Un survivant… Mickaël revendique ce titre qui désigne les adultes victimes de violences sexuelles pendant l’enfance (l’anonymat du plaignant et des personnes visées par la procédure est préservé). Des années après des faits qui n’ont pas quitté son esprit, le temps est venu pour lui de réclamer justice. Une instruction est en cours, menée par un magistrat du tribunal de grande instance de Strasbourg.
En attendant l’issue de l’enquête, le Strasbourgeois âgé de 36 ans s’exprime sur Twitter. Le bandeau sur son profil énonce en lettres blanches capitales sur fond noir : « Violé. 4 bourreaux / 57 agressions. 1 seule victime. » À ceux qui s’étonnent de cette comptabilité, l’homme, visage juvénile et barbe bien taillée, répond :
« Je me souviens de chacune de ces agressions. J’aurais aimé les oublier, cela aurait été plus simple. Je me souviens de la couleur du papier peint, de la disposition de l’appartement, de la chambre. Trop bien… »
Il remarque aussi que la parole des victimes de viol est tout autant questionnée quand leur mémoire est fiable que dans le cas inverse, lorsqu’elles ont du mal à retracer les événements, que les souvenirs traumatiques sont flous.
La suspicion pèse sur les victimes
« Quand quelqu’un dit s’être fait voler son scooter, on ne met pas systématiquement en cause sa parole, alors pourquoi cette suspicion existe-t-elle pour les victimes de viol, au point de les faire passer pour des coupables ? »
Dans une lettre datée d’octobre 2019 et adressée au doyen des juges d’instruction près du TGI de Strasbourg, il raconte les sévices qu’il a subis à l’âge de six ans, alors que ses parents, ne pouvant s’occuper de lui, le confient à sa tante durant la semaine. Le petit garçon est frappé très souvent, plongé dans l’eau glacée, forcé à manger et lorsqu’il vomit, obligé d’avaler ce qu’il a rendu. Quand il souille ses draps, sa tante lui frotte le visage dedans.
La famille emmène le souffre-douleur en vacances au camping. Sa tante le jette dans le lac alors qu’il ne sait pas nager, lui maintient la tête sous l’eau à plusieurs reprises. Pour rire. Sans crème, sans t-shirt, il déambule sous le soleil, sa peau est brûlée, se couvre de cloques.
Mais le supplice de Mickaël ne s’arrête pas là. Il raconte que son cousin, âgé alors de 14 ans, le viole à deux reprises. La première agression a lieu dans le salon familial et le violeur tente d’étouffer le petit garçon avec un coussin. L’irruption brutale du frère cadet dans la pièce interrompt l’agression. Mickaël s’est vu mourir.
L’autre viol, se souvient-t-il, a lieu près d’un lac en Moselle, dans la caravane qu’il partage avec ses cousins. Frappé également, le nez brisé, il sort le visage en sang de la caravane. Un voisin qui connaît ses parents les alerte. Mickaël ne retournera plus chez sa tante et le silence s’abat sur ces mois de calvaire.
« La question la plus délicate est celle des preuves »
Dans sa plainte, Mickaël évoquait des « violences volontaires contre mineur de moins de 15 ans. » Finalement, l’instruction a été ouverte pour « torture et acte de barbarie sur mineur de moins de 15 ans », « viol et tentative d’assassinat. » Pour ces crimes, la période de prescription est de 30 ans à compter de la majorité de la victime. Mickaël a aujourd’hui 37 ans et aimerait en finir avec cette histoire qui le poursuit dans sa vie d’adulte.
Son avocate, Me Lavleen Singh-Bassi ne souhaite pas s’exprimer sur le dossier mais souligne la complexité de ce type d’affaires :
« La question la plus délicate est celle des preuves, la preuve par excellence est d’ordre médical. Après toutes ces années, ce n’est pas possible de l’obtenir. C’est un peu la parole de l’un contre celle de l’autre, sauf en cas d’aveux. Mais sinon, on procède par faisceaux d’indices, des témoins, un journal intime, etc. »
À six ans, Mickaël était trop jeune pour tenir un journal intime. Il lui a été impossible d’en parler, mais il compte sur des témoins, le voisin du camping, sa mère… et espère que son cousin, le frère de son agresseur, viendra aussi raconter ce qui s’est passé devant le juge.
