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J’veux du Soleil : dimanche radieux pour les Gilets Jaunes (et François Ruffin)

Trois années après Merci Patron, François Ruffin revient dans les salles obscures avec un documentaire réalisé en quelques mois sur les Gilets Jaunes. Road-movie improbable de ronds-points en péages, le film dresse les portraits d’hommes et femmes dont le jaune fluo éclate à l’écran. Récit d’une avant-première réussie à Strasbourg.

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J’veux du Soleil : dimanche radieux pour les Gilets Jaunes (et François Ruffin)

L’annonce de la venue de François Ruffin pour soutenir la sortie de son deuxième film, J’veux du Soleil, n’est pas passée inaperçue. Sur l’événement Facebook, l’enthousiasme était flagrant : près de 2000 intéressés pour les salles du Cinéma Star St-Exupéry qui diffusent le film. Autant dire qu’il fallait s’y prendre à l’avance pour assister à l’avant-première. Partout en France, des séances complètes sont l’occasion pour de nombreux gilets jaunes et soutiens de se réunir pour découvrir ce nouveau projet documentaire, en totale cohérence avec le travail quotidien du député Ruffin : rendre visibles les invisibles.

Kill Bill façon lutte des classes

Comme l’annonce Stéphane Libs, gérant des cinémas Star, en ouverture de séance : « Merci Patron, c’est 500 000 entrées, l’équivalent documentaire d’un blockbuster français ». Autant dire qu’après un tel phénomène, jouissif comme un Kill Bill façon lutte des classes, on trépignait de voir le prochain projet du cinéaste de l’assemblée.

J’veux du Soleil est avant tout un film fédérateur, à l’aube d’un printemps jaune fluo. Cette fois-ci, François Ruffin est rejoint par Gilles Perret, réalisateur de documentaires militants (Les Jours Heureux, La Sociale, qui reviennent sur la naissance de la sécurité sociale et le Conseil National de la Résistance dont l’héritage est en péril). Ce nouveau projet ne réitère pas la claque cinématographique portée contre Bernard Arnault. J’veux du Soleil est un road-movie où les déserts américains deviennent des vignobles éteints par l’hiver et des parkings d’Intermarché, et les diners de la route 66 sont des ronds-points et péages jaunes fluo. Et comme dans tout road-movie, le voyage est parsemé de personnages attachants et complexes que Ruffin, filmé par Perret, va rencontrer.

J’veux du Soleil, réalisé par Gilles Perret et François Ruffin, sortie nationale le 3 avril. (Jour2Fête / Fakir)

« La honte privée est devenue une colère publique »

La genèse du projet est dévoilée dans le film : il fallait une réponse claire à l’accusation de fascisme du mouvement des gilets jaunes. Il n’y avait donc qu’une seule façon pour le député de la Somme de vérifier si les craintes, notamment formulées par les syndicats traditionnels, étaient avérées. Il fallait aller sur chaque rond-point et filmer ce qu’il s’y passait. Le documentaire a été tourné dans l’urgence. Si on en croit le tableau de bord de la voiture, le tournage a eu lieu pendant quelques semaines de décembre 2018. Cette rapidité à sortir le film est sûrement due à l’équipe maintenant rodée qui fonde le projet, distribué par Jour2Fête et Fakir, et avec des membres de l’équipe technique de Merci Patron.

Rencontre avec Khaled qui a trouvé dans les gilets jaunes une communauté accueillante. (Photo Jour2Fête / Fakir)

Se distingue ainsi un style cinématographique signé Ruffin. J’veux du Soleil serait un film d’auteur ? On retrouve en tout cas l’ironie propre au fondateur de Fakir. S’adressant à Serge, gilet jaune intérimaire qui peine à payer son impôt sur le revenu, Ruffin l’interpelle : « T’es bête. Pourquoi tu t’exiles pas fiscalement comme Auchan ? ». Cette ironie à la Ruffin, qui reprend les mots et les codes bourgeois pour les faire sonner faux, est un des éléments comiques du documentaire dont on ne se lasse pas. L’obsession du député : demander aux gilets jaunes, ou au maire d’un village, ce qu’ils diraient s’il était Emmanuel Macron. Cette demande répétée est l’occasion ludique de libérer la parole des interviewés. L’homme politique en profite pour construire son discours sur le décalage entre la réalité des gens et celle du président.

Lutte des images

Ce décalage entre le pouvoir politique et le quotidien de la population est rendu évident par un montage brillant. Mention spéciale à Cécile Dubois qui a dû composer avec plusieurs dizaines d’heures d’enregistrements. Cette dialectique se fait par la confrontation d’images médiatiques, dont l’hystérie des éditorialistes et l’uniformité du discours est soulignée par une musique anxiogène et une accélération des extraits. Le film est manichéen, c’est certain. Le lui reprocher reviendrait à rater son propos. Face à l’avalanche d’insultes des chroniqueurs BFMTV et autres experts-en-tout, il fallait une vision tout à fait différente. Des images radieuses de gilets jaunes dansants autour des cabanes qu’ils ont construites, accompagnés par Douce France de Charles Trenet, lie les différents ronds-points d’une représentation positive commune.

