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Jérôme Lavrilleux, député européen : « Je ne suis pas une crapule »

Le Parlement européen se prononce aujourd’hui sur la recomposition de l’hémicycle pour les élections de mai 2019, un dossier particulièrement cher à Jérôme Lavrilleux. L’eurodéputé français, figure clef de « l’affaire Bygmalion », travaille d’arrache-pied sur ce dossier. Depuis trois ans, à Strasbourg, loin de celle qu’il dénomme la « politique politicienne », l’ex-collaborateur de Nicolas Sarkozy tente de faire oublier son passé trouble. Et y parvient plutôt bien.

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Au Parlement européen, de nombreux députés décrivent Jérôme Lavrilleux comme un fin tacticien. (Photo Mathieu Clugnot / Parlement européen)

Un matin de janvier, dans une salle de presse d’une institution européenne. Quelques portables vibrent, simultanément. S’affiche sur les écrans une invitation, par SMS, à un point d’information consacré à la nouvelle répartition des sièges du Parlement européen après les élections européennes de 2019, en présence de Jérôme Lavrilleux, député français issu du groupe du Parti populaire européen (le PPE, centre-droit, majoritaire dans l’hémicycle). Un journaliste belge s’exclame : « Lavrilleux, c’est le mec qui avait pleuré à la télé, nan ?! »

Oui, Lavrilleux, c’est bien « le mec qui avait pleuré à la télé », mouillé jusqu’au cou dans le scandale Bygmalion. Il refuse d’ailleurs cette appellation, préfère parler de « l’enquête sur les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 », qui porte sur un système de fausses factures adressées à la société Bygmalion, organisatrice des meetings du président déchu, pour un montant de quelque 18 millions d’euros (le plafond légal des dépenses était fixé à 22,5 millions d’euros). Jérôme Lavrilleux n’était autre que le directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy.

Jérôme Lavrilleux a été élu eurodéputé au printemps 2014, alors qu'éclatait le scandale Bygmalion. (Photo Parlement européen)
Jérôme Lavrilleux a été élu eurodéputé au printemps 2014, alors qu’éclatait le scandale Bygmalion. (Photo Parlement européen)

Ainsi, le 26 mai 2014, Jérôme Lavrilleux craque, en direct sur BFMTV. Ce soir-là, il aurait pu célébrer sa victoire aux élections européennes de la veille, sabrer le champagne à l’idée de participer, pour cinq ans, à l’élaboration de la loi européenne. Au contraire, l’homme est à bout. Le scandale l’a poussé au fond du gouffre. Il ne le cache pas : « J’ai pensé à mettre un terme à tout. Mais pas à démissionner de mon poste d’eurodéputé. » Alors, dès le mois de juillet 2014, il prend le chemin de Strasbourg. Il se souvient :

« Au début, je l’admets, c’était difficile. J’étais poursuivi jusque dans les salles de réunion par une horde de caméras… Mais bon, voilà, tout ça fait partie du jeu quand vous êtes victime d’un rouleau compresseur… »

Chemins de traverses et voies détournées

Une source au Parlement qui côtoie Jérôme Lavrilleux depuis le début de la législature raconte :

« Il était secoué, c’est clair. Mais qui ne l’aurait pas été ? Il devait prendre des chemins détournés, des escaliers de service pour échapper aux caméras. C’était violent. Tous les projecteurs étaient braqués sur lui. Et les autres députés le voyaient comme un pestiféré. Bref, c’était dur. Mais il a tenu le choc. Et s’est mis au travail. »

Et ce travail, entre Bruxelles et Strasbourg, aux côtés de 750 autres députés, n’a rien à voir avec ce que Jérôme Lavrilleux a connu jusqu’alors. Lui qui avait longtemps œuvré dans les coulisses de l’Assemblée nationale découvre un univers à part, où les alliances se font et se défont, où la recherche du compromis fait légion :

« Au Parlement européen, même si vous n’avez pas cinq mandats derrière vous, que vous venez de débarquer, peu importe que vous ayez été reine d’Angleterre ou ministre, si vous bossez, vous vous voyez confier de plus en plus de missions. Votre travail est reconnu. C’est totalement différent de l’Assemblée nationale, où l’on demande aux députés de la majorité de se taire pour ne pas ralentir le processus législatif et où tout le monde s’en fout de ce que dit l’opposition. Ici, vous pouvez faire bouger les lignes. »

Sur le dossier de la recomposition du Parlement européen, c’est ce qu’il a fait. Ce mercredi 7 février, c’est un peu son jour de gloire : le rapport qui traite du nombre de sièges attribué à chaque État membre est porté aux votes. Et Jérôme Lavrilleux a bataillé dur, pour, ce sont ses mots, « défendre le poids de la France », en lui assurant 79 sièges (sur 705) dans l’hémicycle, au lieu de 74 (sur 751) actuellement.

