Un policier ne devrait pas dire ça. Arrivé à Strasbourg en septembre 2018, Haykal Rezgui Raouaji aurait peut-être dû taire les propos racistes de ses collègues de la Formation motocycliste urbaine départementale (Fmud) de la police nationale à Strasbourg.
Dans sa demande de mutation d’octobre 2019, le brigadier de police aurait dû passer sous silence « les brimades et les commentaires condescendants en rapport avec [s]es origines », les « bicots » et autres « bougnoules » utilisés quotidiennement par les policiers à moto… Attaché à l’idéal d’une police exemplaire, le père de famille de 37 ans ans a décidé de dénoncer publiquement la xénophobie ambiante dans cette unité de police. Il a porté plainte pour racisme, harcèlement moral et discrimination.
Du racisme ambiant à la profonde dépression
Haykal Rezgui Raouaji dénonce le calvaire qu’il a subi au sein de la police strasbourgeoise par l’intermédiaire de son avocate, Me Kaoutare Choukour :
« Dès son arrivée, mon client a subi des moqueries en lien avec son nom de famille en parlant d’un “nom bien français”. Il a observé ses collègues se réjouir de “gratter (verbaliser, ndlr) des bougnoules”. Il a entendu son chef de brigade employer le même terme raciste devant toute l’équipe. Pendant sa courte carrière au sein de la Fmud strasbourgeoise, il a été constamment ramené à ses origines arabes et à sa religion musulmane supposée de façon péjorative, au point de le faire sombrer dans la dépression. »
Une carrière exemplaire…
Avant d’être muté avec sa femme, également policière, en Alsace, Haykal Rezgui Raouaji a toujours exercé son métier avec passion. Après avoir passé sa scolarité à Nîmes et à Vannes, le Toulousain d’origine obtient le concours de gardien de la paix en 2007. Il intègre la compagnie territoriale de circulation et de sécurité routière de Seine-Saint-Denis quatre ans plus tard. Il y devient motocycliste référent départemental avant de travailler dans le Val-de-Marne. Le soir, il étudie le code pénal et la rédaction des pièces de procédure (auditions, perquisitions, garde à vue…) pour réussir l’examen d’officier de police judiciaire (OPJ). En septembre 2016, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve le décore d’une médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement, après le sauvetage de deux enfants dans un incendie en juin 2014.
… stoppée net à Strasbourg
Mais l’élan de la carrière de Haykal Rezgui Raouji s’est brisé à Strasbourg. Humilié par le racisme ambiant au sein de sa brigade, le policier se rend au travail avec la boule au ventre. Il enchaîne les cigarettes, perd l’appétit et une quinzaine de kilos. Son mal-être se répercute sur sa vie de famille, accroissant son anxiété.
Suite à une dénonciation orale des faits à son supérieur direct, sa hiérarchie lui impose une réaffectation temporaire au bureau de police de Schiltigheim en mai 2019. Sa hiérarchie prend aussi cette décision après l’avoir désarmé suite à son arrêt maladie. « Le désarmement a été décidé sans aucun fondement, sur de simples rumeurs concernant l’état de santé de mon client », explique Me Choukour.
Le fonctionnaire de police est obligé d’accepter cette mutation, avec le sentiment d’être placardisé. Ses collègues aux propos racistes ne sont pas inquiétés. Il sombre dans une dépression plus profonde encore. En août 2019, le policier entame un arrêt maladie pour burn-out de huit mois. Son médecin traitant rédige le certificat médical suivant le 25 septembre 2019 :
« La dernière reprise du travail l’affecte beaucoup sur le plan psychologique et a fait basculer son état déjà précaire dans le négatif avec une nécessité d’introduire un traitement thymorégulateur et un suivi spécialisé. Au départ, seul un traitement anxiolytique suffisait. »
Certificat médical rédigé par le médecin traitant d’Haykal Rezgui Raouaji
En octobre 2019, Haykal Rezgui Raouaji demande une mutation dérogatoire pour retourner à Toulouse. Dans une longue lettre à la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP), il décrit son mal-être et dénonce le racisme au sein de la Formation motocycliste urbaine départementale (Fmud) de Strasbourg :
« Je n’ai pu que subir ce manque de dignité constant de la part de personnes avec lesquelles je devais travailler quotidiennement. (…) De manière perverse, mes restrictions alimentaires ou mes tenues vestimentaires sont constamment associées aux terroristes ou aux “racailles” qui sont dans l’inconscient de ces fonctionnaires tous les jeunes issus des quartiers sensibles sans distinction. (…) Supporter ces humiliations, propos racistes, stigmatisants et dégradants est devenu pour moi un défi que je ne peux plus relever. »
Des représailles supposées contre sa femme policière
Sans en avoir la preuve, le policier craint que cette dénonciation a donné lieu à des représailles à l’encontre de Françoise Rezgui Raouaji, sa femme. En novembre, elle fait une découverte inquiétante, comme le détaille Me Kaoutare Choukour :
« À ce moment, les époux Rezgui Raouaji ont tous deux été désarmés. L’un à cause de son état de santé, l’autre en raison de l’état de santé de son mari. C’est une humiliation pour des fonctionnaires de police. Françoise Rezgui Raouaji doit récupérer son arme de service et la restituer chaque jour. Le 18 novembre 2019, elle découvre des cartouches dans son chargeur dont la moitié sont interdites d’utilisation sur la voie publique. Elles ont été rangées en suivant un ordre précis : une balle réglementaire, une balle non-réglementaire et ainsi de suite. Ceci ne laisse aucune place au doute sur l’intention de l’auteur des faits. Pour Françoise, cela signifiait “Dis à ton mari qu’il ferme sa gueule.” »
Ces balles ont été interdites à l’usage sur la voie publique par les policiers, car trop susceptibles de traverser le corps de la cible et de faire une seconde victime.
