être quelqu’un de chiant et que je vais chercher à les endoctriner. J’aime bien les surprendre, être là où on ne m’attend pas. »
Une nouvelle génération de pasteurs rock’n’roll
Une démarche qui semble porter ses fruits. Son initiative est suivie notamment par Joachim, 29 ans, tatoué lui aussi, cheveux long, de grands yeux bleus et un piercing à l’arcade. Il fait partie du comité de l’antenne et il a repris des études de théologie après un master en Art du spectacle, il y a un an.
Fils de pasteurs, il a travaillé dans des associations et milité à AIDES avant s’intéresser à nouveau à une Église dans laquelle il ne se retrouvait plus depuis quelques années.
Sa compagne, Déborah est comédienne et pasteure à mi-temps. Look pin-up, issue d’une famille protestante, elle n’a jamais douté de sa foi et commence ses études en théologie directement après le Bac :
« Je suis venue comme j’étais. Ma mère flippait un peu que je ne sois pas dans les conventions de l’Église, mais être soi-même n’est pas un problème. Ma plus grande difficulté, c’est mon propre jugement sur moi. Cette soirée fait partie des événements encourageants, d’autant plus que mon petit frère de 18 ans vient de faire son coming out. »
Au delà des religions
Si l’Église ouvre ses portes à tous, c’est également une invitation destinée aux personnes d’autres confessions. Ce soir là, le chantre Yacov Weil, fils de rabbin, kippa sur la tête, est venu clore la soirée avec des chants hébraïques de sa voix envoûtante. Cet artiste globe-trotter balade partout sa volonté d’ouverture d’esprit au delà des frontières culturelles et religieuses :
« J’apporte quelque chose au niveau du champ sacré qui s’adresse aux âmes, pas aux institutions, ni aux lois ou aux dogmes. Je m’adresse aux humains. »
Dans le public, les uns ferment les yeux, les autres lèvent les paumes des mains vers le ciel pour se laisser emporter par la musique spirituelle de Yacov. Ce soir là, beaucoup de croyants pratiquants sont présents mais aussi quelques athées. Juvenal Ntandikiye, de tradition catholique, a perdu la foi. C’est sa lutte inébranlable contre les discriminations qui l’amène à se rapprocher de l’antenne inclusive de Saint-Guillaume :
« Après un acte sexuel, j’ai été condamné à mort. Je me suis dit : si Dieu me lâche, moi aussi je le lâche. J’ai été rejeté par les miens. Si j’avais eu la chance de rencontrer des gens ouverts pour me soutenir ça aurait été probablement moins dur à vivre. »
Juvenal, est devenu séropositif alors qu’il faisait ses études en Chine en 1988. Originaire du Burundi, il est renvoyé dans son pays où il est condamné à de la prison pour son homosexualité. Sur place, aucune prise en charge contre la maladie n’est possible. Malgré tout, il survit. En 2009 il s’installe à Strasbourg, et depuis lors, lutte contre les discriminations faites aux personnes atteintes du VIH.
Après le mariage pour tous, le culte pour tous ?
Parmi les paroissiennes les plus âgées, le prêche de Nadia ne surprend pas plus que cela. Comme à son habitude, Denise, 80 ans, rentre rapidement chez elle après le culte, elle manque d’embarquer un bout du portail en repartant au volant de sa petite voiture, tandis que Mireille confie être ouverte à ce genre de conférences atypiques.
Ce soir, le prêche se conclut de manière très classique par une bénédiction, quoique revue à la sauce Nadia Bolz-Weber :
« Bénis soient les agnostiques, ceux qui doutent, ceux qui ne sont pas sûrs, ceux qui sont dans la pauvreté spirituelle, ceux qui n’ont rien à offrir, les petits enfants qui triment pour avancer plus vite, les pauvres d’esprit, ceux qui ont enterré leur bien-aimé et dont les larmes peuvent remplir un océan, les mères qui ont perdu leur enfant en fausse couche, les sans mère, ceux qui sont dans la tristesse, ceux que personne ne remarque, les prostituées, ceux qui font le linge, les éboueurs, les paumés, les bébés, ceux qui sont oubliés, ceux qui sont au placard, les chômeurs, ceux qui ne sont pas représentés, les ados qui coupent leurs bras, les faibles, les accusés à tort, ceux pour qui la vie est dure, les sans-papiers, ceux qui n’ont pas de lobbyistes pour les défendre, les personnes qui prennent des décisions économiques désastreuses pour les autres, les femmes qui récoltent des fonds, ceux qui sont plein de bonté car ils ont tout compris. »
L’antenne des croyants inclusifs va organiser divers événements pour sensibiliser à l’accueil inconditionnel des croyants au sein de l’église, en particulier des personnes homosexuelles, bisexuelles et transgenres. La paroisse protestante Saint-Guillaume organise déjà depuis plusieurs années une messe sur ce thème lors de la Gay Pride de Strasbourg.
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