La politique au sens noble du terme

Le député européen est soudain inarrêtable : de l’analyse de la distribution actuelle des sièges aux calculs de ratios de population, en passant par les amendements déposés sur le texte, les doléances des uns et des autres, les sensibilités politiques à ménager, Jérôme Lavrilleux raconte en détail sa bataille. Passionné, sûr de lui, il explique comment, « avec [s]es petits bras musclés », il a manœuvré en vue de permettre à l’Hexagone d’augmenter son poids relatif dans l’hémicycle.

Pourtant, dans ce « parcours personnel et professionnel » qu’évoque Jérôme Lavrilleux, peu d’éléments laissaient présager un passage par le Parlement européen. Sans le scandale Bygmalion, la suite de sa carrière se serait plus vraisemblablement déroulée à Paris qu’à Bruxelles ou à Strasbourg. Au cœur de l’hémicycle alsacien, le député a trouvé ses marques :

« Le Parlement européen est un lieu où l’on peut faire bouger la société dans le sens que l’on souhaite. C’est con et galvaudé comme expression, mais ici, je peux faire de la politique au sens noble du terme. Moi qui ai fait 20 ans de « politique politicienne », sans jamais vraiment me pencher sur le fond des sujets, ici, je découvre un autre monde. »

Aujourd'hui, Jérôme Lavrilleux partage sa vie entre Strasbourg, Bruxelles et Saint-Quentin, dans l'Aisne. (Photo Mathieu Cugnot / Parlement européen)
Aujourd’hui, Jérôme Lavrilleux partage sa vie entre Strasbourg, Bruxelles et Saint-Quentin, dans l’Aisne. (Photo Mathieu Cugnot / Parlement européen)

Ainsi, Jérôme Lavrilleux n’a pas décidé de faire profil bas. Il multiplie les interventions, sur des sujets aussi variés que le dumping social dans l’UE, la situation socio-économique des femmes en Europe ou le temps de travail dans le secteur de la navigation intérieure. Cécile Ducourtieux, journaliste pour le quotidien Le Monde, témoigne :

« Au Parlement européen, quelqu’un qui n’a pas peur des dossiers techniques, qui travaille, s’investit, arrivera à tirer son épingle du jeu, à avoir son petit moment de gloire. Jérôme Lavrilleux, qui s’est emparé du dossier de la recomposition du Parlement européen, n’échappe pas à cette règle. C’est quelqu’un que l’on voit plus que ses collègues Rachida Dati, Brice Hortefeux ou Michèle Alliot-Marie, que ce soit à Strasbourg ou à Bruxelles. Il est là. Pour autant, en quatre ans de couverture de l’actualité de l’UE pour moi et en trois ans de mandat pour lui, je n’ai pas de souvenir clair de l’avoir entendu s’impliquer autant que sur ce sujet-là. »

N’en reste pas moins que Jérôme Lavrilleux est pris au sérieux. Un salarié du Parlement européen, qui a récemment rejoint le navire, l’a déjà remarqué :

« Quand Jérôme Lavrilleux parle, du moins au sein de son groupe politique, il est écouté. Il a un sens politique que beaucoup d’autres n’ont pas, et donc son analyse a du poids. Il aurait pu être regardé comme une brebis galeuse, mais il n’en est rien. Il est apprécié pour ce qu’il est. »

Limiter la casse

Mais qu’est-il, au juste ? Tantôt décrit comme un ambitieux qui s’est brûlé les ailes, un tireur d’élites ou un « porte-flingue » dévoué, tantôt comparé à Dark Vador par Laurent Wauquiez, l’homme a surtout un message à faire passer :

« Je ne suis pas une crapule. Je n’ai jamais fait semblant que rien ne s’était passé. Je n’ai jamais voulu faire comme si… J’ai toujours assumé, répondu aux convocations de la justice, même avant qu’on lève mon immunité parlementaire. Je n’ai vu qu’une fois la police : c’était pendant ma garde à vue. Quant aux juges, je les ai vus deux fois en trois ans : une fois pendant cinq heures, et j’ai été mis en examen. Et une fois pendant huit heures, pour une confrontation. »

Pour autant, Jérôme Lavrilleux parvient à ne pas laisser ses déboires avec la justice interférer avec son travail de député. Il limite la casse. Plus encore, il apporte parfois un nouveau souffle à certains dossiers, comme en témoigne cette source européenne :

« Il a le don d’aborder chaque sujet par un angle inédit. Par exemple, sur le thème de la bataille du siège du Parlement européen [faut-il conserver Strasbourg ou délocaliser le siège à Bruxelles, ndlr.], c’est lui qui a un jour lancé que si le groupe PPE avait une position anti-Strasbourg, il démissionnerait. Il ose des choses. Il surprend. »

