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La mère d’un enfant handicapé témoigne : « Je vis cette absence d’accompagnant comme une maltraitance »

Les conditions de travail et la faible rémunération des AESH fait de l’école inclusive une promesse vaine. Témoignages d’accompagnantes livrées à eux-mêmes et de mères démunies et parfois, à bout de force.

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La mère d’un enfant handicapé témoigne : « Je vis cette absence d’accompagnant comme une maltraitance »

« Depuis que mon enfant va à l’école, j’ai dû arrêter de travailler ». Alors que son fils, atteint de troubles autistiques, est en classe de CE1, Clarisse doit parfois venir le chercher lorsqu’il fait des crises. « Sa scolarisation a toujours été compliquée, mais on a commencé à voir la lumière au bout du tunnel quand une AESH formée lui a été attribuée », poursuit-elle.

En 2005, la loi pour l’égalité des chances des personnes handicapées instaure le droit « pour chacun à une scolarisation en milieu ordinaire au plus près de son domicile, à un parcours scolaire continu et adapté ». 13 ans plus tard, Clarisse tient à ce que cette promesse soit respectée pour son enfant. « Je veux qu’il aille en classe avec les autres enfants. Laisser les élèves handicapés entre eux, ce n’est pas ça l’inclusion. Il faut que mon fils soit accepté tel qu’il est », insiste-t-elle.

À l’école maternelle Reuss du Neuhof Photo : Aline Fontaine / Rue89 Strasbourg / cc

Un accompagnement réduit

Les AESH, personnels de l’Éducation nationale, sont recrutés pour « favoriser l’autonomie des élèves en situation de handicap », précise la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) du Bas-Rhin. Mais le nombre d’AESH ne suffit pas à couvrir les besoins d’accompagnement dans le département. Selon une enquête ouverte par le syndicat FSU67-SNUipp début septembre, au moins 60 élèves qui ont droit à un suivi par une AESH sont sans accompagnement.

Depuis plus de 15 ans, Isabelle accompagne les élèves en situation de handicap. « J’ai été AED, puis AVS, puis ASH et enfin, AESH », raille-t-elle au téléphone, citant les nombreux changements d’acronymes qui désignent tous sa profession :

« Quand j’ai commencé, j’accompagnais un élève, 100% du temps. Cette année, j’en accompagne trois. On a tendance à penser que c’est déjà bien que les élèves soient accompagnés, mais il faut voir la qualité de cet accompagnement… »

Léa (le prénom a été modifié), également AESH dans le Bas-Rhin, précise :

« On travaille avec des enfants présentant tous types de handicap, de l’autisme au handicap moteur, les maladies génétiques, les enfants haut potentiel intellectuel, avec des troubles de l’attention et de l’hyperactivité, des dyslexiques, dyscalculiques. On peut avoir des enfants dans plusieurs niveaux, de la maternelle au lycée, parfois dans la même journée. Ca nous oblige à faire beaucoup de gymnastique en peu de temps. »

« On doit prioriser l’accompagnement des plus handicapés »

Léa ressent une pression de plus en plus forte lié au manque de personnel qualifié face à l’augmentation du nombre de demandes d’accompagnement :

« Il m’est arrivé de suivre un enfant, de voir sa progression, de le voir avancer et de ne plus pouvoir le suivre l’année d’après. Alors que c’est justement quand il y a du progrès qu’il ne faut pas le lâcher. J’ai l’impression qu’on doit prioriser l’accompagnement des plus handicapés. Les autres n’ont qu’à se débrouiller tous seuls. Alors que ce n’est pas du tout ça, l’essence de mon métier. »

Partant du même constat de l’augmentation de sa charge de travail, Juliette (le prénom a été modifié), AESH depuis plus de 10 ans, est plus virulente. « On est de véritables vaches à lait », assène-t-elle :

« Les écoles font leur cuisine interne pour que tout se passe bien avec les moyens qu’on leur donne. On nous demande de tout faire, de courir d’une classe à l’autre, de s’adapter aux élèves en peu de temps. Changer d’élève accompagné, ce n’est pas comme changer de bureau… Les enfants ressentent qu’on est surmenées. »

Une formation de 60 heures

Pour devenir AESH, une formation initiale de 60 heures est nécessaire avant la prise de poste. « Avec des modules spécifiques pour certains handicaps tels que l’autisme, et une formation continue basée sur le volontariat », précise Véronique Weibel, inspectrice de l’Éducation nationale chargée de l’adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés.

« Entre ce qu’on vous vend sur le flyer et la réalité du terrain, il y a un monde », assène l’AESH Isabelle :

« On imagine que notre métier consiste à faire de l’accompagnement aux devoirs avec des enfants en difficulté scolaire. Mais ce n’est pas du tout ça, il s’agit d’enfants en situation de handicap. »

La conséquence de cette brève formation, selon les AESH interrogées, se résume en un mot : démissions. « Dès la rentrée, on m’a dit que l’AESH assignée à mon fils avait démissionné », témoigne Carole (le prénom a été modifié), maman d’un jeune garçon autiste, scolarisé dans une école maternelle de l’Eurométropole.

D’après le syndicat des professeurs des écoles FSU67-SNUipp, 70 AESH ont démissionné pendant l’été 2023 et un cinquième des AESH quitte l’Éducation nationale chaque année. « Les personnes trouvent un emploi mieux rémunéré ou avec de meilleures conditions de travail », appuie Agathe Konieczka, co-secrétaire départementale du syndicat. Un chiffre que Jean-Pierre Geneviève, directeur académique du Bas-Rhin, trouve élevé… sans être en capacité de fournir des statistiques sur la longévité des carrières d’AESH au sein de son académie.

