Louise et Zélie sont engagées à l’Eglise du Bouclier, une paroisse « réformée » au cœur de la Petite France à Strasbourg. Fraîchement en vacances, elles se livrent avec enthousiasme sur ce que cela signifie pour elles.
Elles ont des profils plutôt différents, mais s’expriment presque d’une seule voix quand il s’agit de parler de foi et de l’ambiance dans leur paroisse. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles sont très convaincues ! Louise, 21 ans, est un peu la seule croyante de sa famille. Zélie, 16 ans, a un père pasteur et une grand-mère professeure de religion. Depuis ses 12 ans, elle suit le catéchisme à la paroisse du Bouclier, malgré un héritage familial plutôt luthérien. Elle a été de tous les camps de jeunes qui rythment la vie paroissiale, et dont une de ses animatrices était… Louise. Cette jeune étudiante en droit a des parents peu pratiquants, qui l’avaient inscrite au catéchisme par tradition familiale à la paroisse du quartier. Depuis, elle « baigne dedans ».
Zélie a déjà l’assurance et l’éloquence d’une adulte en devenir. C’est elle qui prend la parole en première quand il s’agit d’expliquer la particularité de son église :
« C’est un peu un protestantisme de base revisité de manière plus moderne, avec un esprit critique et une volonté de contextualiser les textes. C’est plus sobre aussi. Chez nous, pas de dorures, la priorité est au culte en lui-même. »
Un culte qui d’après elle est plutôt animé, et rassemble encore les foules, de toutes générations. Zélie raconte que ce sont des moments de joie et d’animation :
« Il y a de l’ambiance. On peut facilement prendre la guitare, il y a des jeunes, des seniors et des nouveaux-nés. »
Croire en Dieu en croyant aux autres
C’est ce qu’elles vont chercher dans les lieux de culte, dans leur paroisse : un sentiment de communauté. C’est un mot qui reviendra régulièrement dans la conversation. Leur rapport à la foi passe essentiellement par les activités de groupe, les camps de jeunes, les animations… C’est ce qui nourrit leur croyance, d’après Louise :
« Je recherche vraiment un esprit de communauté, la volonté de se retrouver tous ensemble. C’est quand même fort les émotions dans ces moments-là. On va apprendre les uns des autres, mais aussi des prédications du pasteur. »
C’est surtout les camps de jeunes qui semblent être la spécialité de l’église du Bouclier. Zélie est un pur produit du catéchisme du Bouclier, elle a fait tous les camps, et elle a adoré :
« Chaque année il y a trois camps pour les jeunes qui suivent le catéchisme : un camp ski, une retraite caté, et un camp spécifique pour ceux qui vont faire leur confirmation, pour bien s’y préparer. C’est sobre, c’est sans électricité. »
Un peu rude peut-être ? Pas du tout, d’après Zélie, qui adhère totalement au concept :
« Ça permet de vraiment se concentrer sur la confirmation, ça apporte beaucoup. A la fin de ces camps, il y a un groupe soudé qui se forme. Il y a vraiment quelque chose qui nous porte. Mais ce qui est bien, c’est qu’on laisse le choix, on ne force personne. Parfois certains décident de ne pas aller au bout de la confirmation. »
Pour Louise, peu importe les activités tant qu’elles donnent foi en l’Homme :
« Ce qui est bien dans notre paroisse, c’est qu’on peut vivre la foi différemment du catéchisme. Je vis la foi à travers les chants, les treks de plusieurs jours. C’est là qu’on s’entraide. Avant d’avoir foi en Dieu, je dirais que j’ai d’abord foi en les hommes et femmes avec lesquels je suis ».
Les deux jeunes femmes sont unanimes, la communauté est encore bien vivante et bien active :
« On arrive à avoir 40 jeunes par an sur les trois années, c’est pas mal ! Et les anciens sont toujours là. Il y a vraiment une identité, on parle même des fois de deuxième famille ».
Partir des textes… pour mieux les adapter à la société actuelle
Pour autant, l’église n’est pas juste une excuse pour se retrouver entre amis. La religion en elle-même, les textes et la théologie ont une grande importance dans leur cheminement. Si le catéchisme chez eux se décline beaucoup en-dehors de l’église, ils n’oublient pas de se pencher sur les messages de la Bible, y compris pendant les camps.
C’est une particularité des réformés, d’après Zélie, qui ne tarit toujours pas d’éloges sur son courant religieux :
« Quand on part avec les groupes, on a des réflexions tous les jours sur des thèmes divers et on interprète les textes, qui peuvent s’appliquer à tous les sujets. C’est ça la force de notre religion. On a travaillé sur la mort, la place de la religion dans l’entreprise, le mariage, le fait de baptiser des enfants sans leur demander… »
Pour elle, cette manière de pratiquer rend les individus plus ouverts et les enrichit. La foi serait un plus dans la vie des gens :
« Nos réflexions nous offrent du recul sur la religion, et sur la vie en général. Grâce à tout cela, je me sens plus ouverte. Le Bouclier fait de nous des individus originaux, éclectiques, tolérants. J’appréhende les choses avec plus de maturité. Je ne vois pas du tout cela comme un handicap ou une corvée ».