Au Parlement européen, de nombreux députés décrivent Jérôme Lavrilleux comme un fin tacticien. (Photo Mathieu Clugnot / Parlement européen)
Au Parlement européen, de nombreux députés décrivent Jérôme Lavrilleux comme un fin tacticien. (Photo Mathieu Clugnot / Parlement européen)

Au sein de la commission Emploi et Affaires sociales, Jérôme Lavrilleux siège aux côtés du député socialiste Edouard Martin, dont le passé de syndicaliste lui colle à la peau. Même s’ils n’appartiennent pas à la même famille politique, les deux hommes s’entendent bien. Jérôme Lavrilleux trouve aussi un allié en la personne de Vincent Peillon, lui aussi issu du groupe des Socialistes et des démocrates européens. Edouard Martin remonte le temps, jusqu’en 2014 :

« Au début de notre mandat, Jérôme Lavrilleux est tout de suite venu me voir, m’expliquant qu’il avait lu beaucoup d’articles à mon sujet. Il m’a dit qu’il ne validait pas du tout ces propos, et qu’à ses yeux, j’étais tout à fait légitime ici. Je ne sais toujours pas pourquoi il a tenu à me faire ces déclarations-là… Mais calculée ou pas, sa démarche m’a semblée sympathique. Et quand je prends la parole dans l’hémicycle, personne, à droite, ne m’applaudit, sauf lui, l’air de dire « Ouais ! Alleeez Edouard ! » Bref, Jérôme Lavrilleux est un collègue que j’apprécie. »

« Ben, t’es pas encore en prison ? »

Toutefois, l’homme est souvent décrit comme un calculateur, prêt à tout pour arriver à ses fins. Et une source de commenter :

« Beaucoup de députés maintiennent qu’il dispose d’une intelligence diabolique, qu’il est retors. Il est capable de retourner complètement les gens, sur tel ou tel sujet, avec des arguments qui sont bons et toujours bien construits. En fait, il convainc facilement les gens. »

Reste un point sur lequel il n’a jamais eu à convaincre personne, car ceux qui l’entourent s’en rendent rapidement compte : l’homme qui, dès 2012, dénonçait « les turpitudes délibérées de l’entourage zélé » de François Fillon, a beaucoup d’humour. Dès qu’il évoque des questions liées à des cartes ou des campagnes électorales, il ne peut s’empêcher de pouffer et de lâcher : « En voilà un sujet que je connais bien ! » Une autre source témoigne :

« S’il croise un député qui est aussi avocat, il rigole et lâche : “Ah ben un avocat, ça peut être toujours m’être utile !” C’est marrant. J’ai l’impression qu’il s’en est pris plein la tronche, qu’il a été assez affecté, qu’il s’est fait jeter des pierres à la figure, mais que maintenant il a pris un peu de recul et manie à merveille l’autodérision. Du coup, personne ne l’embête. Je n’imagine pas qui que ce soit venir le trouver et dire : “Ben, t’es pas encore en prison ?” »

Epée de Damoclès

Ainsi, pas question pour Jérôme Lavrilleux de se murer dans le silence. Car s’il concède volontiers qu’il a fait des erreurs, il ne veut pas les payer en se sentant obligé de se rendre invisible dans les couloirs :

« Je n’ai tenté de violer personne. Je n’ai jamais employé mon épouse en tant qu’assistante parlementaire. Je n’ai pas payé le mariage de mes enfants en les embauchant comme assistant parlementaire. Je ne me suis pas fait verser un complément de salaire par une association bidon financée par le Sénat. Je n’ai aucun contrôle fiscal en cours. Alors pourquoi ne devrais-je pas parler de ce qu’il s’est passé ? Pourquoi devrais-je raser les murs ? Partir en courant dès que je vois un micro ou une caméra ? Il faut vivre avec. Ou alors, vous vivez très mal. »

Lui a l’air d’avoir retrouvé un certain équilibre. Pourtant, l’élu le clame : après mai 2019, il jettera l’éponge. Finis, les navettes quasi-quotidiennes entre Saint-Quentin et Bruxelles, les 1 500 kilomètres de route par semaine, les réunions de délégation, de groupe, les commissions, les séjours à Strasbourg, la presse trop curieuse… Il aspire au calme, à la sérénité.

Pourtant, il ne dirait pas non à un nouveau mandat, car à le croire, à Strasbourg, il « s’éclate », mais va, semble-t-il, choisir la voie de la raison et ouvrir des gîtes en Dordogne. Les travaux ont déjà commencé, il retape tout lui-même, et garder les mains dans le placo lui évite de trop gamberger. Car il le sait :

« J’ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête. À un moment ou à un autre, mon procès s’ouvrira. Puis suivra l’appel. La cassation. Puis un autre procès. J’ai encore cinq, six, sept ans de procédure devant moi. Ce n’est pas très à la mode de mettre sur une liste électorale quelqu’un qui est mis en examen. Et objectivement, j’ai les genoux trop fragiles. »


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