C’est un petit monde qui s’écroule. Des réseaux tissés depuis parfois des décennies vont se détendre. La circonscription 1 du Bas-Rhin était tenue depuis 1997 par le socialiste Armand Jung. Des poids lourds de la droite s’y sont essayés, toujours en vain.
En 2016, son « fils spirituel », Éric Elkouby l’avait emporté assez confortablement (avec 53,7% des voix) lors d’une élection partielle. Il en avait fait un argument de campagne, il a arpenté les coins et recoins de ce territoire depuis 20 ans, comme attaché parlementaire, comme conseiller parlementaire ou élu de quartier.
Éric Elkouby, élu d’opposition au département
Après son élection, Éric Elkouby, 43 ans, quittait alors la municipalité, fidèle à son credo « d’homme libre ». Le maire avait souhaité qu’il reste et il aurait pu conserver ses fonctions d’adjoint. Cette liberté lui a permis de critiquer vertement le tracé du tramway vers Koenigshoffen, mais pas d’être réélu un an plus tard, même affublé de la mention « majorité présidentielle ». À partir de ce 19 juin, il n’est plus que conseiller départemental d’opposition.
C’est finalement un inconnu en politique locale, mais porté par le mouvement du nouveau président, qui aura détrôné le PS dans son pré carré : Thierry Michels, 53 ans et chef de projet dans l’industrie pharmaceutique. Il l’emporte largement avec 59,95% des voix. Un écart inimaginable lorsque les partis lançaient des projections fin 2016.
Au sud, Philippe Bies battu n’oublie pas Strasbourg
À Strasbourg-sud, l’implantation du PS est plus récente. Philippe Bies s’était fait élire dans le contexte de la vague rose de 2012, mais il était adjoint de quartier de Neudorf depuis 2008. Il a été un député actif et a tâché de garder un ancrage local. Mais il a tout voté lors du quinquennat de François Hollande et la sanction est similaire. Sylvain Waserman, issu du MoDem et investi par LREM, l’emporte avec 58,52% des voix.
Très ému lors de son discours de défaite (voir ci-dessous), Philippe Bies n’a d’ailleurs pas oublié de faire une référence à Strasbourg et promet de « réfléchir au devenir de [sa] ville et de ses quartiers, pour proposer le moment venu le projet d’une ville solidaire, écologique et innovante. » Le rendez-vous est donné pour les élections municipales de 2020, même s’il prône un travail « collectif » pour se substituer « au choc des égos » actuel.
En tant qu’élu à la Ville de Strasbourg, président de deux grands bailleurs sociaux et chef de la majorité PS, il restera à n’en pas douter un acteur incontournable de la vie politique locale, notamment sur la question du logement.
Défaite aussi lourde pour la droite au nord
Au nord, bastion de droite, scénario similaire à front inversé. Marcheur de la première heure, représentant du mouvement dans le Bas-Rhin, Bruno Studer, 39 ans, professeur d’histoire-géographie à Cronenbourg, sera le député de la circonscription du Parlement européen. Il bat Georges Schuler (LR), maire de Reichstett, conseiller régional et secrétaire général de « Les Républicains » dans le Bas-Rhin. Il était suppléant du député sortant, élu quatre fois de suite, André Schneider.
Dans les trois circonscriptions, le scénario est le même. Le challenger a à peu près doublé son nombre de voix par rapport au premier tour, soit 4 000 à 6 000 voix de plus, alors que la participation baisse (et le vote blanc augmente). Le candidat « En marche » n’a gagné « que » 2 000 à 3 000 voix entre les deux tours. Pourtant, le rapport final est partout le même, tout juste en dessous des 60-40. Néanmoins, aucun des trois marcheurs ne réunit plus de 22% des inscrits.
Difficiles conclusions
Il sera difficile de tirer de grandes conclusions électorales locales. Les écarts sont semblables partout et les dynamiques nationales l’ont emporté. D’autre part, il n’y a aucune élection passée pour comparer ces scores. Le second tour indique qu’En Marche bénéficie assez peu des reports de voix, de droite comme de gauche, mais les écarts étaient élevés. Après un quatrième dimanche électoral, voire plus avec les primaires, une certaine lassitude commence à poindre.
