« Les abus sexuels sur mineurs sont illégaux. Nous pensons que votre recherche est peut-être associée à l’abus sexuel d’enfants ». Voilà le message un brin accusatoire qui s’affiche à ceux qui cherchent « Lolita », « la Lolita Strasbourg » ou encore « association Lolita » sur les réseaux sociaux du groupe américain Meta, à savoir Facebook et Instagram. Tout est bloqué, en raison de la connotation sexuelle attachée au mot « lolita » par Meta. Et c’est devenu un problème pour la Ligue ouverte et libre d’improvisation théâtrale amateur de Strasbourg, connue via son acronyme « Lolita ».
Une Lolita née en 1993
L’histoire de cette troupe strasbourgeoise lancée en 1993 est peu commune. « Au tout début, nous étions un groupe d’une dizaine d’amis passionnés qui avaient envie de se lancer dans l’improvisation. Nous ne venions pas du milieu théâtral mais l’engouement est venu très rapidement », se souvient Marko Mayerl, co-créateur de la Lolita, devenu comédien professionnel et désormais directeur d’Inédit Théâtre.
À l’origine, Lolita s’appelait Lisa, pour Ligue d’improvisation Strasbourg Alsace. Mais le collectif se heurte à un problème. « Le nom est déjà pris. Nous avions un rapport compliqué avec les ligues professionnelles qui ne nous facilitait pas la tâche, on a décidé de changer de nom », poursuit-il. Voilà que nait la Ligue ouverte et libre d’improvisation théâtrale d’Alsace (devenue Ligue ouverte et libre d’improvisation théâtrale amateur par la suite).
« On aurait pu s’appeler Lucienne mais Lolita nous plaisait bien. On voulait un nom féminin qui indique que nous étions ouverts et libres, d’où ces lettres L et O. »
Marko Mayerl
Lolita est la première troupe d’improvisation à Strasbourg, l’une des premières en France. Elle forme chaque année environ 150 personnes à l’improvisation. De nombreuses troupes professionnelles strasbourgeoises accueillent désormais des anciens issus de ses rangs : Inédit Théâtre, Impro Alsace…
Aucun retour de Facebook
Mais depuis un an à peu près, les pages Facebook (4 000 abonnés) et Instagram (1 000 abonnés) de la Lolita Strasbourg sont toujours actives mais pour l’utilisateur, aucun moyen d’accéder aux dates de spectacles. Il se trouve face à un message d’avertissement sur les contenus à caractère pédocriminels.
« Lolita » (1955) est le titre du roman de l’écrivain russe Vladimir Nabokov dans lequel un prédateur sexuel abuse d’une enfant. À l’époque, la société voit Lolita telle une jeune fille séductrice et perverse. Ce nom devient commun par la suite et définit lolita comme une jeune fille qui suscite le désir des adultes en raison de sa jeunesse, selon le Robert.
« Le terme n’a rien à voir avec l’activité de notre association, se défend Christophe Kahlfuss, président de la Lolita. Nous ne faisons que des représentations théâtrales ». Les équipes ont tenté, à plusieurs reprises, d’obtenir des réponses auprès de Meta concernant ce blocage. « À ce jour, nous n’avons obtenu aucun retour de la part du centre d’aide de Facebook », confirme l’association.
Baisse de fréquentation
Encore stupéfaite de cette censure contre laquelle elle ne peut lutter, la Lolita estime en subir les conséquences depuis quelques mois. « On s’est rendu compte que l’on avait subi une baisse de fréquentation de nos spectacles », témoigne le président Christophe Kahlfuss, un peu amer. Le président de la Lolita Strasbourg évoque un taux de remplissage des salles à 60% sur l’année 2023-2024 contre 80 à 90% l’année précédente. Habituellement, les salles de spectacle accueillent 4 000 personnes par an, soit 170 spectateurs en moyenne par soirée au centre du Fossé-des-Treize, selon les chiffres de l’association.
« On sait que notre bilan financier de l’année 2024 sera à perte. On vise chaque année l’équilibre entre les recettes et nos dépenses ». La Lolita doit prendre en compte les frais de location des salles de spectacle, le paiement de coachs professionnels externes, le défraiement lors des déplacements ou encore le renouvellement du matériel.
À travers les réseaux sociaux, la troupe amatrice espère s’adresser à un nouveau public. Ce qu’elle ne peut plus faire sans Facebook et Instagram. « J’ai l’impression que les réseaux sociaux, c’est ce qui fonctionne le mieux pour se faire connaître aujourd’hui. Mais on n’y arrive plus ».
Pas de changement de nom
Si la Ligue ouverte et libre d’improvisation théâtrale amateur perdure, c’est grâce aux recettes des spectacles. Sans rentrée d’argent, plus de troupe. Mais face à la multinationale de la Silicon Valley, le pouvoir de l’association Lolita est nul. Christophe Kahlfuss refuse pourtant de reculer :
« On s’est demandé s’il nous devions changer de nom, mais nous n’avons pas envie de le faire. On n’a pas envie d’effacer tout notre histoire à cause de la bêtise d’un algorithme ».
Les équipes de la Lolita essaient donc d’explorer de nouveaux canaux de communication, une publicité peut-être plus classique mais aussi plus directe et qui ne serait pas soumise aux filtres décidés à Menlo Park en Californie. Contactée, la communication de Facebook en France a choisi de ne pas commenter cette situation.
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