Julius, un homme banal et vivant dans une pièce étroite — à la mesure de sa place dans la société — devient fugitif par le chemin des songes. Voici l’intrigue de La Pièce ─ Fkrzictions, par la compagnie strasbourgeoise L’iMaGiNaRiuM. Le spectacle, déjà présenté au Théâtre Actuel et Public de Strasbourg (TAPS) en janvier 2018, est né d’un mélange d’esthétiques littéraires, picturales et chorégraphiques. Au-delà d’un portrait terrifiant d’une société inhumaine, il s’agit surtout de questionner la possibilité de vivre. Il sera mis en scène du 27 au 29 novembre.
Dans ce monde l’individu est comme une brique
Sur la scène, la pièce qui donne son nom au spectacle. Cette chambre est sommaire, munie d’un lit, d’une table et d’un lavabo. Le héros Julius, qui y vit, la sous-loue à deux autres travailleurs. Chacun occupe la pièce 8 heures par jour. C’est le principe des trois-huit de l’usine appliqué à la location immobilière. Cette case où tournent sans fin des silhouettes grises et fatiguées est la norme.
Le spectacle présente une dystopie capitaliste totalitaire, où, enfin, les corps des travailleurs on pu être compressés dans les briques de leur emploi. C’est à partir de cette claustrophobie initiale que la pièce se déploie. Julius rêve et cherche à s’échapper de cette cage. Il tord les frontières, élargit la chambre et, de fait, brise ses chaines sociales.
Des individus errants, aliénés
Pour ce spectacle, Pauline Ringeade s’est inspirée de deux auteurs : le romancier Sigismund Krzyzanowski et l’auteur de bandes dessinées Marc-Antoine Mathieu. Dans leurs œuvres, les individus errent, aliénés par leur travail, leur logement, leurs factures… un état du monde sans espace de liberté, de rêverie, entièrement dédié à la productivité.
Dans ce spectacle, Pauline Ringeade ne porte pas de discours politique ou moralisateur. Elle transmet seulement les esthétiques des deux auteurs, revisitées par le théâtre. La Pièce résulte de la friction entre deux plumes, l’une de mots et l’autre de traits.
Fkrzictions : ce nom impossible à prononcer est comme une altération du mot « friction » par Krzyzanowski. Ce mot, hors de la parole, illustre l’impossibilité de vivre. C’est à cela que Julius est confronté. Il sert d’individu témoin, il vit le quotidien de toute la population. Hanté par les figures cauchemardesques qui envahissent son clapier, il cherche une échappatoire.
La case qui s’ouvre pour donner — peut-être — la liberté
Toute la beauté du spectacle se révèle lorsque Julius s’échappe. Le cube initial, à la fois chambre et cage mais aussi case de bande-dessinée, éclate. Il ouvre ainsi à ses personnages un espace vertigineux. Le travail chorégraphique, qui se faisait ressentir déjà dans la superposition des corps au sein de la chambre, s’épanouit. Quelques cadres demeurent sur scène, comme le souvenir du fugitif parti en voyage. Dans l’espace onirique sans borne, Julius finit par se perdre.
Fkrzictions, ce n’est pas un spectacle mais un projet aux multiples incarnations. Autour de la pièce, L’iMaGiNaRiuM organisait plusieurs expériences, sous le nom des Excursions/Incursions. Installations, lectures musicales, casque de réalité virtuelle, performance participative… le projet proposait un véritable voyage aux spectateurs désirant aller au-delà du seul spectacle.
Pour ce retour au TAPS, seule la sieste sonore est présente. Allongés sur un transat, les spectateurs pourront écouter une boucle de sons divers, matériaux d’inspiration pour le spectacle et extraits coupés de la version finale. Malgré ce rétrécissement de l’espace poétique, La Pièce demeure intacte pour replonger dans les rêves de Julius.
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