Dans un rapport écrit transmis à la directrice départementale de la sécurité publique Annie Brégal, le brigadier chef de police de Françoise Rezgui Raouaji confirme le récit des faits du gardien de la paix. Cette dernière rappelle aussi que « mes chargeurs sont identifiables par des gommettes rouges sur lesquelles figure mon matricule. » L’enquête sur ces faits n’a jamais abouti. Haykal Rezgui Raouaji parle d’une affaire tue par la hiérarchie de la DDSP. Une plainte pour « mise en danger de la vie d’autrui » a également été déposée.
Avis défavorable à la mutation malgré la dépression
Fin 2019, la psychiatre Marie-Thérèse Kapfer et la médecin de prévention Nathalie Nourry dressent un rapport qui soutient la demande de mutation de Haykal Rezgui Raouaji. Ces professionnels de santé du Pôle de Santé Publique et de Santé au Travail aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS) constatent « la présence d’un syndrome anxio-dépressif avec des soins en cours (…) une anxiété généralisée qui le rend irritable. » Ils préconisent « un éloignement du travail et un rapprochement familial. »
En juillet 2020, le couple de policiers reçoit un avis défavorable à leur demande de mutation. À la même période, le commandant de police et chef de l’unité de circulation et de sécurité routière bas-rhinois rédige une notation très sévère à l’encontre du fonctionnaire de police :
« Le brigadier de police semble ne s’être jamais vraiment intégré à l’unité et n’a jamais fourni une activité suffisante (…) sans pouvoir en déterminer correctement les raisons en l’état à notre niveau. »
« Le brigadier Rezgui-Raouaji s’est mis en retrait du groupe »
Cette notation reprend globalement l’appréciation du chef de la Fmud bas-rhinoise, averti depuis un an sur les propos et comportements racistes de certains membres de son unité. Mais son appréciation n’évoque jamais ces faits :
« Le brigadier de police Rezgui-Raouaji Haycal (sic) n’a jamais été en mesure de trouver sa place dans la brigade A. Il s’est mis en retrait du groupe et ne s’est pas impliqué dans son rôle de brigadier motocycliste et d’officier de police judiciaire. »
« Tout le monde étouffe l’affaire »
L’enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) locale sur les faits de racisme dénoncés par Haykal Rezgui Raouaji n’aboutira pas. Mais le policier estime que les investigations ont été menées à charge contre lui. Le manque de moyens à disposition de la police des polices peut aussi expliquer son efficacité. Selon nos informations, l’IGPN à Strasbourg ne dispose que d’un seul enquêteur, avec actuellement plusieurs dizaines de plaintes à traiter…
Au courant de l’été 2020, lors d’une conversation entre Haykal Rezgui Raouaji et le responsable du syndicat Alliance 67, Christophe Rouyer ne laisse aucune place au doute : « De toi à moi, tout le monde sait que tout le monde étouffe l’affaire pour ne pas créer de polémiques et de procédures. » Pour le syndicaliste, Haykal Rezgui Raouaji « aurait dû mettre non-adaptation à l’Alsace d’un point de vue géographique » pour expliquer sa demande de mutation. S’ensuit une leçon de vie auprès du policier : « On s’en fout si c’est faux. On n’est pas dans le monde des bisounours. Est-ce qu’il faut être menteur et hypocrite ? Oui. » Cet extrait a aussi été publié par nos confrères de Là-bas si j’y suis :
Un racisme ambiant corroboré par des policiers strasbourgeois
Au cours de cette enquête, Rue89 Strasbourg a interrogé trois policiers strasbourgeois d’origine maghrébine. Chacun d’entre eux éprouve le sentiment de devoir redoubler d’efforts pour obtenir les mêmes notations que leurs collègues d’origine alsacienne. L’un se souvient de remarques sur son risque de radicalisation en lien avec l’islam. L’autre rapporte des références décomplexées au nazisme dans des boucles Whatsapp de policiers. Ainsi, un membre de la Fnud ne cache pas son goût pour les motos BMW de la Kriegsmarine (la flotte de guerre nazie).
Une policière regrette aussi de voir des policiers talentueux qui peinent à monter en grade en raison de leur origine ou de leur confession religieuse. Elle conclut : « Il ne fait pas bon être musulman dans la police strasbourgeoise. »
Sollicité pour un interview, la Direction départementale de la sécurité publique du Bas-Rhin n’a pas donné suite, de même que le responsable syndical Alliance 67 Christophe Rouyer.
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