L’action commence lentement sur les routes désertes du Wyoming. Ces chemins qui semblent ne mener nulle part, ne sont pas seulement le lieu de rencontre de tous les brigands. Ils sont aussi fréquentées par les chasseurs de prime… à moins que ceux-ci ne soient les mêmes que ceux-là. Comme resurgis du précédent film de Tarantino, ces justiciers d’occasion (désormais officiellement des salopards), bravent le blizzard en direction de Red Rock avec leurs captures.
Chapitre I – Les images d’un film Blanc-Noir-Rouge, 19 / 20
Blanc
Le blizzard est le premier protagoniste de ce faux thriller, dont l’action se tient davantage dans les dialogues très théâtraux que dans les courses poursuites. Une tempête de neige fait rage, et les paysages d’une blancheur éblouissante sont traversés par un magnifique attelage de destriers de haute classe. L’art très maîtrisé de Tarantino est indéniable; chaque foulée, chaque angle de vue est calculé pour notre plus grand plaisir. La luminosité est aveuglante, le froid nous transperce, mais l’ambiance visuelle est signée d’une main de maître, et les plans sont tout simplement sublimes.
Noir
Et puis il y a le noir, avec l’apparition qui tranche dans ces étendues de neige, du colonel Warren, combattant courageux mais aussi un peu douteux de la guerre de Sécession. Sa présence provoque un discours ponctué du signifiant « nègre » jusqu’à saturation. Plus tard, entouré de sept autres salopards, il évoluera dans la pénombre de cette auberge perdue en pleine montagne, dans un halo d’humour noir qui rase les murs, frôle les portes, et plane sous un plafond bien bas…
Rouge
On l’attend depuis les scènes d’ouverture, en oubliant presque qu’il doit inévitablement débarquer tellement la première heure est longue et infiniment bavarde. Le bain de sang tarantinesque déferle enfin ! Les cervelles grillées à la carabine explosent, les bras sectionnés pendouillent, les visages sont recouverts d’abondantes giclées d’hémoglobine. Les armes à feu font bon ménage avec les globules rouges, elles apparaissent dans une symbiose parfaite qui n’en finit plus, digne d’un massacre à la tronçonneuse version 2.0. La maestro du très grand cinéaste de Reservoir Dogs et de Pulp Fiction est à son comble.
Chapitre II – La dénonciation du racisme, 10 / 20
La rencontre des chasseurs de prime et « des chasseurs de chasseurs de prime », a lieu dans l’auberge de Minnie, mais celle-ci est absente. La dénonciation de la discrimination envers les noirs, et du racisme encore très à vif -voire exacerbé par la reddition- confronte tous les opposants de l’abolition de l’esclavage. Tarantino pose le cadre d’un propos résiduel de son précédent opus Django. Ça sent le déjà vu, mais on espère que l’auto référence soit aussi fructueuse que l’allusion aux quatre filles de Pulp Fiction dans Kill Bill.
Mais le film coule et s’enlise dans des mauvais-bons sentiments, et dans le semblant d’une misérable plaidoirie contre la haine raciale. Les dents blanches et l’immense rire de Samuel J. Jackson l’excluent peut-être du discours très ségrégationniste qui persiste, mais le propos se délaie rapidement dans la banalité d’une dénonciation de base : vous avez traité les noirs en esclaves, vous ne perdez rien pour découvrir que sous leurs airs bêta, ils sont plus malins que vous.
Chapitre III – L’enquête teintée d’Agatha Christie, 13 / 20
C’est le cœur de l’intrigue, le moment où le film décolle enfin pour prendre son allure de croisière. Il est alors question de café empoisonné, d’arme planquée sous la table, de cadavres dans le puits, de diligence détournée, de fausse-identité, et de contrefaçon de l’autorité du président Lincoln. Le mystère façon Cluedo est joliment amené, mais l’issue reste caricaturale. C’était bien essayé, mais la simplification de l’enquête accapare le scénario bien plus qu’elle ne lui donne du tonus.
