« Il y a quelque chose de presque pathétique dans le fait de ne même pas avoir d’argent pour s’acheter des protections périodiques. » Myriam (le prénom a été modifié) fait partie de ces femmes atteintes de précarité menstruelle. À 33 ans, cette travailleuse indépendante dans la communication reconnaît avoir parfois des difficultés à s’acheter des protections périodiques :
« Depuis quinze ans que je vis seule, ça m’est arrivé une à deux fois par an. Particulièrement quand j’étais au chômage ou au RSA. Je me suis déjà retrouvée à la moitié du mois avec 20 balles pour boucler mon budget. Clairement, je réfléchis à deux fois avant d’acheter un paquet de tampons à cinq euros en sachant qu’il ne me fera même pas forcément la semaine. »
Myriam, travailleuse indépendante
Un achat « punitif »
Lorsqu’elle se retrouve en difficulté, Myriam demande parfois à des amies proches de la dépanner. Encore faut-il qu’elles n’utilisent pas de culottes de règles ou des coupes menstruelles, comme c’est de plus en plus souvent le cas. Sinon, Myriam utilise du papier toilette pour absorber le flux, faute de mieux : « C’est extrêmement désagréable et je peux quand même me tacher…«
Même si elle s’estime bien entourée, Myriam reconnaît avoir du mal à évoquer le sujet :
« J’ai la trentaine. Avoir une situation financière catastrophique, ça peut déjà être quelque chose de honteux en soi. Ça s’assume moins bien qu’à 18 ans, je trouve. Alors quand, en plus, ça ne permet pas de s’acheter un produit d’hygiène de base… Il y a quelque chose de rageant. »
Pour la jeune femme, l’achat de protections périodiques a quelque chose de « punitif » : « On ne parle pas de 10 balles pour aller se faire un ciné entre potes. Ce n’est pas un achat plaisir. C’est une nécessité liée au fait d’être une femme.«
Quatre millions de personnes concernées
Le cas de Myriam est loin d’être isolé. Selon une enquête de l’entreprise de sondages Opinion way, commandée par l’association Règles élémentaires, près de quatre millions de personnes ayant leurs règles – femmes cisgenres, hommes transgenres et personnes non binaires (voir lexique ci-dessous) – sont concernées par la précarité menstruelle en France en 2023. « On estime que cela toucherait une femme sur trois« , détaille Laury Gaube, directrice de la communication au sein de l’association.
Le nombre de personnes concernées par la précarité menstruelle est en augmentation : « En 2021, on était à deux millions« , poursuit Laury Gaube, qui explique cette évolution de plusieurs manières. D’une part, « l’inflation, qui fait que les protections périodiques coûtent de plus en plus cher« . D’autre part, des critères plus fins pour évaluer la précarité menstruelle :
« On définit aujourd’hui la précarité menstruelle comme un manque d’accès aux protections périodiques au sens large. Cela concerne toutes les personnes qui ont des difficultés financières à disposer de suffisamment de protection et cela peut inclure, par exemple, des personnes qui vont garder plus longtemps leurs tampons ou leurs serviettes pour en acheter moins. »
Laury Gaube, directrice de la communication de Règles élémentaires
« L’ensemble de la population est concernée, poursuit Laury Gaube :
« Et particulièrement les jeunes : 44% des personnes touchées par la précarité menstruelle ont entre 18 et 24 ans. On a peur que la situation s’aggrave. Le coût de la vie augmente. Les protections ne vont plus être une priorité pour les personnes qui ont des difficultés pour s’acheter à manger. On sait par exemple que les mères isolées sont très touchées par ces questions, car à leur budget menstruel s’ajoute celui de leurs filles. Dans notre étude de 2023, on s’est rendu compte qu’1,2 million de personnes avaient peur et qu’elles pensaient pouvoir se retrouver dans une situation de précarité menstruelle à l’avenir. »
18 distributeurs en libre-service
Selon la Ville de Strasbourg, qui se base sur l’enquête commandée par l’association Règles élémentaires, 11 000 personnes seraient concernées par la précarité menstruelle à Strasbourg. En 2021, la Ville avait mis en place un dispositif de financement des protections menstruelles lavables. Mais l’opération a eu tellement de succès que son budget a été épuisé en cinq mois.
Ce mois de novembre, la Ville et l’Eurométropole ont donc annoncé la mise en place de 18 distributeurs de protections périodiques « saines et biodégradables » dans 15 lieux publics, ainsi qu’une collecte en partenariat avec l’association Règles élémentaires en vue d’une redistribution à des associations. Parmi les lieux concernés : des centres d’hébergement d’urgence, des centres médico-sociaux et les douches publiques de La Bulle.
"La Bulle est ouverte à toutes et à tous, mais nous accueillons surtout des personnes en situation de précarité", détaille Marion Secco, responsable des structures d'hébergement d'urgence à la Ville. Ce public qui fréquente les douches publiques de la Bulle, ce sont des personnes sans domicile fixe, ou hébergées dans des chambres de bonne avec les toilettes sur le palier ou ayant simplement du mal à payer leurs factures. "Notre public est composé d'hommes à 90%, explique Marion Secco, mais nous sommes sensibles à la question de la précarité menstruelle et avons toujours eu des protections à destination des personnes dans le besoin."
Un risque d'infection
"Nous avons cependant changé notre façon de les mettre à disposition, poursuit la responsable. Au début, il fallait en faire la demande aux agents de l'accueil, qui sont tous des hommes. Ce n'est pas forcément facile. Il y a des personnes pour qui c'est tabou." La structure a donc finalement choisi de mettre des protections en libre-service, dans les toilettes :
"Cela s'inscrivait pour nous dans une réflexion sur notre façon de rendre le lieu plus accueillant pour les femmes, dont on ne comprend pas encore pourquoi elles sont si peu nombreuses à venir. On constate que cette distribution en libre service est utile. Parfois, les protections vont rester un moment. Parfois, une femme va en prendre beaucoup d'un coup parce qu'elle en a besoin."
À La Loupiote, structure similaire à La Bulle, mais destinée aux familles, ce sont les infirmières qui ont alerté les équipes sur le sujet de la précarité menstruelle. "Elles ont parfois constaté des problèmes d'infection (mycoses, syndrome du choc toxique, NDLR) liée à l'absence ou à la mauvaise utilisation de protections périodiques, détaille Pierre Imhof, adjoint au chef de service de la structure :
"Les personnes que nous accueillons sont pour beaucoup issues de parcours de migration. Avant, elle devait solliciter des travailleurs sociaux pour que nous leur donnions des protections et là encore, ce n'est pas forcément facile. Nos équipes ont insisté sur l'importance pour elles d'avoir à dispositions des protections jetables et propres."
Briser un tabou
L'installation de distributeurs dans les lieux publics vise à faciliter l'accès aux protections. "Cela va concerner des personnes précaires, mais pas seulement. C'est une façon de montrer au public strasbourgeois que la ville se soucie de la question, juge Christelle Wieder, adjointe à la maire de Strasbourg en charge des droits des femmes et de l'égalité de genre. Certaines personnes pourraient dire que c'est anodin : pour nous, ça ne l'est pas du tout. Ce que l'on avait aussi à l'esprit, c'est de contribuer à briser un tabou."
En plus de la collecte de protections et de l'installation de distributeurs, la collectivité a décidé de former des responsables associatifs du domaine de la santé ou des sports, des agents de la ville travaillant dans le médico-social ainsi que des infirmières scolaires à aborder la question avec les publics concernés à partir de 2024. Il s'agit à la fois de présenter les différents produits d'hygiène menstruelle existants et d'informer sur la présence des distributeurs.
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