Des quartiers cossus de l’Orangerie aux mailles de Hautepierre, la première circonscription du Bas-Rhin est « la plus inégalitaire » selon Sandra Régol, candidate écologiste pour la Nouvelle union populaire et sociale (Nupes) aux élections législatives. Candidat Renaissance (ex-LREM) pour Ensemble !, Alain Fontanel la juge « très hétérogène sur le plan social et urbain ». Elle est surtout « la plus incertaine », selon le sociologue du CNRS Sébastien Michon. « Entre Hautepierre, Koenigshoffen, le secteur Gare et centre-ville, et les quartiers Est de l’Orangerie et du Conseil des XV, il y a 5 territoires différents », poursuit-il.
C’est aussi dans cette circonscription, la seule 100% strasbourgeoise, que les résultats des élections législatives des 12 et 19 juin auront le plus d’impact sur la vie politique locale. Bien qu’intéressé pour repartir, le député sortant Thierry Michels (LREM) n’a pas été reconduit par le parti présidentiel, après un mandat dont l’empreinte reste difficile à saisir localement et nationalement.
Les bureaux de vote de la circonscription
La République en Marche, tout juste rebaptisée « Renaissance » a préféré investir Alain Fontanel, ancien premier adjoint (2014-2020) et candidat malheureux à la mairie en 2020. Face à lui, les écologistes ont obtenu de la Nouvelle union populaires écologiste et sociale (Nupes), qui ambitionne de faire de Jean-Luc Mélenchon le Premier ministre d’une cohabitation, l’investiture de Sandra Regol, porte-parole et numéro deux du parti… qui a d’ailleurs participé à la fin des négociations :
« On a piraté la V° République qui ne permet pas de proportionnelle. On s’est mis d’accord sur un accord de gouvernement, ce que font les Allemands ou les Espagnols, mais après le verdict des urnes. LFI aurait certes pu vouloir cette circonscription au vu de ses scores, mais elle a aussi identifié l’ancrage local d’EELV dans plusieurs villes comme Strasbourg, comme cela a été fait avec le PS ailleurs, ou le PCF dans ses bastions ».
« Je suis clairement le challenger », affirme d’emblée Alain Fontanel. Difficile de lui donner tort au regard des scores du premier tour de l’élection présidentielle dans le périmètre. Jean-Luc Mélenchon y a récolté 36,8% des voix. L’addition des bulletins de tous les partis de la Nupes (LFI+EELV+PS+PCF) arrive à 46% des suffrages exprimés. Emmanuel Macron était lui à 30,9%. Pourquoi donc s’engager dans ces conditions ? Alain Fontanel évoque « la menace de Jean-Luc Mélenchon » et le fait que « Strasbourg a besoin d’être défendu » mais aussi « le challenge ».
Pour Sandra Regol et Alain Fontanel, l’enjeu de la participation
Les projections des scores du premier tour sont un bon indicateur, mais à relativiser. Alors qu’une forte abstention était redoutée en avril, la participation a finalement été bonne, de l’ordre de 75%. Or, pour ces troisième et quatrième votes de ce printemps, difficile d’imaginer qu’autant d’électeurs se déplacent. En 2017, la participation aux élections législatives était retombée sous les 50%.
Les quartiers de l’Est, plutôt favorables à Alain Fontanel, se mobilisent toujours fortement, quelle que soit l’élection. C’est globalement aussi le cas au quartier Gare et au centre-ville, davantage propices aux écologistes. C’est en revanche beaucoup moins vrai pour les quartiers plus populaires à l’Ouest. Pour Sébastien Michon, c’est la clé de cette élection :
« La participation de ces bureaux sera-t-elle correcte, autour de 50%, ou rechutera-t-elle à 20% comme on l’a vu à d’autres scrutins récents ? La Nupes a intérêt à faire voter dans les quartiers, car il sont plus disposés à voter pour eux ».
Des projections électorales de Franceinfo estiment aussi que plus la participation est élevée, plus l’élection sera favorable à la Nupes. Alain Fontanel voit les choses un peu autrement : « L’enjeu pour chacun, c’est de mobiliser son électorat ». Ce que les écologistes avaient mieux fait à Strasbourg en 2020 dans un contexte de pandémie et de forte abstention.
Sandra Régol sera-t-elle perçue comme une candidate EELV ou une prolongation de la candidature de Jean-Luc Mélenchon ? L’ancien candidat LFI figure d’ailleurs sur l’un des premiers tracts. « EELV a du mal à percer dans les quartiers », remarque à ce sujet Sébastien Michon.
Dimanche 22 mai, Alain Fontanel et Sandra Régol ont tous les deux fait campagne dans un parc. À l’Orangerie pour le premier et un pic-nic à Hautepierre pour Sandra Régol. Les deux équipes semblent avoir saisi où se situe les électeurs à mobiliser. La mobilisation des forces militantes sera primordiale pour réussir les porte-à-porte, moyen privilégié pour convaincre.