Séparer vie de croyante et d’étudiante
En ce sens, les deux jeunes femmes regrettent qu’il y ait une image erronée des religions, et de moins en moins de croyants. Zélie est la seule croyante de son entourage, et voudrait que cela soit vu autrement :
« La religion est presque devenue un tabou, aussi à cause des guerres et des attentats. Les gens pensent que c’est la faiblesse de l’homme. Mais si on arrive, comme chez nous, à avoir cet esprit ouvert, d’entraide, si les gens voyaient tout cela, ce serait différent ».
Car leur entourage est très sceptique sur leur engagement. Elles passent beaucoup de temps à la paroisse et n’en disent que du bien. Alors les jeunes filles séparent un peu leurs activités. A la ville, elles sont des étudiantes qui sortent entre amis, et préparent le bac ou les examens, et ne mentionnent pas trop leur facette de croyantes. Car les réactions ne sont pas très encourageantes, comme le raconte Louise, seule croyante parmi ses amis :
« Bien sûr qu’il y a des athées tolérants. Mais c’est toujours difficile pour eux de comprendre, c’est plutôt inconcevable. Ils me demandaient pourquoi je passais autant de temps au Bouclier. »
« Plein la figure »
Zélie confirme que parfois, elle s’en prend « plein la figure », surtout depuis qu’elle a décidé d’étudier la théologie pour devenir pasteure :
« Quand une fille de 16 ans dit qu’elle veut faire de la théologie, ça fait un choc. Les gens cherchent une raison, ils veulent que tout serve à quelque chose. Ils n’arrivent pas à comprendre qu’il y ait des choses qui ne s’expliquent pas, ou qu’on ne veut pas expliquer. »
Elle insiste, il s’agit d’une vie moins monacale qu’on pourrait le croire, et pas incompatible avec une vie sociale :
« Les gens ont cette image du pastorat où on travaille le dimanche matin et pour les enterrements. Alors qu’en fait il faut être polyvalent, accompagner les gens dans les moments compliqués… ll faut avoir des capacités d’éloquence, et aimer le contact avec le public. »
Elle estime aussi que c’est la souplesse des règles de vie propre aux religieux protestants qui lui permet d’envisager un tel engagement :
« Je ne sais pas si je le ferais s’il y avait comme dans la religion catholique la règle du célibat et tout ça. Là on peut, d’une part, s’engager en étant une femme, et d’autre part, avoir une vraie vie à côté. Je trouve ça vraiment bien. »
Loin du groupe, une foi intérieure à trouver
En-dehors des groupes, elles prennent parfois le temps d’y réfléchir en leur fort intérieur, en-dehors des textes aussi, pour revenir à la pure relation à Dieu.
Louise explique qu’elle n’est pas trop « du genre à prier », mais qu’elle a eu un jour un déclic :
« Je me demandais ce qu’était finalement la relation qu’on avait avec Dieu. Et un jour quelqu’un m’a dit qu’il priait Dieu pour le remercier, pas pour lui demander quelque chose. Le remercier quand on voit des beaux paysages, quand on voit des jeunes réunis dans un but commun… C’est un conseil qui m’a beaucoup parlé. »
Zélie de son côté cultive depuis longtemps ce volet intérieur de la foi et abonde dans le sens de sa camarade :
« En fait c’est cela, on ne nous demande pas de prier spécifiquement, mais d’être conscient des choses et d’avoir de la gratitude. Pour ma part je prie à chaque repas et tous les soirs. »
En grandissant, elles évoluent un peu plus vers cette foi plus intérieure. A l’âge adulte, les camps et activités de jeunes ne sont plus de mise, et Louise témoigne du fait qu’il faut redéfinir sa pratique. Elle a décidé récemment de prendre un peu de distance pour réfléchir :
« Depuis que j’ai 20 ans et que je n’anime plus de groupe, j’ai décidé de prendre du recul pour me pencher seule sur ma foi . Surtout, il faut laisser la place aux jeunes. L’an dernier on m’appelait déjà l’ancêtre ! Mais ça me manque quand même. Je vais peut-être bientôt revenir aux cultes. »
Pour Zélie, c’est pour l’instant tout réfléchi. Elle ne pense pas changer d’avis sur sa vocation :
« Je pense qu’il n’y a rien de plus beau que je pourrais faire de ma vie ».
Mais dans l’immédiat, il faut se préparer à l’un des derniers camps auxquels elle participera : le camp « Togo », une expérience d’un mois en Afrique en partenariat avec d’autres associations qui s’occupent d’enfants victimes de violences. Aussi, le voyage est censé être formateur pour les jeunes, comme l’explique Zélie :
« Ce genre d’expérience permet aussi de réaliser le confort qu’on a ici. Comme toujours, on est dans cet esprit de renouveau, de prise de conscience, commun à tous les camps ».
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