« Confrères, consœurs, travailleurs sociaux…Nous trouvons tous que la loi immigration est très dure ». Au-delà de l’évidence, l’avocat strasbourgeois Julien Martin, veut expliciter les effets négatifs du texte sur les immigrants qui viennent s’établir en France en respectant les conditions pour avoir des titres de séjour valides. « Ce sont les personnes qui respectent les règles qui pâtissent de ce texte », tranche-t-il, à rebours du discours prôné par Gérald Darmanin, qui souhaitait contrer l’immigration irrégulière et favoriser l’intégration de ceux qui suivent les procédures.
Spécialisé en droit des étrangers, mais aussi en droit international et européen, Me Julien Martin est ainsi amené à conseiller et défendre des étrangers qui peuvent venir en France par le biais du regroupement familial.
Six mois qui changent tout
Avant la loi de 2023, il fallait prouver 18 mois de présence en France pour que le conjoint majeur ou les enfants puissent rejoindre une personne. Désormais, il faudra prouver 24 mois. Seuls les conjoints de 21 ans et plus pourront venir – contre 18 ans auparavant.
« Six mois de plus, ça peut paraître anecdotique. Mais pour une maman coincée au Cameroun dont les enfants sont en France, ça fait toute la différence. Surtout que ce délai ne comprend pas le temps nécessaire à la procédure administrative pour réunir les documents dans le pays d’origine et le pays d’accueil, ni les durées d’instruction de la demande qui sont longues. »
En plus du temps de présence effective en France, il faut ainsi compter six mois supplémentaires maximum pour que l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) réponde à la demande. Des conditions de revenus « stables, régulières et suffisantes » deviennent nécessaires pour demander le regroupement familial. « Mais cette stabilité n’est pas définie par la loi et laisse un pouvoir discrétionnaire immense à l’administration », déplore l’avocat.
D’autant plus que pour demander le regroupement familial, des conditions de revenus et de logement existent déjà. Elles sont définies très précisément dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Pour faire venir son partenaire à Strasbourg, la personne qui demande le regroupement familial doit gagner 1383 euros nets par mois depuis un an, habiter dans un logement d’au moins 22m2 et avoir un titre de séjour valable au moins un an.
Selon Julien Martin, la nouvelle disposition législative sur le regroupement familial pourrait être contraire au droit fondamental à la vie privée et familiale, consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH).
« Faire passer la condition de séjour de 18 à 24 mois n’est pas justifié par une nécessité réelle. On a l’impression qu’il s’agit juste d’une disposition répressive sortie de nulle part, qui stigmatise les ressortissants étrangers qui ont droit au regroupement familial. »
Cette disposition n’entrerait donc pas dans le but affiché de réduire l’immigration clandestine et ne favoriserait pas l’intégration des immigrants. Elle pourrait, a contrario, encombrer davantage les juridictions de dossiers où des demandeurs tenteraient de faire respecter leur droit.
« Contester des demandes de visa rejetées, je le fais souvent. Avec cette disposition, il y a fort à parier que le contentieux augmente et que les gens saisissent de plus en plus le tribunal administratif. Et là, le délai entre la demande et l’obtention du visa pour le partenaire étranger devient extrêmement long. »
« Autant dire tout de suite que la France ne veut pas d’étudiants étrangers »
Une autre mesure qui semble indigne à Me Julien Martin est celle qui concerne la « caution de retour » pour les étudiants étrangers extra communautaires (hors UE, Suisse, résidents du Québec, ou d’un pays membre de l’Espace économique européen…) – et contre laquelle les étudiants de l’Université de Strasbourg ont manifesté jeudi 21 décembre. La somme sera définie par décret du Conseil d’État et sera rendue à l’étudiant à l’issue de son séjour en France, ou utilisée pour financer une mesure d’éloignement si l’étudiant se maintient sur le sol français sans visa après ses études.