Un duel tout trouvé
Même si une dizaine de candidats sont déclarés sur cette circonscription (voir notre carte pour le détail), le duel est bien planté. « Vous avez vu le tract “5 bonnes raisons de voter Alain Fontanel” ? Il y en a 3 qui me concernent directement », remarque Sandra Régol. En effet, le document cible « une candidate qui soutient le projet inquiétant de prise de pouvoir de Jean-Luc Mélenchon », qui « affaiblira Strasbourg en prônant la désobéissance aux traités » ou encore « une candidate de parti parachutée de Paris ».
Parachutage dont l’intéressée, qui « connait bien Alain Fontanel et a même participé à des manifestations avec lui », se défend :
« Je suis arrivée en 2001, j’ai été candidate en 2012. J’ai ensuite arrêté la politique locale, pour participer à la remontada du parti, mais j’étais toujours là. En 2016, il n’y avait plus personne avec le départ des députés comme François de Rugy et Barbara Pompili pour En Marche. Puis, il y a eu les élections européennes de 2019, les municipales de 2020, les régionales de 2021 où l’on a retrouvé des élus. Les deux ans, où je n’ai pas du tout été à Strasbourg, c’était en 2020 et 2021, où je n’ai pas vu beaucoup de monde avec le Covid ».
Pas de quoi convaincre Alain Fontanel. « On ne peut pas prôner la proximité sans être là. Je ne sais pas si elle s’est inscrite entre temps, mais elle n’était pas sur les listes électorales en avril », rétorque le candidat qui a vérifié.
De toute manière, pour Sandra Regol les enjeux ne sont pas centrés sur Strasbourg :
« On assume que ce soit une campagne nationale. Les députés en Marche n’ont pas de liberté de vote. Faire campagne sur des enjeux locaux, c’est mentir aux électeurs. »
Dans son entourage, on rappelle qu’Alain Fontanel indiquait sur un tract en 2020 qu’il n’a pas toujours habité Strasbourg et n’est revenu qu’en 2008. Pour Sébastien Michon, le choix du candidat reflète aussi un changement de stratégie de Renaissance par rapport à LREM :
« L’investiture d’Alain Fontanel personnalise l’élection, contrairement à Thierry Michels en 2017 qui était inconnu et une prolongation du vote Macron. De manière générale, La République en Marche mise peu sur le renouvellement, avec deux tiers de sortants reconduits en France. Ce n’est pas non plus le message avec les nouvelles investitures : Alain Fontanel a eu deux mandats d’adjoints, dans le Kochersberg, Françoise Buffet a été investie à 69 ans, après deux mandats d’adjointe à Strasbourg et un au Département. »
« On me parle beaucoup du local et de la municipalité écologiste », relate d’ailleurs Alain Fontanel après ses premiers jours de campagne. Parmi les points dont il se fait l’écho, « l’absence incompréhensible de Jeanne Barseghian au Parlement européen qui a snobé non seulement Emmanuel Macron mais surtout la restitution de la Convention citoyenne sur l’avenir de l’Europe ».
Au point sur les programmes et arguments
Question programme, les deux candidats récitent les propositions de leurs partis : blocage temporaire des prix à la pompe, Smic à 1 500 euros, retraite à 60 ans pour Sandra Regol… Retraite à 1 100 euros et indexation sur l’inflation, suppression de la redevance télévisée, des mesures de « testing contre les discriminations » pour Alain Fontanel. S’il devait être élu, ce dernier aimerait notamment s’investir sur la convention citoyenne sur la fin de vie. Pour Sandra Regol ce serait « mieux faire connaitre Strasbourg pour son exemplarité » et « accompagner davantage des politiques » comme la Zone à faibles émissions et le Plan Climat.
Et on attaque aussi l’adversaire. « Élisabeth Borne est l’architecte de la réforme des retraites selon laquelle il faut travailler sept mois dans l’année pour recharger ses droits. Dans les quartiers comme l’Elsau, ça va faire des ravages et pousser des gens à la rue », attaque Sandra Regol. « Notre projet, c’est réparer ce qui a été abîmé, puis anticiper l’avenir », poursuit-elle. Pour Alain Fontanel la « désobéissance » sur les traités européens est le plus problématique et contraire à la ligne d’EE-LV. « La France désobéit déjà quand elle ne respecte pas l’accord de Paris pour le Climat ou la sortie du glyphosate », contre-attaque Sandra Regol. Pas de quoi convaincre Alain Fontanel :
« Les Britanniques qui refusent leur accord de sortie de l’UE ou Orban en Hongrie qui désobéit sur les libertés fondamentales… Ce sont ces attitudes qui font le jeu des adversaires de l’Europe, c’est d’ailleurs ce que disait Yannick Jadot avant l’accord et sa disparition. »
Il y a-t-il un arbitre dans l’élection ?
