Que se passe-t-il à l’Union des démocrates indépendants (UDI) ? Le parti centriste investit sur la campagne de la législative partielle de Strasbourg des 22 et 29 mai comme s’il jouait sa (sur)vie : une campagne commencée il y a neuf semaines, une foule de militants sur les marchés, sept tracts différents, deux locaux de campagnes, un grand meeting au Ciarus (plus de 150 personnes) avec la venue du président du parti, Jean-Christophe Lagarde…
Jusqu’ici, le parti de centre-droit fondé en 2012 était plutôt habitué à des campagnes discrètes et des alliances au premier ou au second tour avec l’UMP, devenu « Les Républicains ». Cette fois-ci, l’UDI affirme ses ambitions et investit environ 30 000 euros, soit très proche du plafond de dépenses remboursées (33 708 euros) si 5% des voix sont obtenues. Une grande partie de cet argent vient de la structure nationale, qui a fait de cette élection partielle comme celle de l’Ain un enjeu stratégique.
Laurent Py, nouvelle tête
Il est vrai que son candidat Laurent Py n’est pas un visage connu de la politique strasbourgeoise. L’ingénieur de 38 ans a participé à plusieurs campagnes de l’UDI comme militant, mais c’est sa première en tant que candidat :
« Avec ce qui s’est passé en 2015, les attentats et la montée du FN, je me suis dit qu’il fallait qu’on s’engage tous. J’avais déjà des engagements associatifs comme à Strasbourg Respire et l’association des parents d’élèves des établissements à vocation internationale de Strasbourg (Apelvis), mais il fallait aller plus loin et l’UDI a bien voulu me donner une chance. »
Pour les membres de l’UDI, ce manque de notoriété serait justement sa force. Conscient de la déception généralisée dans les partis de gouvernement, sans pour autant que les solutions du Front National séduisent ces insatisfaits, le parti centriste veut être celui du « renouvellement ». Au niveau local, François Loos (62 ans), bon connaisseur des dossiers mais piètre communicant se met en retrait. Il a notamment rejoint la présidence du syndicat des brasseurs de France.
L’Alsace, une ancienne terre centriste
Alors que l’Alsace était une terre centriste, « elle ne compte aucun député UDI sur ses 9 représentants (7 de LR et 2 PS avant la démission d’Armand Jung ndlr) » se désole Jean-Christophe Lagarde lors de sa visite. Le sénateur Claude Kern et président de la section bas-rhinoise est le seul parlementaire alsacien de la formation. Lors de la création de l’UMP en 2002, les poids lourds alsaciens de l’UDF avaient tous rejoint le parti créé par Jacques Chirac et Alain Juppé, puis dirigé par Nicolas Sarkozy. Et peu ont fait le chemin inverse lorsque Jean-Louis Borloo s’est distancié de la droite en 2012.
Après une vague d’adhésions en 2015, l’UDI compte environ 400 militants dans le Bas-Rhin. Certes, on est loin de « Les Républicains » et ses 3 000 et quelques adhérents, mais selon les comptes, ce total dépasserait celui du PS.
Un accord aux régionales pas apprécié de tous
Autre explication de cette mise à distance de l’allié traditionnel, l’accord aux régionales qui à laissé des traces chez plusieurs membres du parti. Six des neufs candidats sur la liste bas-rhinoise ont pris leur carte quelques jours avant le dépôt de la liste pour respecter les quotas des accords nationaux. Bien que Claude Kern indique que « les partenariats passés ne sont pas à remettre en cause » et que la raison de cette candidature autonome est que le parti « pense avoir un bon candidat », il affirme néanmoins dans son discours lors du meeting du 12 mai « l’UDI n’est le vassal de personne ».