« L’accès au titre de séjour étudiant est déjà extrêmement restrictif et sélectif sans cette disposition », commence l’avocat, avant préciser le parcours d’obtention d’un titre :
« Les candidats doivent passer par Campus France et déposer une demande à travers l’Institut français de leur pays. Ils doivent se soumettre à un test de langue très difficile. Puis ils ont un entretien avec un agent de l’Institut français pour discuter de leurs projets professionnels. Ils sont déjà triés sur le volet. »
D’autant plus que des conditions de revenus existent aussi déjà pour pouvoir venir en France avec un titre de séjour étudiant. « Il faut avoir une certaine somme d’argent sur un compte en banque français, dans une banque officielle », poursuit le conseil. « Et la vie étudiante est déjà chère pour un étudiant français, alors imaginez pour un étudiant algérien (…). Autant dire tout de suite qu’on ne veut pas d’étudiants étrangers. Ça ne me semble pas correspondre au discours d’intégration, mais plutôt à une mesure de désintégration. »
Se conformer aux règles de la Convention européenne des droits de l’Homme
Pour les personnes qui sont en train de demander l’asile, la loi immigration ne devrait pas avoir d’effet négatif instantané. La loi ne peut être rétroactive. Elle vient cependant supprimer une spécificité française en matière d’examen de la demande par la Cour nationale de droit d’asile (CNDA) :
« Historiquement, un assesseur du Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies est présent lors des auditions de la CNDA. Il permet d’apporter un éclairage géopolitique pour étudier les demandes d’asile, c’était unique à la France. La loi supprime cela. »
Elle vient également interdire le placement des mineurs de moins de 16 ans en centre de rétention administrative (CRA). Une mesure dont se félicitent des députés de la majorité présidentielle mais qui fait doucement sourire l’avocat strasbourgeois :
« La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme à de nombreuses reprises [au moins 11 fois, NDLR] pour avoir placé des enfants en centre de rétention administrative. En 2022, nous avons obtenu la condamnation de la France, lorsqu’une fillette de huit ans a été placée en CRA. L’inscrire dans la loi peut paraître novateur, mais ce n’est que l’intégration de la jurisprudence internationale à la loi. »
Risque d’augmentation du contentieux des étrangers
Me Julien Martin accompagne des étrangers qui contestent le refus de leur titre de séjour devant le tribunal administratif. « Désormais, je devrai aussi peut-être les représenter au pénal », explique l’avocat. Car le texte instaure un « délit de séjour irrégulier » : l’article 1er L de la loi prévoit que l’étranger qui reste après l’expiration de son visa, peut être condamné à payer 3 750 euros et à trois ans d’interdiction de séjour en France.
« Donc en plus de contester les obligations de quitter le territoire français (OQTF) devant la juridiction administrative, nous serons amenés à défendre nos clients devant une juridiction pénale pour faire en sorte qu’ils ne soient pas condamnés à payer cette amende. Ça double le nombre de contentieux. »
Il dénonce une mesure qui s’attaque à une population déjà précaire. « Je ne vois pas l’intérêt », poursuit-il, « c’est surtout une mesure très démagogique ». Selon lui, elle risque de ne pas passer le contrôle de constitutionnalité car « non conforme au principe d’égalité et de proportionnalité de la peine ».
Revenant à l’effet de la loi sur ses clients, Julien Martin estime que la loi ne dissuadera pas les immigrants de venir en France. « Ce ne sont pas deux ou trois conditions supplémentaires qui empêchent quelqu’un d’immigrer », considère-t-il. « Ça ne dissuadera pas non plus les personnes qui ont des droits de se battre pour les obtenir, jusque devant les tribunaux ».
« Il faut mettre en miroir ce qui se passe au niveau européen »
L’analyse de la loi immigration française doit selon Julien Martin s’effectuer à la lumière du Pacte européen sur la migration et l’asile. Les États membres de l’Union européenne viennent de décider, le 20 décembre 2023, de réformer en partie le système de répartition des demandeurs d’asile dans l’Union.
« La loi immigration s’inscrit dans ce que préfigure ce Pacte. Les eurodéputés sont en accord avec l’idée de quotas migratoires. Les États qui ne respecteront pas les quotas seront sanctionnés par une amende, ce sera le cas de la Hongrie notamment, qui préférera payer qu’accueillir. C’est cynique : ça permet aux États de monnayer le droit à la demande d’asile. »
Il compare les compromis effectués entre États membres à ceux opérés par le gouvernement de Macron avec le Rassemblement national : « Même au niveau européen, on voit que la politique se durcit dans les idées et qu’il est difficile de mettre tout le monde au diapason, tout en limitant la marge de manœuvre de l’extrême droite ».
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