Quelqu’un peut-il s’immiscer dans ce duel tant annoncé ? Pas le Rassemblement national avec Tamara Volokhova. La circonscription fait partie des moins gagnables de France pour le RN (avec 8,9% puis 19,3% pour Marine Le Pen au 1er et 2e tour). Et ses reports de voix au second tour sont plus qu’incertains.
Il y a certes Éric Elkouby, ancien élu PS strasbourgeois, député entre 2016 et 2017 avant d’être submergé par la vague macroniste en 2017, en dépit de son étiquette « majorité présidentielle ». Puis, après avoir pris ses distances avec la macronie, à nouveau battu d’une courte tête aux élections départementales en 2021. « Il peut affaiblir Alain Fontanel aux Contades, qui est un secteur qu’il a beaucoup travaillé en étant assistant parlementaire d’Armand Jung, qui était plus implanté à Kœnigshoffen. Il peut aussi affaiblir Sandra Regol à Koenigshoffen, où son nom est encore connu », analyse Sébastien Michon. Il a un petit espace chez des électeurs de centre-gauche qui n’apprécient ni la majorité présidentielle, ni l’accord de la Nupes. Mais il n’a en revanche aucune dynamique de campagne nationale, ni de perspective de siéger dans un groupe parlementaire qui lui correspond.
Peut-être Jérémy Govi, animateur connu à Hautepierre (voir notre article) ? Sa présence est redoutée par la Nupes qui redoute un affaiblissement de son score au 1er tour dans ces quartiers, et indirectement une valorisation d’Alain Fontanel. « Ce type de calcul est à double tranchant, car ça peut aussi intéresser des gens à une élection qui pourraient ensuite voter au second alors qu’ils ne l’auraient pas fait sans cela. Or, Hautepierre n’est pas un secteur favorable à Alain Fontanel », tempère Sébastien Michon.
En temps normal, la candidate Les Républicains (LR) Audrey Roznehaft aurait déjà eu fort à faire dans cette circonscription tenue par le PS depuis 1997. Mais après l’abandon subit des deux têtes d’affiches strasbourgeoises, Jean-Philippe Vetter et Jean-Philippe Maurer, le message envoyé par la droite locale est celui d’une campagne à bout de souffle. Son score pourrait néanmoins constituer une petite réserve de voix au second tour pour Alain Fontanel.
Les deux camps ont à perdre
Pour beaucoup de militants, chez LREM – Renaissance et dans les autres camps, Alain Fontanel joue avec cette élection son avenir politique. En cas de défaite, la troisième sur son nom en autant de tentatives, après les départementales de 2015 à la Robertsau (sous l’étiquette PS), les municipales de 2020 et donc ces législatives, il pourrait ne plus avoir sa chance lors des élections municipales de 2026.
Pour Sébastien Michon, cette candidature est « une sacrée prise de risque » :
« Après avoir perdu une municipale puis une législative, il est d’habitude difficile de revenir à une élection, il y aura des barrages dans sa propre famille politique. Ce n’est pas un hasard si beaucoup de députés de 2017 se sont rabattus en 2020 sur des élections municipales (Éric Straumann et Laurent Furst pour LR en Alsace, NDLR), un scrutin qu’ils maitrisaient mieux que des élections législatives où l’on est dépendant du contexte national ».
Le « challenger » Alain Fontanel, lui, se gardera bien de tirer des conclusions du résultat :
« Au regard des dernières élections, le temps long en politique est difficile à prévoir… Qui aurait imaginé Emmanuel Macron réélu après Benalla, les Gilets jaunes ou pendant l’affaire des masques ? Heureusement qu’il y a eu les réponses du Grand débat et le succès de la campagne de vaccination. »
Il fait part d’un état d’esprit différent : « Je n’ai ni stress, ni pression contrairement à 2020. Je me suis ressourcé et je ne suis pas fatigué par les responsabilités que je venais d’exercer. » Alain Fontanel estime aussi qu’il est en partie dépendant des premières semaines du gouvernement (entretien réalisé avant l’affaire Abad).
L’analyse peut aussi se faire dans l’autre sens. Si l’écologiste Sandra Regol, favorite au regard des scores d’avril et de l’union de la gauche venait à être battue dans une ville tenue par une municipalité écologiste, Alain Fontanel pourrait être renforcé par sa victoire acquise de haute lutte. Et la municipalité écolo exposerait la fragilité de son ancrage. La circonscription avait été listée comme parmi « les plus gagnables » par EE-LV, avant-même l’alliance de la Nupes. Là aussi, Sandra Regol reste prudente : « C’est un enjeu national, on demande un mandat collectif », rétorque-t-elle. Mais un peu plus local qu’ailleurs.
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