Le Grand Est veut devenir la « première région à mettre en oeuvre la concurrence ferroviaire. » Jeudi 28 mars, le conseil régional a voté un rapport pour mettre fin au monopole de la SNCF sur plusieurs lignes en Alsace et en Lorraine. À partir de 2022, des sociétés autres que la SNCF pourront exploiter jusqu’à 10% du réseau de voies régionales. Plusieurs syndicats voient dans cet empressement une menace pour la qualité du service des TER et sur les conditions de travail des cheminots.
Deux formes d’ouverture à la concurrence
Dès 2020, la Région souhaite publier deux « appels d’offres d’expérimentation ». Le premier porte sur la ligne Nancy – Vittel – Contrexéville, principalement routière depuis décembre 2016. D’après SNCF Réseau, la rénovation de ce tronçon coûterait 100 millions d’euros. Une estimation insatisfaisante pour le conseil régional, qui souhaite donc réattribuer non seulement l’exploitation, mais aussi « la régénération et le financement de la section au sud de Pont-Saint-Vincent. » Les élus du Grand Est estiment que les coûts peuvent être baissés à 66 millions d’euros grâce à la mise en concurrence. Pour compenser cet investissement conséquent, le contrat d’exploitation du tracé durerait 22 ans.
Le deuxième appel d’offres portera sur la seule exploitation des lignes. Il concerne plusieurs tracés, ferroviaires ou routiers (voir ci-dessous), appartenant au « lot Bruche – Piémont – Vosges ». Ici encore, la région affiche sa volonté de rouvrir une ligne de train récemment fermée, reliant Epinal à Saint-Dié-des-Vosges. Mais la plupart des tronçons dans cette zone, comme Strasbourg – Molsheim ou Strasbourg – Sélestat, ne correspondent pas à des « petites lignes » menacées.
Une concrétisation encore floue
En 2018, le conseil régional a dépensé plus de 440 millions d’euros pour le fonctionnement annuel du TER. La politique transports constitue la première source de dépenses pour la Région. Mais David Valence, vice-président de la Région Grand Est, assure que « l’objectif numéro 1 n’est pas de faire des économies mais de développer l’offre ferroviaire. On veut faire circuler plus de trains avec le même budget qu’on consacre actuellement. »
Côté syndical, le discours de David Valence ne rassure pas. Pour Maxime Kieffer, délégué syndical CGT, un flou inquiétant prédomine sur de nombreuses questions : la politique tarifaire et la réparation des trains concurrents, l’organisation des correspondances entre deux exploitants ferroviaires, les règles de sécurité… Il craint aussi la poursuite de la déshumanisation du service ferroviaire, déjà amorcée dans le secteur de la vente de billets, ou du contrôle des tickets à bord des trains. L’agent d’escale déplore l’opacité du conseil régional et de la SNCF :
« Aujourd’hui, le travail syndical se heurte à la loi sur l’opacité des affaires. Il y a donc un flou sur la stratégie économique de l’entreprise qui est aussi lié au fonctionnement des appels d’offre. La région et la SNCF invoquent la distorsion de concurrence pour refuser de répondre à nos questions. Du coup, on ne peut pas aller vérifier et contester le discours des politiques qui disent “le service va s’améliorer, ne vous inquiétez pas.” »
« C’est un choix politique »
Gérard Coinchelin, cheminot retraité de Saint-Dié-des-Vosges, se montre aussi fataliste. Ce syndicaliste CGT a vu la ligne pour Épinal fermer en décembre. Pour les usagers et les élus locaux, l’ouverture à la concurrence semble aujourd’hui l’unique solution. Le militant du ferroviaire public fustige donc des « choix politiques » ayant conduit à la situation actuelle :
« Si on avait mis toutes les énergies de la SNCF, le savoir-faire des cheminots aurait permis de trouver une solution. Il y a quatre ans, si les investissements avaient été faits pour rénover la ligne, on ne parlerait pas de concurrence. »
« Le dogme de la privatisation »
Dans une note de blog, le secrétaire général du syndicat cheminots FIRST rappelle « les excellentes performances de la SNCF sur le périmètre Grand Est, qui arrive souvent en tête de classement ou bon second en terme de régularité et les 200 trains supplémentaires quotidiens à coût constant dès 2017. » Bernard Aubin dénonce « le dogme de la privatisation » et une attaque contre la SNCF :
« Cette initiative engendrera forcément des dégâts collatéraux sur l’entreprise publique : plus on lui réduit sa voilure, moins elle devient « rentable » car les coûts fixes ne se réduisent pas proportionnellement aux nombres de trains transférés au privé. Avec la privatisation, c’est toujours, au final, le contribuable qui paie la facture des « économie » a priori réalisées. »
Les exemples étrangers
Sur la libéralisation du ferroviaire, chaque camp dispose d’un exemple étranger pour son argumentaire. Les tenants d’un monopole public invoquent l’exemple des privatisations au Royaume-Uni, ses tarifs prohibitifs et la piètre qualité de certaines lignes. Suite à l’accident de Hatfield (40 blessés et 7 morts), la privatisation y a connu un brutal coup d’arrêt en 2004.
Les soutiens d’une ouverture à la concurrence citent volontiers l’Allemagne en modèle. Depuis 1994, les « régions » allemandes gèrent le transport ferroviaire. Elles ont délégué un tiers des « petites lignes » à des exploitants privés. Résultat : des lignes fermées dans les années 2000 ont rouvert. Outre-Rhin, 68% des Allemands prennent la voiture pour se rendre au travail. Contre 80% des Français.
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