L’Opéra national du Rhin (ONR) propose, du 18 au 26 février, le spectacle La Voix Humaine, par la célèbre metteuse en scène et féministe britannique Katie Mitchell. Il s’agit de la création de Francis Poulenc, datée de 1959, adaptée d’un monodrame de Jean Cocteau. L’opéra sera accompagné d’Aeriality, une composition de l’Islandaise Anna Thorvaldsdottir.
L’orchestre sera dirigé par Ariane Matiakh qui avait été nommée à la cérémonie des Grammy Awards 2018. Un épilogue vidéo inédit a été tourné à Strasbourg par le réalisateur britannique Grant Gee en collaboration avec la production locale Auguste et Louise. Ce spectacle de 1h10 sans entracte est une bonne occasion pour les néophytes de découvrir l’opéra sans crainte de s’endormir.
La rupture au bout du fil
À la parution de La Voix Humaine en 1930, Jean Cocteau était l’un des premiers à montrer la distance que peuvent créer les appareils de communication pourtant conçus pour rapprocher ceux qui sont loin. La communication peut se brouiller, des mots peuvent se perdre, les yeux ne peuvent parler et l’ineffable devient incompréhensible pour celui à l’autre bout du fil. Une thématique toujours d’actualité à l’ère des smartphones et des réseaux sociaux.
La fable est simple. Elle, seule dans son appartement, attend un dernier signe de celui qu’elle aime encore. La ligne est encombrée, l’appel tarde à venir. C’est enfin lui. La conversation ponctuée de nombreuses coupures n’est qu’un long supplice pour la protagoniste. Il faut rendre les affaires, penser à l’avenir du chien, se montrer courageuse sans jamais accabler l’autre. Mais la digue cède et elle avoue avoir tenté de mettre fin à ses jours. Au bout du fil, les réponses semblent distantes, sans passion et sans tendresse, indifférentes et pragmatiques. Il raccroche et à présent elle est seule.
Lorsque Francis Poulenc décide d’adapter ce texte d’une grande sensibilité, il s’identifie lui-même à l’expérience et aux émotions traversées par le personnage féminin. Katie Mitchell relève une « misogynie intériorisée chez ce personnage » : pendant tout le monologue, elle n’hésite pas à s’humilier à plusieurs reprises, s’approprie tous les torts et se rabaisse sans cesse pour un homme manifestement peu intéressé par elle.
Par sa mise en scène, Katie Mitchell est décidée à montrer cette femme plus profonde qu’une simple amoureuse meurtrie, vidée de toute substance suite à cet abandon. L’épilogue inédit sera l’occasion pour elle de passer « de victime du patriarcat à agent de son propre destin ».
« La musique est un langage lié aux émotions »
Lors d’un entretien accordé à Rue89 Strasbourg, la cheffe d’orchestre du spectacle, Ariane Matiakh, rappelle :
« La musique est un langage universel, lié aux émotions. C’est une affaire humaine, les œuvres reflètent leur époque et il n’est pas nécessaire de les changer pour les apprécier. »
Dans La Voix Humaine, la cantatrice Patricia Petitbon, également actrice, brille aussi grâce à l’orchestration de Francis Poulenc. Il lie la musique à la fable en utilisant par exemple le xylophone pour le téléphone ou les timbales pour faire ressentir au spectateur les battements de cœur du personnage.
Si l’art est politique et permet de créer la réflexion, il n’en reste pas moins un lieu de divertissement et d’émerveillement. Le monodrame étant en cours de création à l’Opéra National du Rhin, peu d’éléments supplémentaires sont disponibles, néanmoins la metteuse en scène et la soprano n’en sont pas à leur première collaboration, elles ont déjà séduit le public en 2015 avec le remarqué Alcina, qualifié de déchaînement de fureur, de plaisir et de passion.
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