Lors d’un entretien à Rue89 Strasbourg, Philippe Richert avait évoqué le sujet :
« Dès le début, j’avais dit mon intention de former une liste avec l’UDI et Modem. Pour moi, il est normal que la droite et le centre travaillent ensemble, ils ont peu de différences. Ce qui compte, c’est d’avoir une équipe soudée. Après qui a sa carte depuis quand, ce n’est pas très important. Il y a toujours des déçus après ces moments de tension. »
Visite de Jean-Christophe Lagarde à l’Elsau
Pour la visite du président du parti Jean-Christophe Lagarde à Strasbourg, Laurent Py a choisi de lui montrer le quartier de l’Elsau, moins médiatique que les quartiers sensibles de Neuhof ou Hautepierre, le secteur isolé décroche socialement.
Le rendez-vous était donné aux abords de la prison et devant le supermarché Leclerc qui n’a toujours par rouvert malgré des promesses à répétition de l’adjoint de quartier Éric Elkouby (PS)… lui-même candidat à cette élection. Maire de la commune défavorisée de Bobigny en région parisienne, Jean-Christophe Lagarde a dit aux habitants « on n’investit pas dans les quartiers qui ne votent pas » pour les encourager à se porter sur son candidat plutôt que vers l’abstention.
La droite et l’UDI quelle différence ?
Pour convaincre les électeurs, l’UDI doit se démarquer de l’image de faire-valoir de la droite. Laurent Burckel, premier vice-président de l’UDI et conseiller régional du Grand Est (l’UDI s’est alliée aux listes conduites par Philippe Richert en 2010 puis en 2015 dès le premier tour), détaille les différences :
« Lorsqu’on a un projet commun on peut se rassembler. C’était assez simple à la Région, ce n’était pas le cas ici. L’élection est plus ouverte, le profil des électeurs est différent et il y a une volonté de sortir du trio PS-LR-FN. Par rapport à la droite, l’UDI a une façon différente d’approcher la vie publique. On demande plus d’intégration au niveau européen, une économie plus solidaire et davantage au service de l’Homme, ainsi qu’une vision plus ouverte sur la famille. »
Contre le cumul des mandats
Lors de son discours au Ciarus, Laurent Py a un peu détaillé le type de député qu’il serait :
« Plutôt que de légiférer en permanence, sachons simplifier et surtout accompagner : les demandeurs d’emploi, les petites entreprises, les créateurs d’emploi, les jeunes. Et enfin appliquons les lois qui existent et contrôlons leur respect. »
Le candidat a aussi adressé un clin d’œil à ses trois adversaires FN, PS et LR, qui ont tous au moins un mandat :
« Non, les Strasbourgeois ne veulent pas d’un candidat qui cumule les mandats et les fonctions, qu’il soit soit de droite de gauche ou du front. Ils refusent ceux qui multiplient les promesses non-tenues, les candidatures à répétition et perdantes, ceux qui proposent toujours les mêmes recettes. Ils ne veulent pas de candidats qui se battent pour d’autres élections que cette législative. »
Limite de l’exercice, le président du parti Jean-Christophe Lagarde cumule lui-même les mandats de député et maire de Bobigny, ce qui n’est pas apprécié de tous.
Comme suppléante, Laurent Py a choisi Audrey Rozenhaft, jamais encartée. « C’est surtout la personnalité de Laurent Py, qui est un ami, qui m’a convaincue à m’engager quand il m’a proposé. Je me reconnais dans ce qu’il veut faire pour accompagner les jeunes, l’emploi et le non-cumul », dit cette commerciale d’une compagnie aérienne.
À droite, des différences moins affirmées
À droite, on goûte peu à cette émancipation. Catalogué très à droite du parti – il avait par exemple manifesté contre le mariage pour les personnes homosexuelles – le candidat de « Les Républicains » Jean-Emmanuel Robert a pris comme suppléante Maritchu Rall, justement membre de l’UDI et sous le coup d’une exclusion pour ce geste.
