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Jürgen Nefzger à La Chambre : « avec le nucléaire, les paysages se chargent de symboles »

Jusqu’au 24 février, la galerie La Chambre expose les photographies de Jürgen Nefzger, photographe d’origine allemande installé en France. À l’occasion de sa première exposition monographique à Strasbourg, rencontre avec cet artiste, dont les œuvres traitent de problématiques écologiques, territoriales et politiques actuelles.

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Jürgen Nefzger, photographie de la série Bure, ou la vie dans les bois, 2017 © Galerie Françoise Paviot

Le nucléaire est à l’affiche de La Chambre jusqu’au 24 février. La galerie expose deux séries de photographies de Jürgen Nefzger, photographe d’origine allemande installé en France (voir la présentation de l’exposition). Rencontre avec cet artiste, dont les œuvres traitent de problématiques écologiques, territoriales et politiques actuelles.

Paula Marie Consuegra : Vous êtes arrivé en France à 22 ans pour étudier à l’École nationale de photographie d’Arles. Quelle a été l’étape décisive dans votre trajectoire artistique ?

Jürgen Nefzger : Je suis venu de Nuremberg et je n’avais pas fait d’études d’art au préalable, je connaissais surtout la photographie documentaire de Robert Frank. L’étape décisive pour moi c’est effectivement l’école d’Arles. Auparavant, j’étais plutôt intéressé par le portrait photographique et mon sujet au concours d’entrée à Arles portait sur Walker Evans. Il y a un avant et un après cette école dans mon travail, j’y ai beaucoup appris. C’est là que j’ai commencé à développer une approche photographique du paysage.

Comment s’est développé votre intérêt pour le paysage ?

J.N. : À Arles, j’ai par exemple photographié La Grande-Motte, une station balnéaire récente, construite en 1965 par l’architecte Jean Balladur sur une ancienne réserve naturelle. C’est une architecture particulière, un concept qui devait concentrer l’afflux touristique vers la côte méditerranéenne française, dans une ville nouvelle entièrement conçue par les architectes. J’y ai fait mes photos en hors-saison, car c’était le moment propice, sans activité, pour voir ce paysage avec un autre regard.

Votre exposition à la galerie strasbourgeoise La Chambre met en dialogue deux séries photo, lesquelles ont été produites à environ dix ans d’écart: Fluffy Clouds (2003-2011) et Bure, ou la Vie dans les Bois (2018). Dans votre série Fluffy Clouds, les centrales nucléaires sont omniprésentes à l’arrière-plan. Souhaitiez-vous montrer une part vulnérable de ces paysages ?

Je cherche à créer un semblant de tableau romantique, en détournant ce mouvement. Je m’inspire de la nostalgie d’une communion avec la nature disparue, prégnante dans le romantisme allemand. Néanmoins, à l’arrière-plan de mes images, il y a ces centrales nucléaires, avec lesquelles on n’a pas envie d’être en communion (rires) ! Les paysages de ma série Fluffy Clouds pourraient être qualifiés de “beaux paysages”, à condition d’en retirer les centrales nucléaires. Au contraire, je souhaite qu’elles fassent irruption dans l’image afin de mettre en lumière la manière dont notre société occupe l’environnement.

« Un paysage n’est jamais neutre »

La question environnementale m’intéresse beaucoup ; je me suis par exemple penché sur les décharges à ciel ouvert ou encore sur la marée noire de l’Erika. Pour moi, un paysage n’est jamais neutre. Les paysages de Fluffy Clouds ont une dimension politique, Je pense que l’on peut parler de paysage politique, économique, voire social, notamment parce qu’il renvoie toujours à des activités humaines résultant de décisions politiques. C’est le cas particulièrement en France, où l’on trouve 58 réacteurs nucléaires en activité, bien que j’ai choisi pour ma série de photographier les paysages de divers pays européens.

Jürgen Nefzger, photographie de la série Fluffy Clouds, Suisse, 2004 © Galerie Françoise Paviot
Jürgen Nefzger, photographie de la série Fluffy Clouds, Suisse, 2004 © Galerie Françoise Paviot

Le ciel et l’horizon jouent dans Fluffy Clouds (“nuages duveteux”) un rôle important pour mettre en évidence la présence du nucléaire. Cette problématique environnementale qui vous est chère se joue cependant différemment dans la série consacrée à la lutte menée à Bure, contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires. Là, la menace nucléaire est invisible, puisqu’il s’agit de l’enterrer. Comment montrez-vous cette différence par le biais de la photographie ?

