Le bâtiment date de 1896. Situé au cœur de la « Neue Stadt » (ville nouvelle) édifiée par les Allemands à Strasbourg au tournant du siècle dernier, le 11 place de l’Université abrite « depuis toujours », dit-on, une cafétéria (café et petite brasserie). Cet immeuble d’angle, idéalement placé avec vue sur l’Ill et sur la place, à deux pas du tram Gallia et devant un arrêt de bus où s’entrecroisent trois lignes (6, 30 et 10), appartient à une SCI (société civile immobilière), administrée par l’architecte Nicolas Berst. Avec son frère, sa sœur et d’autres actionnaires, l’administrateur est propriétaire non seulement du rez-de-chaussée où se trouve le café, mais également des trois étages et des combles de l’immeuble.
La présence du café dévalorise les logements dans les étages
Composé de deux appartements de 240 mètres carrés, l’un vide au premier, l’autre habité au troisième, de deux appartements de 120 mètres carrés – dont l’un est occupé – au second, et de chambres de bonnes aménageables, ce bien est aujourd’hui en passe d’être rénové. Et pour rendre ses appartements encore plus attractifs, Nicolas Berst souhaite déloger le plus rapidement possible son locataire du rez-de-chaussée, Jean-François Horn, gérant du café Brant. L’architecte explique:
« Aujourd’hui, le café ferme à 19 heures. Mais je ne peux pas interdire au gérant d’ouvrir jusqu’à deux heures du matin s’il le décide. Et s’il vend très cher son fonds à un repreneur, ce dernier voudra rentabiliser son investissement et ouvrir sur la plus longue tranche horaire possible. Si le rez-de-chaussée reste un café, la valeur des futurs appartements chute de 30%. »
C’est pourquoi, quand le dernier bail de 7 ans est arrivé à échéance il y a deux ans, l’administrateur n’a pas souhaité le renouveler. Le gérant aurait alors – il refuse de nous le confirmer – réclamé une somme de deux millions d’euros pour vendre son pas de porte ou en compensation de sa cessation d’activité. Ce point n’est pas bien clair, M. Horn se refusant à tout commentaire dans cette affaire. Or, pour Nicolas Berst, cette somme est extravagante:
« Un fonds de commerce, c’est en général deux fois le montant du chiffre d’affaires annuel, or on se situe là plus près des 300 000€ que des 2M€. »
Gérant et administrateur ont porté l’affaire en justice
Incapables de trouver un accord, les deux hommes ont donc porté l’affaire en justice. Mais ni l’un ni l’autre ne restent pour autant les bras croisés. Le propriétaire du bien réfléchit au futur agencement des lieux et étudie des propositions pour le rez-de-chaussée :
« Nous avons déposé un permis de construire en mairie (ndlr: en date du 11 août 2011) pour créer neuf logements – deux à chaque étage. Au rez-de-chaussée, j’ai différentes propositions (ndlr : notamment une supérette et une banque), mais pour l’instant, je ne suis engagé auprès de personne. »
Le locataire quant à lui s’est porté « pétitionnaire » auprès de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) Alsace, pour que soit protégé le café au titre des monuments historiques. Une démarche qui, même si elle aboutissait, ne garantirait en aucun cas le maintien d’activité. Elle n’aurait alors pour seul effet que de limiter les possibilités d’aménagement intérieur, en obligeant à conserver par exemple les vitrines, les poteaux en fonte, les boiseries ou la portes, qui sont d’origine. Qui plus est, Jean-François Horn serait à quelques années de la retraite, et n’aurait donc rien à gagner à ce que l’activité de cafétéria soit maintenue. Alors pourquoi ? Pour mettre des bâtons supplémentaires dans les roues de la SCI, peut-on imaginer…
Compliquer la reconversion du lieu
Car, comme souvent dans ce genre de dossier, cette inscription pourrait peut-être refroidir certains potentiels acquéreurs, qui ne seraient plus libres de réaménager les lieux à leur guise. Et compliquer la reconversion du lieu, c’est aussi le seul levier dont dispose la municipalité dans cette affaire. Elle s’exprime par la voix de son premier adjoint, Robert Herrmann :
« Tout d’abord, il s’agit d’une affaire privée. Mais il est vrai que si ce café ferme, le public s’en émouvra. Et le repreneur du lieu, surtout s’il a besoin d’une place de stationnement (ndlr: ce serait le cas pour une banque par exemple), déposera un dossier à la Ville, que nous étudierons. »
Mais à part ces manœuvres périphériques, la municipalité ou le locataire n’ont que peu de prise pour sauver ce café, qui pourrait donc fermer d’ici deux ou trois ans. Et même Nicolas Berst, qui y « a passé sa jeunesse », reconnaît qu’il lui manquera.
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