Dans le Kochersberg, la notion de confinement semble toute relative. Les gens se promènent, les camions circulent et les agriculteurs arpentent leurs champs. « La nature ne s’arrête pas, on est obligé de travailler », explique Dominique Lux, producteur d’asperges à Pfettisheim. Pour les agriculteurs, les déplacements sont autorisés, en utilisant l’attestation de l’État. Le lait continue d’être récupéré par la coopérative Alsace Lait et les livraisons de nourriture pour les animaux se poursuivent.
L’asperge menacée par le virus
Mais chez Dominique Lux, l’inquiétude grandit à mesure que la récolte des asperges approche. Le confinement et la fermeture des frontières avec l’Allemagne empêchent les saisonniers d’origine étrangère (pour la plupart Polonais) de venir travailler. « Je n’ai plus que trois ouvriers alors qu’on est habituellement cinq. Un est rentré en Pologne et l’autre n’est pas venu, » déplore le producteur.
Dominique Lux s’inquiète d’un possible allongement du confinement. La cueillette des asperges, prévue mi-avril, risque d’être compromise. Or, cette récolte constitue 70% du revenu de l’exploitation. Si l’agriculteur ne trouve pas d’ouvriers, la moitié du champ ne sera pas récoltée. Ses revenus risquent de chuter d’un tiers, ce qui mettrait en péril la pérennité de sa ferme :
« Dix années d’exploitation seront nécessaires pour compenser une perte de cette ampleur. »
Dominique Lux, producteur d’asperges.
Dominique Lux se soucie aussi de la demande en asperges. Pendant que les consommateurs se ruent sur les denrées qu’ils jugent essentielles, le marché de l’asperge s’effondre. « Les producteurs d’asperge précoce ont énormément de mal à les vendre », souligne-t-il.
Des milliers de litres de lait jetés
Dans sa ferme à Durningen, Julien Messer rencontre lui aussi des difficultés à écouler ses produits. Son exploitation d’une centaine de vaches laitières produit un million de litres de lait par an. L’exploitant agricole transforme toute sa production en fromage à pâte dur. Les cantines et les restaurateurs étaient les principaux clients de la ferme. Ils sont aujourd’hui fermés… et les grandes surfaces réduisent leur commandes. Actuellement, l’agriculteur jette 10 000 litres de lait chaque semaine.
Pour l’instant, Julien Messer peut compter sur son petit magasin de vente direct et les marchés locaux comme ceux de Strasbourg ou de Neudorf. Mais l’agriculteur s’inquiète d’une possible fermeture de ces marchés qui signerait « la mort de mon exploitation. »
Dans son atelier de production, 6 salariés sont désormais en chômage partiel. Ils sont quinze habituellement. De plus, l’agriculteur a dû se résoudre à abattre six vaches afin de réduire ses pertes. Cette baisse importante d’activité menace l’entreprise familiale. Julien Messer prévient :
« On n’a pas de trésorerie, on peut tenir le mois de mars mais si cela dure plus longtemps, la ferme risque de ne pas s’en relever. »
Des difficultés qui ne touchent pas tous les agriculteurs
Chez l’éleveur laitier Ludovic Kieffer, la situation n’est pas si dramatique. Dans son élevage bovin, les activités se poursuivent normalement. Cependant, une rumeur s’est répandue parmi les producteurs de lait, selon laquelle Alsace Lait ne collecterait plus que la moitié de la quantité de lait habituelle. La direction de la coopérative agricole a démenti cette rumeur et assure que « les collectes se déroulent et les usines fonctionnent normalement. »
Dans sa ferme à Behlenheim, Ludovic Kieffer voit plus de monde passer ces derniers jours : « Il fait beau donc les gens se promènent », avance-t-il. Mais ces déplacements non-autorisés l’inquiètent. Ces personnes pourraient contaminer la ferme. « Pour l’instant, j’évite de rencontrer les « visiteurs » mais je réfléchis à interdire l’entrée dans la ferme », précise-t-il.
Tandis que les ventes de fromage diminuent, la demande en briques de lait et en beurre augmentent. À Avenheim, dans le poulailler de la ferme Roeckel, l’activité augmente même. La production ne s’écoule plus dans les cantines ni les restaurants mais plutôt vers les supermarchés : « Les commandes ont augmenté de 30%, estime Hervé Roeckel, on a essayé de faire venir un maximum de salariés. Mais on n’a pas pu répondre à toutes les commandes. »
Mesures de précautions
L’arrivée du coronavirus bouscule l’organisation des fermes. Dans l’atelier de production de Julien Messer, les contacts entre employés sont réduits au maximum. De même dans la boutique ouverte aux clients où Hervé Roeckel s’est assuré que les distributeurs de gels hydroalcooliques soient remplis.
« Nos organismes syndicaux nous ont demandés d’être plus attentifs aux mesures d’hygiène, surtout par rapport aux infections du personnel. »
Hervé Roeckel, éleveur de poules.
Chez Alsace Lait, les chauffeurs sont équipés de produits désinfectants et ont reçu comme consigne de limiter les rencontres avec les agriculteurs.
Le report de charges ne suffira pas
Les agriculteurs espèrent bien compter sur le soutien de l’Etat pendant la crise sanitaire. Dans la plupart de ces entreprises, la trésorerie est quasi inexistante. Pour les exploitants en difficulté, le report des charges ne sera pas suffisant. Dominique Lux souhaiterait ainsi un effacement de ces charges patronales : « Il y a un réel risque de faillite mais surtout de perdre notre logement. » Il rappelle que ses pertes de revenus ne seront pas prises en charge par les assurances.
Chez Hervé Roeckel, alors que les commandes ne diminuent pas, l’exploitation est tout de même passée en « régime de survie » :
« Tout ce qui n’est pas vital est arrêté. Les œufs sont ramassés et les animaux nourris mais le chantier pour le nouveau bâtiment est stoppé. »
Les agriculteurs se retrouvent dans l’obligation de poursuivre leurs activités, dans des conditions dégradées de débouchés et de main d’oeuvre. De son côté, Dominique Lux espère pouvoir sauver ses asperges et donc son exploitation : « on lance un appel aux gens qui veulent nous aider à récolter… »
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