Qu’on lise « cirque » sur le programme du Maillon et cela suffit à susciter toutes les images d’un dessous de chapiteau. Il n’en est rien dans ce spectacle qui s’égraine en quatre-vingt « notes », comme autant de surprises et de réflexions sur l’art du cirque et le cirque du monde. D’ailleurs, tout est décalé et décalage dans ce projet.
A commencer par son créateur, Ivan Mosjoukine. Qui est-il ? Quatre personnes à la fois : il est l’entité, emprunté au cinéma russe des années 20, sous laquelle se regroupent les quatre artistes auteurs du spectacle, Maroussa Diaz Verbèke, spécialiste de la corde molle, Tsirihaka Harrivel, dont c’est la première création, Vimala Pons, passionée d’équilibre et d’effeuillage, et Erwan Ha Kyoon Larcher, maître du mât chinois. Et pour cause, l’un des vœux signés par ces quatre-là exige que « toute hiérarchie sera refusée ». Pas de metteur en scène, pas de tête pensante face à des exécutants, mais Ivan Mosjoukine donc, auteur, chorégraphe, metteur en scène tout à la fois.
Le projet lui-même n’est pas moins déroutant. Un cahier des charges en quinze points lui donne son cachet tout particulier : pas de coulisses, tout est à vue, aucune musique dont la source ne soit pas reconnaissable, le spectateur doit pouvoir changer de point de vue sans changer de place, la parole – bannie du cirque par un décret en 1812 – peut exister si elle se fait révélatrice… autant d’exigences qui veulent « mettre le cirque à nu, pour jouer avec, pour voir comment ça marche », explique Maroussia Diaz Verbèke.
Quatre ans de travail
Pour atteindre une remarquable efficacité, qui ne manque jamais d’être simple, il aura fallu à ces quatre fantastiques près de 4 ans de travail, et les ondes de notre époque, comme l’indique Erwan Ha Kyoon Larcher :
« Nous nous sommes inspirés de l’aspect fragmenté du cirque traditionnel, qui ne cherche pas le sens, mais aussi du principe du montage du cinéma pour justement chercher du sens ».
Le spectacle n’a ainsi rien à envier au zapping d’une célèbre chaîne. Percutant, c’est dans l’implicite et la collision des mots et des images qu’il fait exploser les idées et fouille dans les grands vides du langage.
Ivan Mosjoukine nous mène, de recherche en recherche, à questionner bien plus que le cirque. Dès les premières « notes », qui ne se privent jamais d’une note d’humour, l’absurde devient le cadre, paradoxalement naturel et rassurant, de cette aventure. Il y a les grandes questions : la propriété – surveillez vos sacs à mains !-, la vie, l’ennui, la politique.
Et puis les petites choses. Que se passe-t-il si l’on s’attarde sur ces questions creuses qui nous rendent fous ? Du grille-pain, de la bouilloire ou d’Erwan en équilibre, qui aura le dernier mot ? Saltos, bredouillements, chutes, sensations fortes désamorcées par l’humour ou tragique de l’irrésistible chute de l’homme, « De nos jours » est une mosaïque en forme de coup de poing qui se joue de nous et joue avec nous.
Il ne montre pas la vacuité du cirque, mais de tout ce dont le cirque ici se sert, pour nous rappeler que :
- de nos jours, tout va trop vite pour aller au bout des choses,
- de nos jours, on ne se parle plus vraiment,
- de nos jours, on s’éparpille dans tous les sens,
- de nos jours, les mots disent autre chose que ce qu’ils disent,
- de nos jours, on est seul,
- de nos jours, on marche sur un fil,
- de nos jours, on possède, mais on oublie notre corps,
- de nos jours, on se met nu pour rien…
- de nos jours, on ne voit pas assez souvent de spectacle comme celui-là.
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