800 euros par mois et un travail dans un supermarché

Juliette comprend tout à fait les raisons de ces démissions. Après plus de dix ans à son poste, elle gagne un peu plus qu’un SMIC pour des semaines de 39 heures. « Heureusement qu’il y a les vacances pour se reposer, souffle-t-elle, il faut vraiment aimer ce métier pour y rester ».

Pour son emploi d’AESH, en travaillant quatre jours par semaine, Léa touche 800 euros par mois, soit entre 29 et 35 euros par jour. « En plus, je travaille dans un supermarché trois fois par semaine et l’intégralité des vacances scolaires pour pouvoir boucler mes fins de mois », poursuit-elle.

« Si on fait ce métier, ce n’est ni pour l’argent ni pour la reconnaissance. C’est pour les enfants et pour leur être utile. Nos conditions de travail se dégradent, celles des enseignants aussi. Et ce sont les enfants et les parents qui pâtissent de tout ça. »

« Je vis cette absence comme une maltraitance »

Côté parents en effet, l’accompagnement de leurs enfants par une AESH qualifiée et disponible permet de retrouver confiance en l’école. « Mon fils a droit à une AESH pendant 12 heures par semaine, mais il a clairement besoin de quelqu’un à temps plein », soupire Carole (le prénom a été modifié).

« Mon fils est autiste et il appréhende le changement, donc je casse ma tirelire pour qu’il soit dans un établissement privé où il y a plus de moyens. Dès la rentrée, il n’y avait pas d’AESH. On n’arrête pas de me dire que quelqu’un va venir, mais je ne sais jamais quand. Je vis cette absence d’accompagnant comme une maltraitance. »

Carole se bat encore pour qu’une personne accompagne son fils à l’école. « C’est pour ça que je ne veux pas qu’on puisse m’identifier », précise-t-elle. Toutes les personnes anonymisées dans cet article ont peur que leur témoignage les pénalise. « Dans mon contrat, il est marqué que je ne dois pas critiquer l’institution (l’Éducation nationale, NDLR), » appuie l’AESH Léa.

Bagarre juridique et investissement financier

Le fils de Sabrina vient d’entrer au lycée. Selon la MDPH, il a droit à un accompagnement individualisé par une AESH. Mais c’est simplement après avoir menacé le rectorat de Strasbourg de les attaquer en justice et passé des dizaines d’appels au ministère de l’Éducation nationale qu’elle a obtenu un accompagnement effectif. « C’est fatiguant de se bagarrer pour faire respecter ses droits. Tous les parents n’ont pas cette énergie. Il n’y a pas d’égalité », regrette-t-elle.

Alors que le fils de Clarisse va bénéficier d’un accompagnement plus limité que l’année dernière en 2022/2023, la mère apporte toujours à l’école, en début d’année, du matériel adapté à son fils : déroulés visuels, contrats motivationnels, boîte sensorielle, casque anti-bruit, élastique de chaise, coussin de chaise, élastique de chaise… Le but : que l’enfant continue d’apprendre même quand aucun AESH n’est présente.

« Je me suis formée pour être capable de lui apprendre à lire et à écrire. On a équipé notre maison avec une pièce dédiée à son apprentissage pour les moments où c’était trop difficile d’aller à l’école », raconte-t-elle. En tout, elle et son conjoint ont dépensé plus de 14 000 euros entre l’aménagement d’une pièce Snoezelen (colonnes à bulles, fibre optique, musique douce…), le recours à des personnels de santé libéraux (éducatrice spécialisée, psychologue, psycho-motricienne, orthophoniste…) et le matériel prêté à l’école pour être en mesure de donner à leur enfant un cadre d’apprentissage adapté à ses besoins.

D’autre parents au bout du rouleau

Naïma a aussi arrêté de travailler lorsque son fils a été diagnostiqué autiste. « S’il n’est pas accompagné, mon fils ne peut pas aller à l’école, ça ne se passe pas bien », poursuit-elle. « Il fait des crises et a l’autonomie d’un enfant de quatre ans », poursuit-elle.

L’enfant est supposé aller neuf heures par semaine en classe, mais Naïma doit souvent venir le chercher. Parfois, elle renonce même à l’amener à l’école. « L’équipe enseignante fait tout ce qu’elle peut. Mais c’est moi qui dit à l’AESH comment se comporter avec mon fils. Elle ne sais pas comment le gérer. Il peut être très virulent dans ses crises et elle est toute petite. Il faut de la force », soupire-t-elle.

Souffrant d’un accompagnant défaillant, la mère de famille préfère que son fils soit pris en charge à l’hôpital plutôt qu’à l’école. « À l’hôpital de jour, ils sont formés et je sais que je n’ai pas à leur expliquer comment faire », poursuit-elle. Désormais, Naïma espère que son fils obtiendra une place dans un institut médico-éducatif plutôt qu’à l’école pour obtenir enfin un temps de répit et consacrer quelques heures par semaines à sa fille aînée, dont elle n’a pas le temps de s’occuper depuis la naissance de son petit frère.

Une mobilisation prévue le 3 octobre

Mardi 3 octobre, plusieurs syndicats appellent à manifester pour l’amélioration des conditions de travail des AESH dans le Bas-Rhin. « Pour que les choses changent, il faudrait qu’on arrête toutes ensemble de travailler », conclut Juliette : « Il faut que l’État n’ait pas le choix de regarder la réalité en face et qu’enfin on nous entende ». Pourtant, certaines AESH savent d’ores et déjà que manifester leur coûterait trop. « On est déjà si peu payés que faire grève n’est pas possible pour moi », déplore Léa.


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