En larmes devant le président du tribunal correctionnel, lors de l’audience des comparutions immédiates de lundi, l’infirmière victime d’une agression dans la nuit de vendredi n’aura prononcé qu’une phrase : « Cette dame a fait vaciller la foi dans ma vocation. » Présente malgré sa minerve et son attelle, l’infirmière laissera son collègue aide soignant, également frappé, poursuivre : « On n’est pas là pour ça. On ne veut plus être là pour ça. »
Vendredi 13 août, autour de 4h du matin, une partie de l’équipe des urgences du Nouvel hôpital civil (NHC) s’est faite agressée par une dame d’une trentaine d’années, hospitalisée après avoir ingéré une dizaine de pilules de médicaments. À son réveil à l’hôpital, cette dernière a cherché à sortir du service des urgences, avec une attitude méprisante (jet de mouchoirs et de yaourt au sol) envers le personnel. Peu satisfaite par sa prise en charge, son attitude évolue en insultes, puis en agression physique, mettant en difficulté l’équipe de nuit des urgences du NHC et blessant deux personnes avant d’être maitrisée. La médecine légale a estimé que les blessures infligées nécessiteront six jours d’incapacité temporaire totale pour l’infirmière et d’une journée pour l’aide soignant.
Les conséquences de la scène restent traumatisantes pour les soignants présents ce matin-là, marqués dans les corps comme dans les esprits. L’agression a été vécue comme le pic d’une tension persistante aux urgences « au moins depuis 2018. » L’avocat des victimes, Me Arnaud Friedrich, a rappelé que « l’hôpital doit être un sanctuaire accueillant, pour les gens en détresse sans distinction » et que le personnel des urgences « ne choisit pas ce secteur par hasard, mais par vocation et avec l’envie de prendre tout le monde en charge. »
Une vocation « abimée »
Une vingtaine de collègues sont venus soutenir les victimes devant le palais de justice de Strasbourg. « Il y a eu un choc pour le personnel présent ce jour-là et pour l’équipe entière, » explique une infirmière témoin de la scène souhaitant garder l’anonymat. « C’est une agression violente. On a retrouvé notre collègue recroquevillée sous un brancard, prostrée et en pleurs. »
Le tribunal correctionnel a condamné la prévenue, détenue depuis vendredi, à un an d’emprisonnement dont 6 mois avec sursis, assorti d’un mandat de dépôt. Établie à Strasbourg, elle a également été condamnée à une interdiction de séjour de 3 ans dans le Bas-Rhin. À la sortie du tribunal, le soulagement prédomine pour les victimes, malgré la possibilité d’appel. L’interdiction de séjour sur le territoire du Bas-Rhin de la prévenue rassure l’équipe qui craint d’éventuelles représailles.
« On a peur de venir travailler », souligne une infirmière présente au moment des faits :
« Il y a quelques mois je me suis fait attendre à la sortie de mon travail, près de mon véhicule. J’ai dû sortir avec la sécurité pour que les agents retiennent une personne qui m’attendait. Je lui avais simplement demandé de sortir des urgences. »
Marquée par l’agression récente de ses collègues, elle s’inquiète aussi sur sa capacité à soigner :
« Je me pose la question de comment je vais réussir à prendre en charge des patients qui pourraient aussi m’agresser verbalement. Ceux qui vont hausser le ton, je vais en avoir peur. Je ne suis pas sur mon lieu de travail pour ça. Je sens que ma vocation s’abime. »
Des agressions quotidiennes banalisées
Pour le personnel soignant des urgences, les agressions sont quotidiennes et banalisées. « Depuis des années, les collègues et les syndicats ne cessent de dénoncer une augmentation flagrante des agressions verbales et physiques. » Le problème au sein de leur équipe, selon une autre infirmière présente en soutien à ses collègues devant le tribunal, « c’est que l’on ne déclare pas assez ces agressions, on les banalise complètement. »
Avec des postes difficiles et une grosse charge de travail, peu d’infirmiers des urgences se lancent dans des enregistrements administratifs de ces violences quotidiennes, comme le rappelle une infirmière :
« On n’a pas encore envie de passer un quart d’heure à faire une énième déclaration sachant qu’on sait qu’il n’y aura rien derrière, qu’on ne voit pas la direction ni même l’encadrement… On n’est pas entendu. »
De son côté, Me Arnaud Friedrich, raconte être appelé « plusieurs fois par mois pour ce genre de choses. »
Secrétaire général de la section Force ouvrière des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS), Christian Prud’homme, était également à l’audience pour soutenir les salariés attaqués. Il confirme ce constat de banalisation des injures :
« C’est régulier. Le soignant a une tolérance face aux agressions verbales. Il ne les relève presque même plus tellement ça fait partie du quotidien des soignants aux urgences. Les agressions physiques arrivent aussi régulièrement, mais heureusement pas tous les jours d’aussi violentes. C’était arrivé l’année dernière à Hautepierre, à la même période. »
À l’instar de l’année précédente, une demande de réunion du Comité social et économique des HUS a été déposée à la direction et une réunion syndicale avec les équipes des urgences aura lieu mercredi pour décider d’un « probable » préavis de grève. Une demande de rendez-vous doit aussi être adressée à la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, en sa qualité de présidente de conseil surveillance des HUS, avec comme objectif de solliciter la police municipale.
Pour les soignants comme le syndicaliste, cette situation préexistait à la crise du Covid-19, mais la pandémie aggrave les tensions. « Aujourd’hui, les prises en charge sont plus difficiles, » estime Christian Prud’Homme :
« Par manque de lits, par manque de professionnels, les temps d’attente sont plus longs. Forcément parfois, les esprits s’échauffent et on se retrouve face à des situations d’impatience et d’incompréhension. »
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