Enfin, lors des prochaines élections, « En Marche » aura gouverné trois ans et peut-être dilapidé une partie de sa popularité actuelle…
Derniers (re)positionnements avant 2020
La longue séquence électorale s’achève. Pour autant, les répercussions politiques ne s’arrêtent pas et des ajustements sont à prévoir pour la deuxième moitié des mandats à la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg, et pour préparer les élections municipales de 2020. Avec en ligne de mire, le positionnement à adopter pour, à la fois, gérer les affaires, garder des alliés et coller aux attentes de l’électorat.
À la tête de la coalition droite-gauche à l’Eurométropole, Robert Herrmann (PS) estime qu’En Marche va désormais devoir se découvrir pour peser :
« Nous avons maintenant de nouveaux députés sans expérience et il faudra voir comment ils se positionnent sur les dossiers que nous avons à traiter en commun. Je vois par exemple la députée élue dans la circonscription du Grand contournement ouest (Martine Wonner, ndlr) dire que son positionnement a été « subtil ». Au bout d’un moment, il faut trancher et c’est pareil dans notre assemblée où il y a une coalition, mais qui ne gomme pas les différences comme chez Emmanuel Macron. »
Difficile de voir des dossiers locaux majeurs où « En Marche » serait en désaccord profond sur ce qui se fait à Strasbourg. Un des néo-députés, Sylvain Waserman, était d’ailleurs directeur d’une des plus grosses sociétés de la collectivité, Réseau GDS. Les dossiers y sont techniques mais tout est question d’équilibrage, par exemple sur le logement ou les transports.
Pourquoi mettre « des têtes en haut de lances » ?
Pour Robert Hermman, « la division de ces élections laissera des traces qu’on retrouvera » à l’avenir :
« Que des élus reconnaissent qu’ils se sont trompés et qu’ils changent d’avis c’est une chose, mais de là à mettre une telle application à faire battre des gens de son équipe, que ce soit Yves Bur face à Sophie Rohfritsch (LR) ou Alain Fontanel face à Philippe Bies et Éric Elkouby… Est-ce qu’il fallait vraiment venir avec des têtes en haut de lances ? »
Quant à la possibilité de réintégrer Philippe Bies comme vice-président, telle Catherine Trautmann après sa défaite aux élections européennes, il coupe court à cette possibilité : « nous sommes déjà au maximum et cela impliquerait de refaire une élection. » L’élection de janvier avait déjà créé des soubresauts. Pas sûr que le Parti socialiste ait désormais envie de remettre un siège en jeu. Il n’a pas la majorité absolue et a tout à y perdre.
S’il devait y avoir du mouvement, cela serait donc plutôt du côté de la municipalité de Strasbourg. Le nombre d’adjoints thématiques est également au maximum depuis septembre, mais il serait possible de bouger à la marge avec les adjoints en charge uniquement de quartiers (comme Luc Gillman pour Koenigshoffen). Mais il faudrait retirer une délégation à l’un des adjoints en place.
Pas de mouvement visible avant juillet
Le maire de Strasbourg, Roland Ries (PS), a de son côté rappelé qu’il « reste socialiste » et renouvelé son souhait de faire cohabiter les élus passés chez « En Marche » au sein de son équipe. La majorité a toujours fait bloc, mais sur certaines délibérations, comme le cinéma Odyssée, un Grand Prix de formule E, la clinique Rhéna, plusieurs élus auraient été tentés de gérer les affaires différemment.
A priori, les grandes manœuvres ne sont pas pour tout de suite. La question des groupes « En Marche » dans les villes, les départements et les régions sera actée lors d’un congrès fondateur à la mi-juillet, ou le « mouvement » deviendra un vrai parti politique. Mais en coulisses, il va falloir se compter, chez les « marcheurs », chez les socialistes, mais également plus à gauche, chez les « social-écologistes ». Petites tueries entre amis en perspective.
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