« Porter plainte c’est une épreuve »
« Porter plainte c’est une épreuve. C’est parfois aussi douloureux que l’acte lui même. Il faut de la force pour le faire, c’est compliqué de dire ces choses-là, peut-être encore plus lorsqu’on est un garçon. »
Malheureusement, Mickaël sait de quoi il parle. Plusieurs années après les sévices subis chez sa tante, il devient en 1995 la victime de son père qui lui fait subir des attouchements pendant un an, avant de le violer. Le garçon a 12 ans, il appelle la police et dit tout. Également poursuivi par la grande sœur de Mickaël, violée elle aussi à l’adolescence, leur père sera condamné à 12 ans de réclusion.
L’horreur se poursuit alors que la procédure est en cours. Il est agressé sexuellement à la piscine de Hautepierre, par un policier qui l’attendait après avoir eu connaissance de son dossier.
Retour à la brigade des mineurs pour l’adolescent déterminé, les collègues ont du mal à y croire mais la vidéo-surveillance accrédite les dires du jeune garçon. Le policier écopera de six mois de prison avec sursis.
Mickaël se souvient avoir été très bien accueilli et écouté alors par les officiers de la brigade des mineurs. C’est donc plutôt confiant qu’en 2009, 14 ans plus tard, il décide de porter plainte pour raconter le calvaire infligé par sa tante et son cousin en 1989.
Tourner la page d’une enfance meurtrie
Au cours de l’audition, il raconte partager sa vie avec un garçon. Une policière lui demande alors s’il se sentait sexuellement attiré par son cousin qui l’a violé. Mickaël ne supporte pas le sous-entendu qu’il reçoit comme une accusation : « je suis parti en cours d’audition. » La procédure est abandonnée.
Voilà pourquoi Mickaël, devenu entrepreneur, zappe la case police dix ans plus tard et décide d’envoyer directement au juge d’instruction deux plaintes avec constitution de partie civile. Ces faits d’il y a trente ans forment une blessure qui le relance régulièrement. Mickaël espère refermer la plaie avec ce procès.
« Ce que j’ai subi a une incidence sur ma vie intime : je ne peux pas dormir chez quelqu’un d’autre, je ne peux pas être dans la même salle de bain qu’une autre personne, ni aller aux toilettes si la porte ne ferme pas à clé… »
L’acceptation de son homosexualité a été très douloureuse au début aussi pour le jeune homme : « Pendant des années je me suis posé des questions. Est ce que j’étais devenu gay à cause de ce que j’avais subi ? J’ai été avec une fille pendant deux ans, car je pensais que c’était mal, et que ça allait me “guérir”. »
À l’intérieur de son bras, à l’encre bleue, en pleins et déliés, est inscrit le mot « Infinity ». Ce tatouage résume ses années erratiques : tentatives de suicide, drogue, prostitution, conduites sexuelles extrêmes… « J’avais besoin de me détruire, » analyse Mickaël qui craint qu’on ne lui renvoie ce passé au tribunal pour saper ses accusations.
Être reconnu comme victime
Aujourd’hui l’entrepreneur dit avoir retrouvé un certain équilibre, il a été en couple pendant sept années, une histoire désormais terminée mais qui l’a aidé à reprendre pied. Ce dernier combat devant les tribunaux lui permettrait, il l’espère, de tourner la page d’une enfance meurtrie :
« Je n’ai pas déposé plainte avant car ces faits s’étaient arrêtés. Aujourd’hui peu importe que mon cousin et ma tante aillent en prison, ils sont sortis de ma vie. Je ne cherche pas à me venger non plus. Mais, même si je n’aime pas ce mot, j’ai besoin qu’on reconnaisse mon statut de “victime”. »
Depuis qu’il a raconté son histoire sur Twitter, il est en contact avec des dizaines de personnes, beaucoup lui racontent avoir subi la même chose, ainsi que la peur, les menaces de leurs bourreaux. Lui a grandi « comme un enfant unique. » Ses quatre frères et sa sœur, plus âgés, étaient placés. Sa tante, comme son père des années plus tard, ont utilisé cette éventualité pour l’obliger à garder le secret sur les sévices subis :
« J’ai tellement été plongé dans le silence parce que j’avais peur d’être tout seul, si je peux essayer de rassurer ne serait-ce qu’une seule personne, je serais heureux. Si mon histoire peut permettre à d’autres de parler, j’aurais tout gagné. »
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