Pour se représenter ce à quoi ressemblait y a 200 ans le quartier Sainte-Madeleine, compris entre les rues d’Austerlitz, à l’ouest, et de Zurich, à l’est, le quai des Bateliers au nord et la rue des Orphelins au sud, il faut pas mal d’imagination. Des couvents et des églises, des canaux, des champs, des maisonnettes de jardiniers, de bateliers et de pêcheurs. L’eau y est omniprésente. Ancien marécage au réseau hydrographique dense, la Krutenau est peu à peu drainée, pour permettre le maraîchage et la construction d’habitations.
Sur les deux cartes ci-dessus, l’on comprend que les bras du Rhin et de l’Ill faisait du quartier Sainte-Madeleine une île. La place des Orphelins et la rue du Fossé-des-Orphelins étaient en eau, de même que la rue de Zurich, où passait le Rheingiessen (comblé en 1872), et la rue des Bouchers (à l’ouest).
Jusqu’en 1822, l’eau coule rue du Fossé-des-Orphelins
Une enceinte épiscopale, fortification du XIIIème siècle protégeant le couvent Sainte-Madeleine, longeait le cours d’eau du Fossé des Orphelins, comblé quant à lui en 1822. De cette enceinte médiévale, il reste des vestiges place Sainte-Madeleine : des maisons de la rue du Fossé-des-Orphelins et l’ancien couvent-orphelinat transformé en école (maternelle et primaire), place Sainte-Madeleine, sont toujours adossés dessus (ci-dessous).
Durant la période wilhelminienne (1870-1914), les secteurs de Sainte-Madeleine et Sainte-Catherine (couvent qui se situait le long de l’actuelle rue Sainte-Catherine et empiétait sur la place de Zurich ; devenu orphelinat, entre 1534 et 1835, puis caserne, le bâtiment est démantelé en 1912) sont rattachés l’un à l’autre par le comblement du Rheingiessen, qui devient la rue de Zurich en 1872.
À l’époque allemande, création des écoles et du lycée Geiler
L’église et le couvent Sainte-Madeleine, eux, sont en partie détruits par un incendie en 1904. L’église actuelle, perpendiculaire à l’ancien édifice, est bâtie en 1907 sur un projet de Fritz Beblo (concepteur des célèbres Bains municipaux, à la même époque !), plus spacieuse et aérée. Gravement endommagée par un bombardement anglo-américain le 11 août 1944, elle est reconstruite à l’identique en 1958.
Du Moyen Âge jusqu’en 1913, la place Sainte-Madeleine n’est accessible que par la rue du même nom. Avant guerre, la place est ouverte sur la rue du Fossé-des-Orphelins et sur la rue des Bateliers. Là, sort de terre l’actuel lycée professionnel Jean-Geiler de Kaysersberg, accolé au cloître de l’église. L’école maternelle, elle, est installé dans l’ancien bâtiment du couvent, remanié au XIXème siècle. L’école élémentaire date quant à elle de 1869. Elle est conçue alors par Jean-Geoffroy Conrath, architecte de la ville.
Après avoir portée divers noms, parmi lesquels rue des Pénitentes, rue des Hommes-Libres ou de l’Amour-Maternel (sous la Révolution), la rue Sainte-Madeleine conserve ce nom depuis le milieu du XIXème siècle. Droite et étroite, elle relie le quai des Bateliers à la rue des Orphelins et longe deux places, celle de Sainte-Madeleine et celle des Orphelins.
Piétonne depuis une dizaine d’années, commerçante depuis toujours, la rue Sainte-Madeleine est, encore aujourd’hui, au milieu du gué, entre habitat populaire et embourgeoisement assumée.
Années 1970 : la pression immobilière transforme le quartier
Retour en arrière. Après les jardiniers et les pêcheurs, la Krutenau se peuple au XIXème siècle d’ouvriers (employés notamment à la Manufacture des tabacs), d’artisans, de soldats, logés dans les nombreuses casernes du quartier, et de prostituées. Très populaire, le quartier voit peu à peu ses logements se dégrader. Alors, quand la proximité du centre-ville devient progressivement un enjeu économique fort, dans les années 1970, les promoteurs lorgnent sur le quartier. Le lancement, en 1978, de la deuxième OPAH (Opération programmée d’amélioration de l’habitat) de France, la première ayant eu lieu à Lyon, accentue le phénomène.
Bientôt, la rénovation de l’habitat entraîne une multiplication de petits logements destinés aux étudiants, qui s’installent en nombre dans ce quartier, au détriment des populations modestes qui vivaient là et sont déplacées dans les logements sociaux construits en périphérie (Hautepierre, Elsau, Polygone…). Parfois, des conflits éclatent entre propriétaires peu scrupuleux et locataires déterminés, le plus souvent soutenus par le Cardek (Comité d’action pour la réhabilitation de la Krutenau), devenu centre socio-culturel du quartier.
La bataille des locataires du 21-23 rue Sainte-Madeleine
L’un de ces combats se déroulent entre 1976 et 1978, au 21-23 rue Sainte-Madeleine. Là, un propriétaire, Claude Metzger, entame des travaux sans proposition de relogement. Pour faire plier ses locataires, il fait traîner les travaux pendant plus de 2 ans. Coupures d’eau, abattements de murs aux aurores, caves et greniers démolis…
Les habitants sont littéralement harcelés. Une action en justice est engagée, les locataires se battent avec l’aide du Cardek (voir les Premières nouvelles de la Krutenau n°3, 4, 5) pour faire terminer ces travaux et pouvoir rester dans leurs logements, à des loyers contrôlés, en vertu de la loi de 1948.
Aujourd’hui, les immeubles de la rue n’en ont pas terminé avec les travaux, qui continuent au n°18 notamment, tandis que certains immeubles apparaissent toujours vétustes (impasse des Pénitents par exemple). Artistes, architectes et artisans exercent quant à eux au n°20, tandis que les commerces indépendants connaissent un gros turn-over. Depuis un an environ, la mode est aux tatoueurs, déjà deux dans la rue.
La place Sainte-Madeleine, elle, reste morcelée, entre espace piétonnier autour des écoles, parking ou jardin partagé. Place des Orphelins aussi, la piétonnisation n’a pas été complète, obligeant les enfants à jouer dans un espace clôt, tandis que les voitures débouchent encore de la rue des Couples, fraîchement rénovée, et de la place d’Austerlitz, pourtant largement rendues aux piétons il y a quelques années.
Aller plus loin
Sur le site de l’association des anciens élèves du foyer Charles-Frey : historique de l’hospice des orphelins de la ville de Strasbourg
Sur In Situ, revues des patrimoine (DRAC Alsace) : les enceintes de Strasbourg à travers les siècles
Sur Archi-Strasbourg : l’historique architecturale de la rue Sainte-Madeleine
Sur Rue89 Strasbourg : les autres articles de la rubrique « Au bout de la rue, la ville »
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