Les Huit Salopards aurait presque pu s’intituler Les Dix Petits Nègres. En effet, à l’instar des écrits de la noble Agatha, personne n’est ce qu’il dit qu’il est, et les salopards s’éliminent au fur et à mesure les uns les autres. Quant aux nègres, ils n’apparaissent que dans la profusion du signifiant dégradant sans le modérateur « petits ». La dizaine d’origine se trouve remplacée par le nombre de films à l’actif du célèbre réalisateur. Car effectivement, il se célèbre beaucoup lui-même dans ce dernier opus, même si cette auto-proclamation n’est pas toujours de très bon gout.
Chapitre IV – La philosophie de la vengeance expliquée au spectateur, 11 /20
L’œuvre de Tarantino est traversée par la déclinaison du concept de vengeance. Dans tous les scénarios qu’il nous a proposés jusqu’ici, les faibles peuvent devenir forts et les innocents des criminels ; mais aucun méchant n’y saisit jamais la chance de renouer avec sa bonté potentielle. Il n’y a définitivement ni leçon à apprendre de nos erreurs, ni rédemption possible pour l’humanité lorsqu’elle joue sa propre perdition. C’est ainsi que la vengeance et la violence deviennent les seuls avatars de l’absence de Justice.
Kill Bill relatait déjà l’histoire d’une vengeance, mais dans le cadre d’une fiction à grand spectacle. Ainsi, pour le dire rapidement, Black Mamba a davantage été héroïsée par tous les effets de cinéma qui en ont généré l’existence et l’action, que par le retour triomphal de la refoulée. Dans Inglorius Basterds, l’ambiguïté de la vengeance apparaît comme le ressort même du film, elle est d’ailleurs d’emblée signifiée par son titre. On peut aussi relever comment, avec Django, la vengeance calculée et magnifiée vient progressivement usurper la Justice en toute impunité et dans la jubilation la plus totale.
Dans Les Huit Salopards, ce n’est pas directement l’histoire d’un règlement de compte qui se solde après de longues années d’injustice, mais bien plus frontalement un cours magistral d’éthique-politique, ou dit à la façon de Quentin, une leçon de non-morale. Il ne s’agit pas tant d’avancer dans cette progression infernale du moteur que constitue la vengeance, que de justifier le fil conducteur de tout l’œuvre de façon très didactique, en mode Shakespeare –ni plus ni moins. Tarantino s’auto-proclame dans une philosophie pontifiante de sa démarche : apologie perpétuelle de la vengeance, thèse à laquelle il reste pourtant très problématique d’adhérer.
Chapitre V – Retour à l’essentiel : la tarantinade pour tartiner le tout, 17 / 20
Western Spaghetti, film d’horreur, bribes de philosophie de l’absurde en acte, et quelques situations cocasses redonnent à ce film très imparfait et plutôt creux, le goût des tarantinos que l’on a tant aimés. De nombreuses scènes cultes sont au rendez-vous-même si elles s’imposent davantage pour elles-mêmes que pour servir un propos ou un récit.
La scène de la provocation du vieux général sudiste est un régal. La fausse-vraie lettre qui resurgit en plusieurs étapes comme un running-gag est d’une grande puissance et renoue parfaitement avec la dimension très spécifique du sens du jeu chez le cinéaste américain. On ne peut sortir de cette très longue plongée en salle obscure sans rire encore à la seule idée de la scène de la négociation des primes. Nageant dans un bain de sang, les protagonistes marchandent sur les personnes mortes ou vivantes, existantes ou imaginaires, pour évaluer ce qu’elles peuvent rapporter dans un éventuel dénouement.Des scènes cocasses et délirantes; bref, inoubliables.
Même si l’on peut déplorer que l’ambiance soit plus à la blague qu’à l’humour, et que l’on soit davantage invité à profiter du comique qu’à prendre du recul sur quoi que ce soit, il y a bien quelques tirades et situations où l’on se surprend à rire de bon cœur. A défaut de subtilité, l’ensemble vire souvent à la clownerie, sympathique certes, mais sans effet de profondeur.
La Bande-Annonce
Mais l’ensemble -et surtout le dernier Chapitre construit sur la base d’un long flash-back, nous replonge dans ce talent au gout unique dont on ne se lasse pas, même dans cet opus qui manque de créativité et de nouveauté. La fresque qui balaie large, est bien plus restreinte que d’habitude, mais le huis clos a son charme, et les amateurs ne bouderont pas leur plaisir face à ce qui les a toujours fait vibrer dans les précédents films de Quentin, qu’il ait été bon, moyen ou excellent.
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