Je pense que Fluffy Clouds montre le nucléaire mais parle d’autre chose. L’idée ce n’est pas de faire des images théâtrales qui nous interpellent pour simplement affirmer “le nucléaire c’est horrible”. Je voulais que les images soient très paisibles, baignées de lumière et que des loisirs se déroulent en premier plan. On y voit des pêcheurs, des golfeurs, des baigneurs… tout cela, sur fond, effectivement, de centrales nucléaires. Cela crée une fissure dans l’image entre le premier plan et l’arrière-plan, qui me permet de souligner le problème.

« Comme si l’on parlait d’usine à nuages »

Pour ma série Bure, ou la Vie dans les Bois, le titre joue un rôle important car la ville de Bure est devenue emblématique de la lutte contre le nucléaire. C’est l’inverse pour Fluffy Clouds, car si l’on voit les centrales nucléaires, le titre est ironique, il renvoie complètement à autre chose car l’expression est très enfantine, comme si l’on parlait d’usine à nuages… Pour moi, les centrales nucléaires sont un symbole très fort, tout comme ce qui se passait à Bure, et je m’intéresse toujours aux symboles présents dans mes images.

Votre série Bure, ou la Vie dans les Bois nous plonge donc au coeur de l’occupation du bois Lejuc à Bure par les militants contre le projet Cigéo. Comment se positionne votre travail, dans un moment parfois sous tension comme celui de cette occupation de la forêt ?

Cela faisait déjà des années que je réfléchissais à la possibilité d’une série sur Bure. Cependant je ne voulais pas me contenter de faire des photographies de paysages documentant la lutte contre l’enfouissement de déchets nucléaires. Je suis sensible à la forêt, notamment. Au moment où les militants ont commencé à occuper le bois Lejuc en 2016, j’ai été alerté et j’ai eu envie d’aller voir ce qu’il se passait. Lorsque l’on regarde les images, on ne peut pas savoir de quelle lutte il s’agit ; cela pourrait représenter la ZAD de Notre-Dame-des-Landes par exemple. Il faut lire le titre, les textes ou regarder la vidéo présente dans l’exposition pour le comprendre le contexte.

Je pense que mon travail à Bure traite principalement de la portée symbolique de cette lutte. Cette série explore en fait la notion d’utopie communautaire confrontée à l’affirmation de l’individualité. En ce sens, le livre Walden ou la Vie dans les bois de Henry David Thoreau m’a beaucoup inspiré, même si c’est finalement un extrait de son essai La désobéissance civile que je mets en regard de mes photographies dans l’exposition. C’est un texte fondateur du mouvement d’objection de conscience, auquel j’adhérais lorsque j’étais encore en Allemagne dans les années 80.

Jürgen Nefzger, photographie de la série Bure, ou la vie dans les bois, 2017 © Galerie Françoise Paviot
Jürgen Nefzger, photographie de la série Bure, ou la vie dans les bois, 2017 © Galerie Françoise Paviot

Votre travail représente souvent des paysages désertés de toute présence humaine. Dans votre série Bure, ou la Vie dans les Bois en revanche, la figure humaine apparaît et vous proposez des portraits. Comment en êtes-vous venu à intégrer le portrait dans cette série ?

Si je m’intéresse principalement au territoire et au paysage, on trouve beaucoup de personnages dans certaines de mes images, sans qu’ils soient le sujet principal. À Bure, j’avais envie d’explorer la prise de vue avec une plus grande légèreté car, habituellement, l’appareil que j’utilise est une chambre photographique, ce qui nécessite un temps long pour capturer une image. J’ai travaillé à la chambre seulement pour les paysages de la forêt : abris, structures bâties…

Comment concevez-vous l’acte de documenter et d’exposer les images d’une lutte toujours en cours ?

Pour moi, il ne s’agit pas de documents. D’ailleurs, il y a une grande part de subjectivité dans la photographie documentaire ; il s’agit plutôt d’un style documentaire (c’est ce dont parlait Walker Evans en 1935). Je ne prétends pas rendre compte de toute la lutte actuelle, existante ou passée à Bure, loin de là. Il faut d’ailleurs savoir que les occupants du bois ont été expulsés et que l’accès à la forêt est interdit. On parle donc déjà d’une action terminée. Ce que je donne à voir est lié, certes, à la lutte sur place, mais en même temps c’est surtout associé à ma démarche artistique. Loin du reportage, je propose un regard singulier sur cette chose assez belle qui s’est passée dans le bois Lejuc à ce moment-là.


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