Ce curieux père Noël est l’un des nombreux personnages attachants du film. (Photo Jour2Fête / Fakir)

J’veux du Soleil est une réponse aux médias. Le film fait état par une brève compilation de l’accusation unanime des médias sur la « radicalisation du mouvement ». Ruffin s’empresse d’aller à la rencontre d’un jeune homme poursuivi pour organisation de manifestation interdite. Le portrait télévisuel qui lui est réservé jure avec la discussion entre Ruffin et l’homme. La séquence finit par montrer le haut-lieu de fomentation de la violence du gilet jaune incriminé : une petite cabane de jardin, avec des scies pour couper le bois et quelques clous, une « multinationale de la radicalisation », ironise Ruffin. Le documentaire s’amuse d’un jeu de miroir entre la représentation des gilets jaunes et leur image télévisuelle.

Reconquérir la beauté volée par la bourgeoisie

François Ruffin s’agace de ne voir que des parkings ternes, des supermarchés gris et des bâtiments délabrés. La question esthétique revient donc à la charge et ça, c’est une affaire de cinéma. En arrivant au prochain rond-point, il découvre le portrait d’un vieil homme sur une grande façade installée en plein campement. On s’y étonne du regard pénétrant de l’homme qui aurait tout vu, la peine et l’espoir d’une existence meilleure. Les traits tirés, vêtu d’un gilet jaune, Ruffin rappelle qu’il n’y a encore qu’un siècle, seuls les plus aisés pouvaient s’offrir une représentation d’eux-même dans ce format. L’esthétique est une question politique : on nous a volé la beauté. Ce qui est désirable, jugé comme beau, appartient aux valeurs bourgeoises (lire Pierre Bourdieu, La Distinction). Trouver de la beauté dans les parias, les pauvres, les dominés, c’est une réhabilitation esthétique dissidente.

Les images, aux couleurs chaudes, témoignent d’une capacité de Perret et Ruffin à mettre en scène le quotidien pour le magnifier. (Photo Jour2Fête / Fakir)

Le film obéit à cette idée en filmant des anonymes de près. On y voit les beaux yeux d’une mère handicapée. Elle vit avec la honte de fouiller dans les poubelles. On admire la fougue d’une « petite dame délinquante ». Elle pique des plots de chantier en pleine nuit. Le spectateur sourit face à la bonhomie de Khaled. L’étalonnage du film prend le risque de saturer les couleurs, transformant le jaune fluo délavé en vêtement radieux. À ce désespoir esthétique fait d’horizons grisonnants, l’œuvre refuse le terne et irradie ses images qui arrivent à atteindre parfois une certaine élégance.

Quelques regrets cela dit : le film, malgré la promesse d’heures et d’heures filmées, est bien trop court. On souhaiterait voir le double de témoignages, une heure seize, c’est bien trop peu pour apprécier à sa juste valeur les récits bruts de Gilets jaunes.

Convergence des luttes ?

En plus d’un générique en musique (qui reprend évidemment le morceau éponyme), la fanfare Duna Orkestar fait irruption dans une salle conquise par le film. Ovation générale pour François Ruffin, qui vient d’arriver de la gare après une journée marathonienne de présentation de séances. Escorté par la fanfare jusqu’à la place Kléber, il était désormais question de sortir le film de la salle obscure à la place publique. C’est l’une des craintes communes aux documentaristes militants, celle d’anesthésier la colère militante par des films exutoires dont on sortirait peinards et refroidis.

Avant son discours, François Ruffin partage sa tribune avec les différents collectifs locaux.

Entre 200 et 300 personnes étaient déjà réunies sur place pour écouter François Ruffin. Pendant une petite demi-heure, la tribune était offerte à des gilets jaunes, au collectif GCO Non Merci et au collectif antispéciste Animalise… avant que le député ne prenne la parole. Il souligne l’importance de « marcher sur la jambe verte, écologique, et rouge, révolutionnaire » sans appeler à la convergence des luttes. Le réalisateur engagé préfère une « synchronicité des luttes » (antiracistes, antispécistes, féministes, luttes étudiantes, etc…). Nul besoin de mariage forcé, en somme…

François Ruffin finit par une touche d’ironie. C’est un peu sa patte. Le Parisien titrait dimanche qu’Emmanuel Macron est au bord du burn-out. Ça tombe mal, la majorité parlementaire refusait il y a quelques mois une proposition de loi sur ce sujet, déposé par le député d’Amiens. Et le député de souhaiter malgré tout un prompt rétablissement à notre Président… et un peu de soleil.


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