Lors d’un point presse, le candidat et sa suppléante n’ont pas vraiment souhaité répondre à la question des différences avec le binôme UDI :
« Est-ce qu’il y a vraiment des électeurs qui hésitent entre eux et nous ? On ne fait pas une introspection des électeurs. On évite de regarder de côté. » répond Jean-Emmanuel Robert.
Sa suppléante ajoute :
« Jean-Emmanuel Robert avait une volonté d’union, mais ça n’a pas été possible. Sa démarche me paraissait intéressante. L’UDI a fait des scores faibles aux municipales. La politique passe au second plan. »
Des différences, on en trouve tout de même dans sa profession de foi : il n’y a par exemple pas de référence à l’Europe. Sans surprise il dit vouloir s’opposer à la politique de François Hollande et de Manuel Valls, lutter contre le chômage, la maîtrise des impôts, pour plus de sécurité, même si les marges de manœuvre d’un député d’opposition – qui plus est pour un an – sont assez réduites sur ces points.
« Préparer l’alternance »
Mais comme à l’UDI, une victoire permettrait de « préparer l’alternance ». Un candidat vainqueur a toutes ses chances d’être réinvesti en 2017. Autre proposition qui détonne : se battre pour une collectivité unique d’Alsace (fusion des deux départements de la région comme en Corse), proposition d’Éric Straumann député (LR) et président du Haut-Rhin, le soir-même des régionales.
Si d’aventure l’UDI devait se trouver au second tour à leur place, le tandem LR assure qu’il le soutiendra pour que « l’union de la droite et du centre l’emporte ». Une position rare, car souvent les candidats – non sans langue de bois – ne répondent pas à ces questions, en disant se concentrer sur le premier tour. À l’UDI d’ailleurs, pas d’expression du parti ou du candidat à ce sujet.
2017 dépend en partie du résultat
Troisième groupe de l’assemblée nationale avec 29 députés, pourquoi la direction nationale investit tant l’élection strasbourgeoise ? Un député de plus ou de moins ne changera pas la puissance du parti d’opposition qui a voté la motion de censure du gouvernement avec la droite. Mais Jean-Claude Lagarde a motivé ses troupes :
« À Paris, on pense cette élection favorable au PS. Elle sera commentée si on les fait mentir. »
La stratégie de 2017 découlera, entres autres, du résultat de Strasbourg et de celui dans l’Ain. L’UDI a décidé de ne pas s’associer à la primaire de la droite de novembre 2016 pour l’élection présidentielle de 2017. Mais il cherchera a passer un accord de programme avec le vainqueur. Les convergences seraient plus faciles avec Alain Juppé que Nicolas Sarkozy.
Si les négociations n’aboutissent pas, l’UDI n’exclue pas de présenter un candidat à la présidentielle puis d’autres aux législatives, ce qui risquerait d’affaiblir la droite. Mais d’ici là, beaucoup de choses peuvent changer. La démarche « de gauche et de droite » du ministre de l’Économie Emmanuel Macron (PS) avec son nouveau mouvement « En Marche » ne laisse par exemple pas insensible dans les rangs centristes.
« À 15 à 17%, on a une raison d’exister »
Sans se projeter aussi loin, le vice-président de l’UDI du Bas-Rhin et maire de Schiltigheim, Jean-Marie Kutner avance des objectifs chiffrés :
« Il faut pouvoir se compter. Si on fait 15 à 17%, c’est qu’on a une raison d’exister. Si on fait 3%, il faudra se poser des questions. C’est une élection sans conséquences politiques, donc l’occasion pour les électeurs de s’exprimer sans risque. »
Une claque à 3% semble peu probable si l’on se base sur les derniers scores de l’UDI dans la circonscription. En 2014, ils étaient de 7,60% aux municipales et de 12,5% aux européennes (en liste commune avec le Modem), bien que le parti soit à chaque fois arrivé cinquième, derrière les écologistes et le FN. En 2015, l’UDI était alliée à l’UMP/Les Républicains aux régionales, départementales, comme à la dernière élection législative en 2012.
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